Nuit Présidentielle : un soulagement ?

Texte de Teddy Demangeot et photographies de Ulysse Bellier

A l’approche de l’heure fatidique, on sent la tension monter entre les bancs d’un amphithéâtre Boutmy plein à craquer. Étudiants, appariteurs, intervenants et observateurs venus prendre la température de la rue Saint Guillaume attendent, dans un silence de cathédrale, que les premières estimations tombent. On ne sait pas encore si les noms des deux finalistes seront annoncés en temps et en heure. Certains émettent la possibilité que trois noms soient divulgués parmi les quatre favoris, preuve, s’il en est, de l’extrême volatilité d’un scrutin historique suivi avec attention partout dans le monde.

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L’amphi Boutmy vers 19h. Photographie Ulysse Bellier
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Ali Baddou et Benjamin Duhamel ont animés la soirée. Photographie Ulysse Bellier

« A priori, les deux qualifiés seraient Marine Le Pen et Emmanuel Macron »

Vers 19h58 il semble à peu près certain que les noms des deux finalistes sont connus : Emmanuel Macron, en tête, affronterait Marine le Pen pour la Présidence de la République. Jean-Luc Mélenchon et François Fillon seraient au coude à coude pour la troisième place. A 19h59, le compte à rebours est lancé. Les visages sont crispés, les doigts tapotent nerveusement les tables au bois usé. Certains serrent les poings, d’autres lèvent les yeux au ciel. L’ambiance est électrique.

Lorsque les visages des qualifiés au second tour de l’élection présidentielle apparaissent, les applaudissements fusent, entrecoupés des soupirs et des hochements de tête des déçus. Malgré une terrible déception, j’applaudis aussi. Pour beaucoup, une finale Macron – Le Pen permet d’éviter le pire, un duel entre Fillon et Le Pen dans lequel peu se reconnaîtraient. Néanmoins, « deux visions de l’avenir de la France s’affrontent » au yeux de Jean-Louis Bourlanges.

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20h00, l’annonce des résultats. Photographie Ulysse Bellier

Benoit Hamon : « Je fais une distinction claire entre une ennemie de la République et un adversaire politique »

Les premières estimations donnent 6.2% des suffrages exprimés à Benoit Hamon. La réaction de la salle varie entre une surprise amusée et une déception prévisible. Il est très applaudi malgré la faiblesse de son score. Il est vrai que son discours apparaît mesuré, réaliste : « je fais une distinction claire entre une ennemie de la République et un adversaire politique ». Après son appel à voter pour Emmanuel Macron, beaucoup se demandent déjà comment le Parti Socialiste va réagir ou s’il est déjà condamné à disparaître. Affaire à suivre.

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Photographie Ulysse Bellier
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Photographie Ulysse Bellier

François Fillon : « Les obstacles qui étaient sur ma route étaient trop importants »

Dans l’attente de la déclaration de François Fillon, une bonne partie de l’audience s’esclaffe. Quelques « escroc ! » ou « rends l’argent ! » fusent. Il déclare « les obstacles qui étaient sur ma route étaient trop importants » sous les huées et les moqueries de la salle. Quand il affirme soutenir Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, des applaudissements sincères l’accompagnent. Il est vrai que beaucoup craignaient que la campagne LR, très marquée à droite, ne débouche sur un soutien passif au Front National. Il poursuit son allocution en annonçant être pleinement responsable de la défaite de son camp. Olivier Duhammel considère que « dans toutes les démocraties il aurait dû se retirer avant » sous l’approbation de la salle.

Les intervenants s’accordent pour considérer que si une leçon peut-être retenue des résultats de Benoit Hamon et de François Fillon, c’est que la tenue de primaires n’est pas la voie royale pour accéder à la Présidence de la République, bien au contraire. Ils s’interrogent notamment sur la recomposition du spectre politique français après la débâcle des deux principaux partis de la Cinquième. Le quadripartisme historique risque soit de voler en éclat, soit de se recomposer de façon inédite.

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Frédéric Mion, directeur de Sciences Po et Bertrand Périer. Photographie Ulysse Bellier
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Des intervenants dans la soirée, avec notamment Anne Muxel, Jean-Marie Donegani et Martial Foucault. Photographie Ulysse Bellier

Marine Le Pen : « Le 8 août 1943, le général de Gaulle le rappelait à Casablanca : « la grandeur d’un peuple ne procède que de ce peuple »

Quand Marine Le Pen apparaît sur le grand écran pour son allocution, les huées et les sifflets emplissent l’amphithéâtre. Sa déclaration fustigeant « l’héritier de Hollande » et appelant à « la grande alternance, l’alternance fondamentale, qui mettra en place une autre politique, d’autres visages au pouvoir, et le renouvellement auquel vous aspirez » ne fait pas mouche auprès des étudiants de Sciences Po. Les sifflets et l’indignation redoublent quand elle cite de Gaulle pour défendre sa ligne nationaliste : « la grandeur d’un peuple ne procède que de ce peuple ». Je saisis les bribes d’une conversation quelques rangs plus loin : « il faut oser pour citer de Gaulle quand on dirige un parti issu de la division SS Charlemagne ». Pour Martial Foucault, « si le taux de participation est confirmé, Marine Le Pen a progressé entre 1.5 et 2 millions de voix ».

Mais, globalement, le score de Le Pen est moins élevé que celui auquel beaucoup s’attendaient alors même que le terrorisme a fait une apparition fracassante dans la campagne.

Philippe Poutou : « Macron n’est pas un rempart contre le Front National »

Philippe Poutou est très applaudi lorsqu’il apparaît sur le grand écran. Sa sincérité et son franc-parler lors des débats ont fait mouche auprès des étudiants. Expliquant qu’Emmanuel Macron n’est « pas un rempart » contre Marine Le Pen, le candidat du NPA considère que « ce sont bien les politiques d’austérité et sécuritaires, en particulier quand c’est la prétendue gauche de gouvernement qui les a portées, qui restent la cause de la montée du FN et de ses idées nauséabondes ». Surprise dans l’amphithéâtre quand la diffusion de son message est coupée alors qu’il appelle à descendre dans la rue pour manifester.

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Dans les autres amphis. Photographie Ulysse Bellier

 

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En salle A11. Photographie Ulysse Bellier

Jean-Luc Mélenchon : « les oligarques jubilent »

Le candidat de la France Insoumise est très applaudi lorsqu’il apparaît à l’écran. Sa déception et son amertume sont clairement visibles, notamment parce qu’il lit un texte sans emphase, contrairement à ses habitudes. Peut-être était-il si persuadé par sa possible qualification que son équipe n’a pas pensé à écrire un discours de défaite, contrairement à Benoit Hamon qui avait largement eu le temps de s’y atteler. Regrettant que « les oligarques jubilent », il affirme qu’il publiera le choix des adhérents à la France Insoumise dans les prochains jours concernant la marche à suivre pour le second tour. Pour sa part – et c’est en cohérence avec ses idées – il appelle ses soutiens à prendre leurs responsabilités, sans pour autant donner de consignes de vote. A noter une certaine désapprobation de la salle et quelques départs quand un des intervenants fait une comparaison maladroite, même aux yeux d’autres intervenants, entre l’attitude de Jean-Luc Mélenchon et celle des communistes allemands quand Hitler est arrivé au pouvoir.

Emmanuel Macron : « Je veux construire dès maintenant une majorité »

La salle réagit de façon très positive au discours d’Emmanuel Macron. Pour une fois, les sondages ont eu raison sur presque toute la ligne. Mais le public s’interroge d’ores et déjà. S’il affirme vouloir « construire dès maintenant une majorité », le candidat d’En Marche doit convaincre sur le fond et choisir sa place sur l’échiquier politique. Son élection à la tête de l’Etat étant plus ou moins certaine, sa capacité à bâtir une majorité est, elle, plus que discutée. Pour ce faire, il devra indéniablement sortir du flou artistique et marketing de sa campagne présidentielle afin de bâtir un projet politique cohérent capable de lui apporter une majorité lui permettant de gouverner autrement que par décrets. La retransmission de son discours terminée, Boutmy, seul amphi encore bien rempli rue Saint Guillaume, se vide rapidement. Abasourdis, soulagés, heureux ou déçus, les sciences pistes décident de rentrer chez eux. Malgré un soulagement largement partagé de ne pas voir une finale Fillon – Le Pen, l’heure n’est pas à la fête et les sourires se font rares.

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Photographie Ulysse Bellier

 

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Photographie Ulysse Bellier

Globalement, le format de la nuit présidentielle n’a pas convaincu.

Sitôt le résultat annoncé les intervenants tentent d’expliquer pourquoi les sondages avaient raison malgré la défiance bien connue des français à leur égard. La salle n’a été que peu réceptive aux analyses des invités. Pour être honnête, tous ont l’impression d’avoir entendu les mêmes explications rabachées depuis des mois et des mois sur tous les plateaux télé. La conclusion donnée par les intervenants, à savoir que le résultat du vote s’explique par un jeu d’opposition entre une France optimiste et une France emplie de négativité, ne satisfait pas ou peu. Pour Anne Muxel « il y a un autre clivage entre la France de la colère et la France qui n’est pas en colère ». Une conclusion que d’aucuns considèrent infantilisante pour certaines catégories d’électeurs.

Beaucoup attendaient que la nuit présidentielle, à l’image de cette campagne, puisse sortir des sentiers battus. L’organisation de la soirée aurait dû laisser un espace d’expression pour les étudiants plutôt que de s’enfermer dans un format qui ressemblait à s’y méprendre à un cours magistral. Tout autour, les étudiants en particulier semblent s’irriter : quelle légitimité peuvent bien avoir des cinquantenaires pour s’exprimer au nom des étudiants ? Pourquoi les femmes invitées n’ont-elles le droit à la parole qu’une fois que ces messieurs ont fini leurs interminables monologues, alors même que leurs opinions semblent plus construites, moins partisanes ? Où sont donc passées les questions de la salle, principale raison pour laquelle beaucoup s’étaient déplacés à l’école un dimanche soir ?

Finalement, cette nuit présidentielle à Sciences Po était à l’image du résultat du premier tour de l’élection. On a évité le naufrage, certes, mais c’est pas non plus la grande éclate. Heureusement, le Basile est encore en happy hour.