Le Mag’ : Mektoub, my Love, jeunesse envoûtante et ensoleillée
La bande-annonce du nouveau film d’Abdellatif Kechiche est riche en promesses. Mêlant musique disco, plans ensoleillés et visages juvéniles, elle semble dessiner les contours d’un film situé entre photos de vacances postées sur Instagram et hymne à la jeunesse, ce qui peut potentiellement aller de pair. Sous le charme, on se laisse donc tenter par les trois heures de (longue) parenthèse procurée par « Mektoub, my love : canto uno » dans un cinéma obscur du Boulevard Montparnasse.
À l’issue de ces trois heures, la fascination prévaut. Le film est passé lentement et simplement, offrant aux yeux fatigués de la dizaine de spectateurs courageux dialogues à rallonge, séductions juvéniles et plans sensuels. On reste effaré d’être resté hypnotisé devant des images vides d’intrigue et de dialogues consistants. Les plans serrés de Kechiche saisissent au vol les images magnifiques et les visages tourmentés d’Amine, Ophélie et tous les autres jeunes adultes qui papillonnent innocemment dans l’été sétois des années 90. Pour chaque scène s’allongeant au-delà du quart d’heure, c’est une cascade de sentiments, de contradictions, de pulsions qui traversent les visages beaux et humides de ces personnages pas encore adultes, plus franchement enfants.
Intrigue légère et héros décalé
Les plages de Sète illuminent le film de Kechiche. Pourtant, loin de préoccupations touristiques ou historiques, il parle de sujets et de fêlures qui sont celles d’aujourd’hui. Le réalisateur s’attarde bien moins sur les paysages sétois que sur ceux qui en profitent. Là est sûrement la magie de Kechiche : façonner des images lyriques et sublimes qui épousent les corps et les visages de ces adolescents tant assoiffés de beauté. Pas grand-chose ne se passe dans Mektoub, my Love : le héros, Amine, ne séduit personne. Les Amours scandaleux n’éclatent pas, ils restent murés dans les regards intenses et les silences mal dissimulés. A chaque dialogue c’est la même tension timide, conjuguée à l’éternel appétit de corps, de sensation, de plaisir.
Ce héros, Amine, est un peu à part. Etudiant en deuxième année de médecine mais qui abandonne son cursus (ce qui ferait bondir tout bon étudiant laborieux en PACES), il passe son temps l’air divinement observateur et lamentablement décalé, tant devant les danses exaltées d’Ophélie que quand sa mère exige de lui qu’il s’amuse. Il ne semble trouver de plaisir que dans les rêves que ses yeux impatients fomentent et dans les photos qu’il passe son temps à prendre. Il pose son regard sur le monde pendant que ses amis n’hésitent pas à se jeter dans le tourbillon des flirts incertains. Il scrute avec gène et plaisir les corps sensuels de ses amies mais n’en séduit aucune, rajoutant encore au sentiment d’inaction dont le film est plein. Il est profondément mystérieux mais il désire, constitue une sorte d’alternative expérimentale à la jeunesse uniforme, sensuelle et papillonnante de tous les autres personnages.
Malaises et charmes des obsessions de Kechiche
Si Kechiche a l’art des images et des plans serrés, difficile de ne pas remarquer qu’il en use plus que raisonnablement pour filmer les corps sculptées de ses actrices. Chacun se retrouve face à sa bonne conscience et à ses élans de voyeurisme. Chacun constate aussi que ces images, pleines des désirs et des obsessions de Kechiche, forment la spécificité, la beauté et les errements agréables de la jeunesse. Après La Vie d’Adèle, palme d’or à Cannes en 2013, on pouvait légitimement s’attendre au dénudement répétitif des personnages, principalement féminins, tant qu’on y est. Pourtant, les héros de Mektoub, my Love en restent à la frontière saisissante et électrisante de la séduction, celle que constitue les maillots de bain ruisselants protégeant les secrets des corps bronzés. L’unique scène d’amour démarre le film, exaltante et belle, comme un pied de nez à ceux qui prédisaient la même redondance encombrante des parenthèses sexuelles que dans La Vie d’Adèle. Ensuite c’est un calme plat sexuel, reflet de la jeunesse affamée mais réservée, affriolante mais pudique que met en scène Mektoub my Love.
Kechiche a le mérite de dissimuler ses dialogues (volontairement ?) vides derrière une orgie de flirts, de corps et de soleil qui nous rappelle les douceurs du pêché et du mois d’août. Durant ces trois heures, on est comme captivé, invité à l’intérieur du monde de Mektoub, my Love, celui du plaisir imminent et du désir perpétuel.
La durée du film n’est pas anodine : elle permet de se livrer à la poésie des images et des corps, de s’imprégner complètement du goût de la jeunesse que Kechiche semble si soucieux de transmettre. Tous ces impératifs exigeants imposent cependant une endurance exemplaire, des fauteuils confortables, un ou deux potes pour glousser un peu, une bouteille d’eau suffisamment pleine et un bon casse-croûte pour tenir le coup !
Et si vous souhaitez voir la bande-annonce du film d’Abdellatif Kechiche, c’est par ici :
https://www.youtube.com/watch?v=VNTXyo8Yjqw