Le procès de OSS 117 : Sciences Po ne répond plus
12 ans d’existence, 2 films, 4,3 millions d’entrées.
Mardi soir, 6 témoins, 4 avocats, 1 accusé.
Le plus célèbre espion français passait à la casserole juridique pour tenter de justifier les siennes, de casseroles. Parce qu’attention, ce n’était pas le OSS 117 des romans d’espionnage qui était jugé en Cour de Boutmy ; c’était le OSS 117 de Jean Dujardin que Révolte-toi Sciences Po présentait. Il avait déjà sauvé le monde deux fois ; ce soir, c’est sa peau qu’il devait sauver.
Lucien, Noël et Hubert
C’est ainsi que l’accusé du soir se présente, tour à tour, alors que la présidente et le président du jury, Capucine Delattre et Joseph Thomas, le prient de délivrer sa véritable identité et non ses multiples couvertures. Pour Larmina (Lisa Cophignon), tous ces avatars ne forment « qu’une seule et même personne ». Qualifié de beaucoup de choses par l’accusation, du « carnage » au traître selon Bill (Hugo Valentin), il est accablé de tous les maux mais garde toujours la nonchalance qui fait son charme. Pourtant, cela ne veut pas dire que les critiques qui lui sont faites le laissent de marbre, puisqu’il appelle Jack le « pire ami d’Égypte » au début de son monologue tant attendu, et très applaudi.
Ce qui marque surtout, c’est son attitude, et c’est ce sur quoi Maître Goldman s’est concentrée : « Il est à la délicatesse ce qu’Éric Zemmour est au féminisme. ». Mais jamais l’agent ne s’excusera pour son comportement, tout aussi déplacé qu’il soit.
Jack Jefferson (Jérémy Poivre d’Arvor) le lui a lancé avec regret et conviction : « Tu ne sais faire que ça, Hubert : rire, humilier, et te moquer. » Et pourtant ; comme toujours, OSS 117 conquis son public, et plus que jamais, les sciencepistes sont pendus à ses lèvres.
Juger un espion avec des Sciencespistes ? Quelle drôle d’idée !
Ce n’est pas le premier accusé à passer par la Cour de Boutmy ; en revanche, c’est le premier à susciter tant d’admiration, de moqueries et d’enthousiasme de la part des étudiant.e.s qui en occupaient les bancs, et ce depuis bien longtemps. A défaut de pouvoir le citer dans les copies d’histoire, c’est à la télévision que l’on reprenait ses répliques sans complexe, comme en avril 2018, juste devant l’école.
(On ne s’en lassera jamais)
Il va de soi que ce procès n’aurait pu se faire sans jeux de mots douteux, punchlines bien placées et étudiant.e.s passionné.e.s, mais surtout, actualités enflammées. Pour Maître Deroude, premier avocat de la défense, son client est en effet non seulement « 50 ans après son passage, toujours considéré comme un grand symbole de liberté par les Brésiliens », mais surtout la légende à qui se résume « toute la résistance à Monsieur Bolsonaro ».
Mais celui qui s’en est le plus délecté, c’est l’accusé lui-même (Eliott Kozma) : fini le temps où Emmanuel Macron imitait OSS 117 ; mardi, c’était OSS qui imitait Emmanuel Macron. Dans un discours qui réunissait déjà les répliques les plus cultes du célèbre agent, il y a mêlé les déclarations les plus marquantes de ces 18 derniers mois de quinquennat. Plaidant la liberté d’expression et le culot à la française, il s’est ainsi exclamé : « Jamais vous ne me volerez ma verve ! Sachez bien, Messieurs les censeurs, que je ne céderai rien : ni aux fainéants, ni aux cyniques. ».
Fidèle à lui-même, il se permet de faire la leçon au jury, et pas n’importe laquelle : « Savez-vous au moins ce que c’est qu’un coupable ? Un coupable, c’est quand les gens sont jeunes, déjà, qu’ils ont froid avec des capuches grises et des survêtements à fermeture éclair. ».
Le procès de tout l’Occident colonalisateur
L’accusation n’a pas pesé ses mots : derrière le procès d’un agent inoffensif – ou du moins involontairement offensif – se cache un enjeu bien plus grand : le genre de personnes qu’il représente et l’image qu’il véhicule. Hier symbole de l’hégémonie occidentale, blanche et masculine, Hubert Bonisseur de La Bath est aujourd’hui tout ce qui se rapproche de trop près de l’« ancien monde », et l’accusation l’a bien compris : « Faire le procès de OSS 117 en incompétence, c’est faire le procès de Pétain en collaboration, c’est faire le procès de Trump en mégalomanie, c’est faire le procès de Ben Laden en pilotage ; ça a l’air évident, mais ça révèle des choses bien plus profondes. ».
Maître Coester, premier avocat de l’accusation, l’a en effet blâmé au motif qu’il affiche « une posture de supériorité culturelle, une méconnaissance crasse des enjeux extérieurs, et l’absence totale de volonté de comprendre ». Se plaçant en défenseur de la modernité et de la tolérance, il a affirmé : « Lorsque l’on fait le procès d’OSS 117, c’est le procès de tout l’Occident colonial que l’on doit faire. ». L’erreur de l’accusation aura été, peut-être, de vouloir trop le charger. C’est pourquoi OSS 117 a été acquitté par le jury, qui a tenu cependant à récompenser l’accusation pour sa plaidoirie contre le racisme, l’homophobie, l’antisémitisme et le sexisme, du prix du meilleur orateur.
OSS 117 est à Sciences Po ce que Kanye West est aux États-Unis : un artiste incompris, un génie complexe et tourmenté, une idole inavouable. Cependant, mardi soir, son seul crime aura été, comme l’a si bien dit Dolores (Clara Menet), de n’être « pas sortable ».
Astrid-Edda Caux