L’Amour dure 3A
La 3A rime souvent avec rêves, promesses et aventures. Pour tous les étudiants de Sciences Po, l’incontournable 3ème année à l’étranger est un épisode attendu mais solitaire. C’est seul que le sciencepiste s’en va découvrir les campus américains et les plages australiennes. En partant pour son rêve, il abandonne pour un an amis, famille, et surtout la personne avec laquelle il avait décidé de lier sa jeune existence. L’Amour et la 3A, le cocktail n’est pas sans risque. On ne mise généralement pas sur la longévité des couples séparés par les océans. A Sciences Po, la relation à distance est un passage obligé. Le mythe grec d’Androgyne prévoit que nous parcourions sans cesse le monde, à la recherche de notre âme sœur. La quête du sciencepiste est toute autre : parcourir le monde, et ne pas oublier son âme sœur.
L’inquiétante marche vers la 3A
La question des couples affrontant la 3A cache deux configurations très différentes. Dans l’une, les deux amoureux s’en vont chacun pour leur troisième année avec les mêmes angoisses et les mêmes rêves. Dans l’autre, il n’y en a qu’un qui part à l’étranger, alors que l’autre reste sagement dans sa vie française. Dans les deux configurations cependant, les derniers mois avant la 3A sont douloureux et angoissés. La tentation est grande, au moment de livrer ses rêves à l’administration, d’aménager ses vœux de 3A pour éviter les milliers de kilomètres et le décalage horaire. Lou-Anne est aujourd’hui étudiante en Master à Sciences Po. Elle est partie à Pékin, laissant son âme sœur à Paris, mais avait hésité à se rabattre sur Londres. Le dilemme est le même chez de nombreux sciencepistes. Là où les rêves d’enfance incitent à traverser les tropiques et les continents, l’Amour chuchote des destinations plus rationnelles.
Souvent, la 3A prend de court. On s’installe dans la vie sereine des études supérieures, on tombe amoureux et on se rend compte, à quelques mois du départ, que l’on va s’envoler à 5 000 kilomètres de l’autre. Les vœux, à renseigner dès décembre de la deuxième année, sont saisis dans un contexte différent de celui de juin, où l’on se retrouve assailli par panique et angoisse. HuoLong et JingLing (c’était leurs noms chinois dans leur université d’accueil) étaient en couple pendant leurs 3A, lui à Taïwan, elle en Chine. Pas encore ensemble au moment du choix de la destination, ils s’accordent pour dire que s’ils avaient pu, ils auraient opté pour une plus grande proximité géographique.
Pour tous les Sciencepistes en couple, l’heure de la séparation approche vite. Pendant l’été précédant la 3A, la tension monte au fil des sombres prédictions des amis et parents qui, avec une tête d’enterrement, ne donnent pas cher de la peau de l’amour des tourtereaux. Des serments se forment alors, timides promesses d’amoureux qui sentent l’obstacle approcher. Camille et Pierre sont partis en Allemagne et en Grande-Bretagne. Ils se sont promis de ne rien s’interdire et de respecter la vie de l’autre, instaurant cependant une barrière autour de l’épineuse question de l’infidélité. Victoire, partie à Vancouver et laissant son copain découvrir Amsterdam, l’a aussi évoqué avec lui : « on s’est dit qu’on en discuterait si quelqu’un nous plaisait vraiment, pour ne pas que le couple soit un fardeau pendant la 3A. Mais finalement on n’a rencontré personne qui nous plaisait plus que l’autre ! »
Kit de survie pour relations à distance
Les premiers mois de 3A sont souvent les plus délicats. On se heurte à l’inconnu, à de nouvelles difficultés, au doute. L’absence de l’autre, qu’on retrouvait jadis en péniche ou sur les quais de métro, s’en fait d’autant plus sentir. Outre l’absence physique, la singularité d’une année à l’étranger crée des univers complètement différents, dans lesquels il est difficile de partager quelque chose avec l’autre.
Le quotidien de la 3A se met laborieusement en place, et avec lui tous les petits arrangements qui ravivent la flamme avec la lointaine âme sœur. Les messages et les appels se multiplient pour tromper l’absence de l’autre, privilégiant souvent Skype. Les petites attentions, témoins et preuves de l’Amour qui subsiste encore, ne sont pas à négliger : envoi de fleurs, chocolats, bijoux, livres, … Tout est bon pour rappeler à l’autre tout l’Amour qu’on lui porte et lui permettre de dormir sur ses deux oreilles. JingLing et HuoLong ont été particulièrement adeptes de ces petits échanges du quotidien, « mettant chacun dans la poche de l’autre » pour lui montrer son quotidien.
La 3A place cependant un obstacle redoutable entre les amoureux : le décalage horaire. Celui-ci, outre qu’il limite temporellement les appels des couples, provoque des confrontations d’état d’esprit périlleuses. Alors que l’une s’apprête à s’endormir, l’autre dévore ses céréales et n’est pas encore tout à fait éveillé. Pas l’idéal pour les grandes déclarations et les anecdotes sur la météo au Danemark.
Nécessaires retrouvailles
On ne part évidemment pas de l’autre côté du globe sans promesses de retrouvailles. Dès les premiers instants de la 3A des projets de retours ou de voyages sont étudiés. Google Maps à l’appui, on cherche une destination à mi-chemin entre Madrid et Johannesburg, entre Buenos Aires et Boston. Les billets retours pour Paris sont achetés bien vite, l’envie de renouer avec la vie française et son confort est trop forte. Les évasions se multiplient donc, creusant considérablement le budget de la 3A mais augmentant tout autant la jauge de bonheur des sciencepistes amoureux.
La fréquence de ces retrouvailles diffère selon que l’on est parti à Wellington ou à Bruges. Pour beaucoup, il faut se contenter de deux petites parenthèses dans les bras de l’autre, l’une à Noël, l’autre un peu plus tard, quand on a compris comment manier le décompte d’absences de l’université d’accueil. Mais, selon tous les anciens 3A toujours amoureux, les retrouvailles sont essentielles. Comme Victoire le précise, la 3A est un moment de grand changement personnel, d’où la nécessité de ce petit « update » de mi-parcours, pour retrouver l’autre et s’en imprégner. Pour Lou-Anne, la visite de son copain en Chine fut la plus importante : « c’était indispensable, car j’aurais été frustrée qu’il ne voit pas là où j’ai vécu ».
Enfin, la 3A est parfois le théâtre de retrouvailles inattendues mais pleines de panache. Jeanne est partie en Chine, et elle ne comptait pas retourner en France de l’année. Son copain, qu’elle ne devait pas voir pendant ces dix longs mois d’aventure, l’a cependant rejointe pour les six derniers mois, trouvant un job de professeur d’anglais sur place et accompagnant Jeanne jusqu’à la fin de son année. Un symbole de comment le manque peut, méprisant les budgets prévisionnels et les funestes présages, abolir les distances.
Ordonnance pour amoureux inquiets
Tous ces heureux sciencepistes, dont j’ai cité les noms et les histoires, ont vaincu l’épreuve de la 3A. Mais il ne faut pas oublier les difficultés que cette année à l’étranger représente. Avec cet incontournable de la scolarité, Sciences Po met à l’épreuve les couples de ces élèves de façon assez brutale. L’Ecole ne laisse pas le choix. Il faut partir, et pas qu’un peu. Le manque, l’inquiétude, l’insécurité sont le lot de la 3A, pour les amoureux comme pour les célibataires. Et même si les couples survivent, les difficultés ne sont pas niées, notamment par HuoLong et JingLing : « ce n’est pas du tout quelque chose qu’on aimerait revivre ».
Les conseils sont multiples pour tous les futurs 3A qui vont affronter leur avenir sentimental. Jeanne, Victoire, Lou-Anne, Camille, HuoLong et JingLing en ont été particulièrement prodigues. Ressortent l’importance de la confiance, de la communication et de la mise en commun des attentes vis-à-vis de cette fameuse 3A. L’instauration de moments réguliers de retrouvailles pendant l’année est également centrale. Enfin, ne pas hésiter sur la naïveté mielleuse, bien sûr, qui ne peut pas faire de mal et qui ornera la table de chevets des amoureux séparés de photos, bijoux et lettres.
Toute la scolarité à Sciences Po est centrée sur l’étudiant en tant qu’individu. Malgré les efforts altruistes du Parcours civique, ce sont une carrière et une vie qui se préparent rue Saint-Guillaume, souvent dans l’individualisme. La 3A porte fréquemment l’étiquette de la dernière parenthèse avant la vie d’adulte, comme un enterrement de vie d’enfant. Les choses sérieuses ne commenceraient qu’après. Et on se dit qu’il serait bien dommage de se lancer seul dans cette vie d’adulte, sans cette âme sœur aux charmes infinis.
Simon Le Nouvel