Interview de Victoria Bruné, autrice de La Reine éphémère : récit d’une vie à la cour du Roi Soleil

La Reine éphémère, c’est Louise de Lavallière, favorite du roi Louis XIV. Dans une interview accordée à La Péniche, la jeune autrice Victoria Bruné nous montre comment la résilience de ce personnage peut inspirer.

Louise de Lavallière occupe depuis peu le poste de gouvernante à la Cour de Louis XIV. Ce rôle qu’elle remplit consciencieusement lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. Son destin prend cependant un tour inattendu quand le Roi Soleil remarque cette  jeune fille à la beauté éblouissante. Charmé par son esprit lettré et son humilité – qui détonne parmi l’hypocrisie et l’ambition des courtisans – elle deviendra sa première favorite. La méfiance et le désintérêt qu’elle porte initialement à la vie de Cour s’efface quand elle est propulsée à une place enviée de toutes, et dans une vie fastueuse et mondaine. Éperdument amoureuse du roi, elle se défait de sa dévotion envers sa famille et de sa timide modestie, et savoure ce qu’elle croît pouvoir être un statut éternel. Cependant, l’inconstance du Roi et la duplicité des courtisans lui feront subir un déclassement aussi violent et rapide que le fut son ascension. Louise de Lavallière trouve alors secours dans la religion en menant de bonnes œuvres et une vie pieuse loin de la Cour.

À 22 ans, Victoria Bruné a déjà à son actif de nombreux poèmes sur son blog La voix d’une jeune,  un recueil du même nom, et une tribune pour le Monde – Unissons-nous contre la haine et retrouvons la cohésion du 11 janvier.  En juin 2022 paraît son second ouvrage La Reine éphémère, publié chez Librinova. 

 – À 14 ans, vous écriviez déjà ; en grandissant vous menez de front études et écriture, d’où vous vient ce désir insatiable ? 

V. Bruné : J’écris depuis l’âge de 6 ans. J’ai grandi dans un univers familial où on m’a beaucoup encouragée à lire et cela s’est répercuté sur ma manière de voir le monde et mes hobbies. De ce fait, j’ai pris la plume pour décrire à la fois mon entourage immédiat et le produit de mon imagination. Vers l’âge de 12 ans, ma manière d’écrire a pris un virage plus engagé. De ce fait, en 2014, j’ai ouvert un premier blog : Les Résistantes pour dénoncer les injustices qui étranglent ce monde. À travers ma plume, j’ai décidé d’élever la voix. Par ailleurs, j’aime beaucoup cette citation de Jean-Paul Sartre : “Agir, c’est modifier la figure du monde”. Je souhaiterais m’approprier cette pensée et de ce fait je m’en inspire pour dénoncer les injustices.

– Cette volonté se ressent bien dans votre premier ouvrage La voix d’une jeune paru en 2018. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

V. Bruné : C’est une compilation d’articles, de nouvelles et de poèmes, sur des thématiques aussi diverses et variées que : le racisme, le harcèlement scolaire, les droits de l’enfant mais surtout les droits des femmes. Il y a notamment l’accent qui est mis sur les migrants et la guerre au Yémen, une guerre silencieuse, et fort peu médiatisée, à l’inverse de la guerre en Syrie.

– Votre nouvel ouvrage La Reine éphémère apparaît par comparaison moins engagé, en tant que nouvelle historique traitant d’une histoire plus intime. Dans quelle mesure pensez-vous qu’il peut néanmoins entrer en résonance avec l’actualité ? Est-ce tout de même une œuvre engagée ou avez-vous pris une direction  nouvelle dans cet ouvrage ?

V. Bruné : Dans un premier temps, dès les premières lignes de ce récit, il est possible d’avoir une lecture féministe de cette ouvrage. À travers celui-ci, je tenais à donner une leçon de vie facilement actualisable, sur la quête de soi et les faux-semblants. De ce fait, au travers de ce livre, certes historique, je tenais à dépeindre des aspects bien actuels de notre société, que ce soit le fait que les relations sociales peuvent parfois se tisser sur une base purement intéressée, et sur le fait qu’il est possible de consacrer sa vie à de bonnes œuvres.

– Vous parlez d’une lecture féministe de cette nouvelle. Personnellement, j’ai été à première vue étonnée du choix de Louise de Lavallière comme héroïne. Bien qu’elle ait fait preuve d’une résilience silencieuse, ce n’est en effet pas la favorite de Louis XIV qui m’avait le plus marquée en tant que femme forte et mémorable.

V. Bruné : Tout à fait, je peux comprendre ce point de vue. Mais il n’en demeure pas moins que tout au long de sa vie aux côtés de Louis XIV, Louise de Lavallière était placée sous la dépendance de son “amant”. Elle existait seulement parce qu’elle était la maîtresse de Louis XIV. De ce fait, mener par la suite une vie pieuse lui a permis de se libérer de ce joug et donc de s’émanciper. Même si ce n’était pas le cas de Louise de Lavallière qui ne faisait pas partie de cette communauté, on peut très facilement penser aux béguines, qui se sont émancipées du patriarcat via le spirituel.

– Il est assez ambivalent qu’à la fois ce qui ait sauvé Louise de Lavallière à la fin de sa vie fut de s’ouvrir en se consacrant aux autres, mais aussi de cultiver son intériorité en faisant d’elle-même la seule personne qui lui était nécessaire. Qu’en pensez-vous ?

V. Bruné : Je viens de penser à cet aphorisme grec souvent cité “Connais-toi toi-même”. Il est important de se chercher soi d’abord, car l’écueil que connaissent de nombreuses personnes, c’est de s’épanouir au travers d’une relation amoureuse ou même amicale, et donc de s’investir à 100%, avant de se concentrer sur soi, pensant qu’entretenir une relation permet de se découvrir. Il y a un conseil que j’aimerais partager pour pouvoir s’accomplir soi, bien qu’il puisse soulever des controverses : j’aimerais prôner la découverte de la foi. Parce qu’en découvrant la foi et en se connectant de ce fait avec une transcendance, cela ouvre la voie à un épanouissement personnel et donc à la construction de son propre bonheur, car il est malheureusement tentant de construire son bonheur sur les circonstances seules. Il est important pour construire son bonheur de faire un retour constant sur soi mais aussi d’essayer de rester résilient en dépit des circonstances en portant en son sein un certain optimisme.

– Comment caractérisez-vous ce roman, qui s’inscrit dans un contexte historique mais est néanmoins une fiction, notamment du fait qu’il soit écrit à la première personne ce qui implique une certaine subjectivité ? Écrire un roman historique est toujours un terrain glissant, entre la place laissée aux faits et celle laissée à l’imagination. Comment avez-vous balancé les deux ?

V. Bruné : Lors de la rédaction de cet ouvrage, je me suis penchée sur l’ouvrage universitaire de l’italienne Benedicta Craveri intitulé Reines et favorites qui offre un panorama et un portrait des reines et favorites officielles des rois de france, et qui a été une source on ne peut plus précieuse. Je me suis aussi basée sur d’autres sources en ligne à l’instar des éléments donnés par le château de Versailles, entre autres choses. Cependant, pour équilibrer la dimension historique et pour éviter toute vraisemblance qui puisse nuire au récit, j’ai décidé d’écrire un roman atemporel, donc, où il n’y a pas de repères qui pourraient donner une idée précise de la période ou même de l’année où le récit se déroule. C’est plus un roman initiatique et un roman visant à partager mes réflexions philosophiques et spirituelles dans l’espoir de susciter des réflexions sur notre existence et sur l’importance de baser notre quotidien sur une forme d’altruisme.

– Avez-vous comme projet de réaliser un nouvel ouvrage ?

V. Bruné : En ce moment je suis en train de travailler sur un nouveau roman sur l’Erythrée, un pays d’Afrique de l’Est. Ce pays indépendant depuis 1993 est sous le joug d’une dictature dont la sévérité lui vaut le surnom de Corée du Nord africaine. L’Erythrée est connu pour être un pourvoyeur de migrants, étant donné que chaque citoyen est astreint à effectuer un service militaire qui en théorie est censé durer autour de 18 mois, mais malheureusement peut durer indéfiniment. Certaines personnes se retrouvent conscrites encore à l’âge de 50 ans. Des témoignages font état de torture et de conditions de vie épouvantables tout le long de ce service militaire qui est donc un quasi esclavage. Pour éviter cette destinée toute tracée par le régime pour chacun des citoyens, des personnes préfèrent risquer leur vie à la recherche d’une vie meilleure et loin des serres de la dictature et de la rapacité du régime autoritaire. De plus, le service militaire concerne à la fois les hommes et les femmes, et des témoignages ont fait état de viol sur les jeunes filles, à tel point que des familles préfèrent marier leurs filles de manière précoce pour éviter qu’elles aient à subir de tels actes.

A l’occasion de la Journée des autrices et des auteurs, Victoria Bruné sera présente pour dédicacer son roman La Reine éphémère ce samedi 26 novembre au 27 rue Saint-Guillaume. (Lien d’inscription : https://www.sciencespo.fr/agenda/picasso/fr?event=3996)


Crédit image : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Louise_de_la_Valliere.jpg

Détail du portrait de la duchesse de La Vallière et de ses enfants Mademoiselle de Blois et le Comte de Vermandois par M. Schmitz en 1865 d’après une peinture de Pierre Mignard datant du XVIIe siècle.