Interview de Laurence Bertrand Dorléac – Partie 2/3 : Élection à la présidence

Suite à la nomination de Laurence Bertrand Dorléac à la présidence de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) le 10 mai dernier, la rédaction de La Péniche a souhaité s’entretenir avec l’historienne de l’art, commissaire d’exposition et professeure à Sciences Po. Dans ce deuxième volet, Madame Bertrand Dorléac revient sur le processus qui l’a conduite à la présidence de l’institution.

Madame Bertrand Dorléac a souhaité répondre à nos questions à l’écrit. Après avoir reçu ses réponses, nous avons souhaité prolonger l’entretien avec des questions d’approfondissement, que nous lui avons posées à l’oral lors d’une entrevue et auxquelles elle a souhaité répondre également à l’écrit. Lesdites  questions d’approfondissement ainsi que les réponses correspondantes sont indiquées en italique.
La Péniche : Pourquoi avez-vous décidé de présenter votre candidature à la tête de la FNSP ? Quelles ont été vos motivations ?

Laurence Bertrand Dorléac : « J’ai pris cette décision à la demande de toutes celles et de tous ceux qui m’entouraient et en concertation avec la candidate que nous soutenions, Nonna Mayer. J’ai été la dernière à vouloir être candidate. Pourquoi? Disons que je me dirige constamment vers les domaines où j’ai l’impression de pouvoir offrir une expertise et un désir d’action particuliers que peu de personnes pourraient avoir.

J’ai refusé longtemps d’être commissaire d’exposition au motif que ce n’était pas mon métier. Quand un ancien étudiant m’a reproché en 2011 de refuser de l’être pour l’exposition qui se préparait au Musée d’art moderne de la ville de Paris, L’art en guerre. France 1938-1947, sur un sujet que j’étais la seule à connaître aussi bien et j’ai finalement accepté et je n’ai plus jamais arrêté depuis tant cet exercice me convient en offrant l’avantage de déplier la recherche fondamentale pour des centaines de milliers de personnes. Cet épisode m’a permis de réfléchir à toute nouveauté qui se présente à moi. Cela dit, j’ai toujours été attentive au choix des personnes idoines pour tel ou tel poste de responsabilités dont je n’avais pas l’envie farouche dont bien d’ autres étaient animés. Dans la crise à Sciences Po, nous sommes arrivés à ce stade où je ne pouvais pas me dérober sauf à faire preuve d’un égoïsme coupable. Quand je suis restée seule à dire NON sans même étudier le problème, j’ai procédé avec honnêteté à l’examen de la situation et j’ai accepté de remplir cette fonction. »

LPN : Suite à la démission de l’ex-Président de la FNSP Olivier Duhamel a été créé un comité de recherche, avec pour objectif “d’introduire plus de collégialité et de transparence dans le processus de nomination du Président du conseil d’administration”. Cependant, cet organe a été très critiqué, dès la candidature de Nonna Mayer. De nombreux membres de la communauté sciencespiste dénoncent en effet son opacité, des décisions “surprises”, sans concertation ni justification. Vous étiez vous-même membre de ce comité avant votre démission, ce qui a suscité de nombreuses accusations d’entre-soi. Faut-il une réforme en profondeur de ce processus qui permettrait plus de pluralisme et de démocratie interne ? 

« Si vous regardez attentivement les événements, vous verrez que la procédure est née de la crise profonde déclenchée par l’affaire Duhamel. Les élus enseignants, permanents et vacataires, dont je faisais partie, ont réclamé une commission d’instruction élargie pour ne pas rester dans le seul cadre de cooptation par les anciens représentants des fondateurs.  Le principe de cette commission informelle a été voté en CA [Conseil d’administration de la FNSP, ndlr]  et il a obtenu une très large majorité. Cette commission des dix a fait son travail. Dans un premier temps, Nonna Mayer a été la seule à obtenir le plus de voix mais elle n’a pas eu les deux tiers nécessaires au CA pour être proposée à la présidence. C’est à ce moment-là, alors qu’aucun autre candidat n’avait réussi à s’imposer, que les membres de la commission, élus comme représentants et représentante des fondateurs mais aussi collègues de Sciences po, enseignants et salariés m’ont demandé de me présenter en affirmant que j’étais la seule personne susceptible de recueillir les deux tiers au CA et, plus largement, de faire consensus dans Sciences Po et au dehors. Nous avons rarement vu une concertation aussi large dans la communauté académique. Par ailleurs, un texte, signé par toutes les directions des unités de recherche et des départements a été publié dans Le Monde. Il dénonçait les attaques contre Nonna Mayer et soutenait ma candidature.

Alors que la crise est derrière nous, le processus de désignation de la prochaine direction devra montrer que nous sommes capables de procéder à une élection dans la sérénité. »

LPN : Parmi les critiques formulées par les représentant.e.s étudiant.e.s au conseil d’administration, on retrouve une accusation d' »absence de démocratie étudiante concrète” dans un processus où la voix des étudiant.e.s serait “totalement marginalisée.” Selon vous, faut-il repenser la place des étudiant.e.s dans cette procédure ?

« Pour ce qui est de la procédure de désignation de la prochaine direction, Raphaël Zaouati, qui est l’un des vice-présidents du conseil de l’Institut, siège dans la commission de proposition et travaille déjà avec nous. Quant au choix des personnalités extérieures, qui participent à cette commission, les conseils ont préféré désigner des personnalités d’expérience qui seront très utiles car elles ont davantage l’habitude que certains et certaines d’entre nous de ce genre de recrutement. Il faut avoir la modestie de reconnaître que nous n’avons pas forcément toute l’expérience nécessaire pour procéder sans avis extérieur à cette désignation. Enfin, rappelons-nous que ce sont bien les membres des conseils d’administration et de l’Institut qui, In fine, par leurs votes, feront, aux autorités de nomination, la proposition de la prochaine directrice ou du prochain directeur de Sciences Po. Or, il y a 8 élus étudiants et étudiantes au CI [Conseil de l’Institut, ndlr], 2 au CA.

Par ailleurs, les étudiants et les étudiantes qui sont représentées au conseil d’administration devraient être plus à l’aise lors de séances qui seront plus longues et où la parole circulera d’autant mieux que la présidente se donne pour objectif d’en faire un organisme vivant, de dialogue et de délibérations fondées. La séance récente, du 19 mai, a duré trois heures et non plus deux et la discussion fut instructive. »

LPN : Depuis le début de cet entretien, nous avons cité à plusieurs reprises la FNSP mais pour les étudiant.e.s, la distinction n’est pas toujours claire entre le travail de la FNSP et celui de l’IEP. Concrètement, pouvez-vous rappeler les missions de l’une et l’autre de ces institutions ? 

« Commençons par la FNSP. Selon les statuts de 2015, elle a pour objet de favoriser « le progrès » et « la diffusion » en France et à l’étranger, de sciences politiques, économiques et sociales. Elle fixe le cadre général de l’action de l’établissement. Elle assure la gestion administrative et financière de l’Institut et détermine ses moyens de fonctionnement, notamment les droits de scolarité pour les diplômes propres à l’institut, ainsi que les moyens consacrés à l’enseignement et à la recherche. Elle peut aussi assurer l’organisation de bibliothèques, de centres de documentation, d’études et de recherches, elle peut mettre en place des chaires, des bourses d’études et de voyages, l’édition et la diffusion de publications dans les matières qui relèvent de son objet.

Quant à l’Institut d’études politiques, c’est un établissement public d’enseignement supérieur qui a les mêmes missions que n’importe quelle université. Je sais que cette singularité statutaire est un peu difficile à lire mais elle nous permet de bénéficier, depuis plus de soixante-quinze ans, d’une grande autonomie en matière d’enseignement et de recherche. C’est ainsi que nous avons pu acquérir la réputation et l’attractivité nationale et internationale qui sont les nôtres aujourd’hui. »

LPN : Suite à la démission de Frédéric Mion le 9 février 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a nommé Bénédicte Durand comme administratrice provisoire de Sciences Po. Comment envisagez-vous le travail avec Madame Durand durant cette période de transition ?

« Nous travaillons en bonne intelligence et d’autant mieux que nous nous connaissons. J’ai fait partie de celles qui soutenaient les réformes utiles conduites par Bénédicte Durand. Elle a toutes les qualités pour mener à bien sa mission dans ces temps difficiles. »

LPN : Comment souhaitez-vous que se déroule la nomination du nouveau directeur ou de la nouvelle directrice de l’IEP ? 

« La procédure est organisée par nos statuts. Nous y avons ajouté, Jeanne Lazarus, la présidente du conseil de l’Institut et moi qui co-dirigeons le processus, deux éléments qui nous semblent la renforcer : des personnes et des communautés de Sciences Po qui le veulent pourront rédiger et diffuser, sur une page web dédiée, des contributions à l’attention des candidates et candidats mais aussi des différentes communautés dont la commission. En outre, pour sélectionner les candidats aux différentes étapes du processus, la commission de proposition bénéficiera de l’accompagnement du cabinet Russell-Reynolds dont le métier est le recrutement.

Ce qui est prévu par nos statuts est d’abord de constituer une commission chargée de préparer la proposition qui sera faite aux deux conseils en vue de la nomination du prochain directeur ou de la prochaine directrice de Sciences Po. Cette commission de proposition est composée de douze membres : les quatre membres du bureau du conseil d’administration (présidente et vice-présidents), les quatre membres du bureau du conseil de l’Institut, et quatre personnalités qualifiées qui ont été élues par ces deux conseils.  À l’issue de l’examen des dossiers et des auditions, la commission sélectionnera un ou plusieurs candidats. Elle transmettra sa proposition au conseil d’administration de la FNSP et au conseil de l’IEP. Les deux conseils auditionneront le ou les candidat(es) et candidat(s) sélectionné(s). Chaque conseil se réunira et votera. En cas d’accord des conseils, ils transmettront leur proposition aux autorités de nomination (le président de la République et la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation). En cas de désaccord, les bureaux des deux conseils se réuniront conjointement, discuteront et voteront à nouveau avant de proposer une nouvelle liste aux conseils.  Si le désaccord persiste, un nouvel appel à candidatures sera lancé.

Lorsque les deux conseils parviendront à un vote concordant, la nomination du directeur ou de la directrice et de l’administrateur ou de l’administratrice fera l’objet, respectivement, d’un décret du président de la République et d’un arrêté de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Si tout va bien, nous devrions avoir une direction à l’automne. »

Propos recueillis par Elise Ceyral et Sarah Miansoni.

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