Génération Z : le polémiste Zemmour invite la polémique à Sciences Po

Du 29 septembre au 2 octobre, nous avons choisi les initiatives étudiantes que Sciences Po soutiendra ce semestre. Parmi elles, Génération Z, initiative homonyme au récent mouvement de soutien à la candidature présidentielle d’Eric Zemmour, a fait des émules. J’ai rencontré l’un des porteurs du projet d’extrême droite ainsi que le président de Nova et le secrétaire général de l’Unef, deux des organisations étudiantes qui se sont manifestées contre, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants du scandale.

Tout le monde se demande quand est-ce qu’il sera à Sciences Po. Depuis que l’initiative étudiante Génération Z a été élue, l’ombre d’Éric Zemmour plane sur notre établissement, électrisant les esprits. A l’image de son inspirateur, l’initiative exacerbe les clivages et fait la polémique. Reprenons depuis le début.

Fin septembre, Sciences Po nous présentait la liste des initiatives étudiantes, nous laissant ainsi quelques jours pour choisir quelles seraient celles qui obtiendraient nos votes sur le campus de Paris. Plusieurs dizaines d’entre elles se bousculent pour obtenir les 120 voix nécessaires pour bénéficier pendant un semestre des mêmes moyens que ceux mis à disposition des associations étudiantes reconnues. On y retrouve des projets très sérieux, comme EELV Sciences Po ou le Cercle marxiste de Sciences Po, mais aussi des idées plus étonnantes telles que Sciences Roulades, dont on n’a d’ailleurs pas très bien compris le sens profond… Et dans le lot, il y a Génération Z. Pour la faire courte, mais on y reviendra, Génération Z c’est un mouvement insufflé par des jeunes et s’articulant autour de l’hypothétique candidature du polémiste d’extrême droite Eric Zemmour. Polémiste ? Extrême ? Droite ? Il y a là de quoi donner des sueurs froides à pas mal d’étudiants, surtout à Sciences Po où la balance générale penche plutôt à gauche ! Sitôt les initiatives publiées, lundi 27 septembre, les promoteurs de Génération Z reçoivent des messages hostiles sur Messenger. Mais la réaction gagne en virulence lorsque trois organisations étudiantes publient tour à tour des communiqués nous mettant en garde où nous faisant part d’une vive désapprobation. Je nomme l’Unef, Solidaires et Nova. 

Solidaires tient des propos dont la véhémence aura le lecteur pour seul juge : “le discours et le projet politique portés par Eric Zemmour sont éminemment toxiques et dangereux. Tou-te-s les étudiant-e-s doivent pouvoir fréquenter leurs lieux d’études sans craindre les menaces ou les agressions. Cela sera impossible si des fascistes comme Zemmour sont autorisés à y faire campagne”. L’organisation rouge vermillon, pour qui “les tendances les plus nauséabondes se manifestent jusque dans nos lieux d’études”, s’en prend également à d’autres initiatives jugées trop éloignées de leurs valeurs, comme Le Printemps Républicain et Le Souvenir Français, ainsi que Sciences Pécho, accusée de vouloir développer des cours de séduction. Nova et l’Unef, dont les billets sont assez similaires, rappellent leur vive opposition “aux thèses et aux propos haineux et violents d’Eric Zemmour” et appellent à voter contre cette initiative. 

Afin de mieux comprendre comment a été vécue la polémique par les deux partis et quelles étaient leurs positions, ainsi que leurs projections, j’ai rencontré Raphaël, le Président de Nova, Geoffroy, secrétaire général de l’Unef et Lucien (nom anonymisé), l’un des trois noms qui ont signé l’initiative Génération Z. Lucien, loin d’être découragé par l’hostilité qu’on lui témoigne, préfère croire que les trois réactions formelles sont un bon coup de pub’ pour son initiative. Il me dévoile d’ailleurs avant l’heure des résultats qui ne démentent pas son intuition : Génération Z a recueilli 202 votes, qui sont largement suffisants pour être validés. Chez Nova comme à l’Unef, la question de la visibilité malencontreusement offerte s’est posée. Mais Raphaël est catégorique : l’important, c’était de réagir, de faire quelque chose, ne serait-ce que pour honorer la confiance des électeurs de Nova, voilà ce qui a conduit à une décision immédiate et unanime de l’équipe. Du reste, plusieurs malentendus ont visiblement contribué à ce conflit. 

L’initiative Génération Z ne prétend pas être un comité de soutien à Eric Zemmour. Ce serait plutôt un cercle de réflexion autour de ses idées, un lieu de débat critique afin d’identifier ce qui, chez le polémiste, est à garder, à améliorer ou à jeter. Le texte développant le projet que nous avons tous reçu est assez clair : il s’agit d’”organiser un cercle de réflexion autour de son projet politique. [L’initiative souhaite], dans le dialogue, échanger sur tous les thèmes cruciaux : transition écologique, éducation et culture, immigration, santé, sécurité…” La transition écologique dans le discours de Zemmour ? Je ne pouvais pas ne pas taquiner Lucien ! Sa réponse est édifiante : Zemmour parle assez peu d’environnement, me concède-t-il, mais justement, ce pourrait être une innovation de Génération Z Sciences Po Paris que d’intégrer cette problématique au mouvement ! Condamner cette initiative sans retenue, comme l’a fait Solidaires ou l’Unef, n’est possible qu’en ignorant son objectif réflexif. Une position assumée par Geoffroy qui refuse de croire que Génération Z puisse être autre chose qu’un soutien aveugle au personnage.

Mais d’un autre côté, Génération Z se méprend elle aussi lorsqu’elle accuse Nova d’une attitude anti-démocratique (basée sur le rejet en bloc d’une fraction politique et le refus de la pluralité). Raphaël insiste sur ce point : Nova ne censure pas à priori Génération Z. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son communiqué (“le débat d’idée est déjà largement assuré par les associations étudiantes existantes, pour qu’il ne soit pas nécessaire, pour le faire vivre, de voter pour une initiative marquant clairement son soutien à Eric Zemmour”, ce qu’il faut comprendre par “Zemmour ne participe pas au débat d’idée, il est donc dispensable à la pluralité”), la volonté de Nova n’est pas d’empêcher la pluralité en empêchant Génération Z. Il s’agit plutôt, d’une part, de donner une consigne de vote aux étudiants qui veulent bien la suivre et d’autre part, de mettre en garde contre les potentielles dérives illégales et contraires aux valeurs républicaines d’une telle initiative. Craintes inspirées par Zemmour lui-même qui, en la matière, n’en est pas à son coup d’essai. En effet, il a été condamné en 2011 pour provocation à la haine raciale et en 2018 pour provocation à la haine religieuse envers les musulmans. D’ailleurs, Nova n’a pas voté contre les initiatives étudiantes comme l’ont fait Solidaires et l’Unef, actant de ce fait sa priorité au respect des procédures. Ainsi, aller à la rencontre des différentes parties m’a laisser penser qu’elles auraient gagné à davantage communiquer entre elles. L’initiative aurait peut-être réussi à faire comprendre son objectif, tandis que Nova et l’Unef auraient eu l’occasion d’expliquer leurs craintes et leurs choix. 

Ce manque de clarté, nous le retrouvons dans la question du vote des initiatives. Le lundi 4 octobre, les membres du CVEF, le Conseil de la Vie Étudiante et de la Formation, se sont réunis pour approuver ou non en bloc toutes les propositions étudiantes à l’issue d’un vote. Accrochez-vous bien, c’est ici que ça se complique. 

Comme le rappellent Geoffroy et Raphaël, le CVEF ne doit sanctionner que la procédure du vote, et non la valeur idéologique des initiatives. Ce contrôle est fait en amont par Sciences Po, qui nous a par exemple empêché de voter pour Sciences Pécho, supposée sexiste. Le secrétaire général de l’Unef, très critique à l’égard de l’administration qui selon lui cherche à tout prix à éviter les scandales, affirme donc que, Sciences Po n’ayant rien fait fait contre Génération Z, c’était au CVEF d’agir. C’est pourquoi la présidente étudiante du CVEF (qui est aussi membre de Nova) a tenu une réunion informelle avec d’autres élus étudiants membres du CVEF, dont ceux des trois organisations qui nous intéressent, pour prendre l’avis de tous concernant Génération Z. Cette formulation inoffensive, que l’on doit à Raphaël, est loin de la “manigance” dont parle Lucien, qui souligne que l’élue de l’UNI (Union Nationale Inter-universitaire), célèbre mouvement de droite, n’était pas invitée. Geoffroy est peut-être celui qui tient le discours le plus limpide sur cette réunion. Il confie que le but de la réunion était de se mettre d’accord pour demander un vote séparé pour Génération Z afin de la refuser sur critère idéologique. Il justifie cela en affirmant qu’un vote idéologique ne relève pas beaucoup plus de l’interprétation du règlement de scolarité qu’un vote procédural. Quoi qu’il en soit, l’administration a refusé le vote différencié. Il était donc impossible de rejeter Génération Z sans rejeter toutes les autres initiatives et engager un nouveau vote. Le CVEF est composé de huit élus étudiants (dont la co-présidente), de huit professeurs (dont le co-président) et de deux représentants du personnel. Solidaires et l’Unef (cinq élus en tout) ont voté en bloc contre, de même qu’un professeur. L’UNI a voté pour. Quant à Nova, Geoffroy dénonce leur manque de cohérence : une abstention et un pour, celui de la co-présidente (elle porte également l’une des initiatives). Si bien que finalement, il y a eu autant de votes pour, le 4 octobre, que de votes contre. Ce fut donc au co-président professeur de trancher et d’approuver en bloc les initiatives. 

L’UNI (dont le président à Sciences Po est porteur de Génération Z) a souhaité réagir à cet évènement en affirmant que Solidaires et l’Unef “démontrent clairement leur manque de considération flagrant envers la vie associative” qui se traduit par un “vote anti-démocratique” (puisque niant le vote favorable des étudiants).

La lutte est-elle finie pour les trois organisations mobilisées ? Plus ou moins. Si Sciences Po a déjà validé le contenu de l’initiative puisqu’elle a pu nous être présentée, Raphaël espère bien demander à l’administration une deuxième examination. Du reste, il est formel : si Génération Z n’est pas légalement reprochable, Nova ne se manifestera plus contre elle. L’Unef va également attendre que Génération Z dérape pour s’en prendre à nouveau à elle. Cependant, le combat contre l’extrême droite perdure, comme il s’est illustré le mardi 19 octobre à travers une réunion organisée par les principales organisations de gauche de Sciences Po.

Avant cela, il semblerait que nous ayons à supporter les idées de Zemmour pendant au moins un semestre. Qu’est-ce que cela signifie pour Sciences Po ? Selon Lucien, les chiffres sont éloquents. Un étudiant sur quatorze a soutenu son initiative, ce qui prouve selon lui que l’extrême droite n’est pas marginale, même à Sciences Po (l’Unef tempère cet enthousiasme : le véritable plébiscite s’élève à environ 1200 voix pour certaines initiatives). Satisfait d’avoir également recueilli des messages encourageants, il dépeint fièrement certains de ses électeurs : ce sont des gens de droite, voire du centre, qui ont été séduit par l’audace du vote Zemmour et par la soif de pluralité. Il y voit une sorte d’éveil de la minorité silencieuse, c’est-à-dire que là où la gauche est majoritaire, les étudiants tentés par l’extrême droite ont enfin le courage de le revendiquer. Ce qu’il soulève est très intéressant. D’une part, est-il vrai que les idées de droite sont si présentes dans notre école ? Et d’autre part, plus important encore, est-il vrai que certains d’entre nous peinent à assumer leurs affinités idéologiques ?

Pour celles et ceux qui ne visualisent pas bien à quoi correspond Génération Z (le mouvement, pas l’initiative), ni quel est son lien avec Eric Zemmour, une petite remise à niveau ne fera pas de mal. Génération Z, c’est un mouvement de jeunes lancé en février 2021 avec pour objectif de “rassembler la jeunesse de France autour de la candidature d’Eric Zemmour en vue des élections présidentielles 2022”, peut-on lire sur le site. Le porte-parole de Génération Z, Stanislas Rigault, explique que l’idée du collectif est de se tenir prêt pour soutenir Zemmour lorsqu’il officialisera sa candidature, ce qui est le grand espoir de son mouvement. Sur leur site, “Les idées de Z” s’articulent autour de quatre thématiques : éducation, immigration, politique et international (pas d’environnement ? Bon, passons). 

Une fois dressé un bref bilan du déclin de l’éducation en France, on peut lire que placer l’enfant au cœur de son apprentissage est une mauvaise chose à laquelle il faut préférer le « par cœur ». L’immigration est naturellement un fléau pour notre enseignement, qu’il faut corriger par la méritocratie et la diffusion du patriotisme dans les cours d’histoire, quitte à nier par exemple les horreurs idéologiques et matérielles du colonialisme.

En matière d’immigration, Zemmour prône la préférence aux Français “bien français” : ils doivent avoir un meilleur accès aux études, aux soins et aux allocations que les étrangers et les immigrés. Le droit d’asile doit être supprimé pour endiguer l’”invasion migratoire”. Il dénonce très fortement l’espace Schengen qu’il accuse de favoriser le terrorisme et il regrette une acceptation plus large des clandestins. Fervent défenseur de l’assimilation, le polémiste affirme que les immigrés doivent adorer Bonaparte et Jeanne-d’Arc et adopter des prénoms du calendrier chrétien.

Dans son chapitre politique, Zemmour défend le 49 alinéa 3 et rappelle de ses vœux le septennat. Il dénonce l’Etat de droit, apparemment incompatible avec la démocratie (parce qu’il exige le contrôle des juges qui nuirait à l’efficacité politique). Le référendum d’initiative populaire a ses faveurs, mais pas l’Etat profond (organisation interne à l’Etat, sorte d’Etat dans l’Etat, qui lui aussi rendrait plus difficile l’autorité du dirigeant). 

Enfin, il veut se rapprocher de la Russie et cesser l’aide au développement en Afrique.

Le journaliste, bien qu’il n’ait pas encore annoncé sa candidature aux élections présidentielles de 2022, reçoit un soutien de plus en plus visible dans les sondages. À tel point que la semaine dernière un sondage Harris International le plaçait en deuxième position, derrière Emmanuel Macron et devant Marine Le Pen, la candidate d’extrême droite. Zemmour a toutefois sollicité les parrainages de 500 maires nécessaires pour se présenter.

Sciences Po est en fin de compte le théâtre des mêmes symptômes que le reste de la France. Eric Zemmour, pourtant pire que l’inacceptable Le Pen, séduit. Il représente pour beaucoup l’audace, le renouveau, ou plutôt le retour de l’ancien, et cela plaît. Qu’un ardent défenseur des discriminations complètement obsédé par l’imigration et les arabo-musulmans mais pas du tout concerné par les crises environnementales et sociales réussisse à amasser les foules donne à réfléchir.

Crédit image : ©Ambre Bertocchi