Élections dans l’Etat de Georgie : un long fleuve tranquille ?
L’État de Géorgie est ce que l’on appelle un « solid republican state», avec un soutien pour Mitt Romney estimé à 53% par les récents sondages. Et cela n’a pas grand chose d’étonnant : État phare de la « Bible belt » (70% de Protestants, 13% de non religieux), anciennement sécessionniste, blanc à presque 60%, les racines de ce Républicanisme sont nombreuses. Cependant, la situation est un peu différente à Atlanta, capitale de la Georgie, et à Georgia Tech, où j’habite et étudie depuis trois mois.
Atlanta la Démocrate
Atlanta est une ville « jeune » (1847) qui, pendant le mouvement des Droits Civiques (1955-1968) a gagné la réputation de « too busy to hate » – comprenez « trop occupée pour haïr ». Moteur du Nouveau Sud, ville natale de Martin Luther King qui y fonda la « Southern Christian Leadership Conference », considérée comme le berceau du mouvement pour les droits civiques et ayant élu pour la première fois en 1981 un maire noir (Andrew Young), Atlanta a une longue histoire libérale.
Aujourd’hui et depuis 2008, Atlanta a un maire noir démocrate, Kasim Reed, et une population majoritairement africaine-américaine (54%). Atlanta est aussi la troisième ville des États-Unis en terme de population LGBT, derrière San Francisco et Seattle. Ces facteurs historique, ethnique et sociologique concourent à faire d’Atlanta un noyau libéral au cœur d’un État plutôt très conservateur. Cela ne change cependant pas grand chose à l’élection.
Un non-intérêt flagrant
Le système électoral américain est particulier car il est indirect. Les Américains ne votent pas pour un candidat, mais pour des grands électeurs qui à leur tour éliront le président et le vice-président. Chaque État dispose d’un certain nombre de grands électeurs, proportionnellement à sa population. La Géorgie en compte 16, bien loin des 55 grands électeurs de Californie mais bien plus que les 3 trappeurs du Montana. Par ailleurs, à l’exception du Maine et du Nebraska, chaque État applique le principe du « winner takes all » selon lequel le parti arrivé en tête dans chaque état remporte la totalité des grands électeurs. Exemple : si les électeurs de Géorgie votent en majorité pour les grands électeurs Républicains, alors les 16 grands électeurs de Géorgie voteront pour Mitt Romney lors de l’élection finale. Pour être élu, un candidat à la présidentielle a besoin de 270 grands électeurs et peu importe le « popular vote » ; Bush fut ainsi élu en 2000 avec un nombre de grands électeurs juste supérieur à celui d’Al Gore alors même qu’il avait bénéficié de moins de soutiens populaires. Il avait su s’imposer dans les « swing States », qui sont ce soir encore la véritable clé du scrutin. Selon les récents sondages du statisticien Nate Silver, Obama disposerait de 313 grands électeurs contre 225 pour son concurrent républicain : sa réélection serait assurée à 90%.
Ce système compte plusieurs défauts, à commencer par le fort taux d’abstention qui en résulte : il était de 43,2% en 2008 et risque de marquer de nouveau ces élections. Et pour cause, le système du « winner-takes-all » réduit fortement l’impact des électeurs : par exemple la Géorgie, qui n’est pas un « swing state », se caractérise par une orientation politique républicaine presque immuable. Le candidat Républicain considèrera l’État comme acquis, le candidat Démocrate le considérera comme perdu. Dans les deux cas, aucun candidat ne viendra « convaincre » qui que ce soit et il est fort probable que les électeurs démocrates se déplacent peu pour élire des grands électeurs démocrates : le sort en est jeté. Ainsi, ce non-intérêt de la part des candidats est souvent couplé avec un non-intérêt plutôt flagrant des électeurs : on n’entends pas parlé des élections à Atlanta. En revanche, Georgia Tech est encore un autre microcosme qui tranche avec le libéralisme Atlantien.
Républicanisme d’héritage pour les étudiants
Situé au cœur de la ville, le campus de Georgia Tech est un petit vivier républicain. Mais d’un républicanisme que je qualifierai « d’hérité ». La sociologie urbaine d’Atlanta a ceci d’intéressant qu’elle est opposée à celle plutôt commune en France : vivre dans le centre-ville est un signe de pauvreté, et est considéré comme « dangereux ». Et c’est vrai : la pauvreté est criante dans le centre d’Atlanta, et il ne fait vraiment pas bon s’y promener seul(e) la nuit tombée. Toutefois, la « banlieue » Atlantienne, sobrement surnommée « suburbia » est un repère de WASPs républicains qui envoient leurs enfants à Georgia Tech.
J’ai été très surprise de constater la pauvreté des débats politiques étudiants, quand il y en avait. En effet, si les résidents de la Maison Internationale (où je vis) sont plutôt pro-Obama et débattent volontiers des problématiques sociales, beaucoup des étudiants « Républicains » font preuve d’une fermeture d’esprit peu commune et ne répondront pas autre chose que «je ne vois pas pourquoi je paierais pour des paresseux » à la question « pourquoi es-tu contre Obamacare ? ». Mes différentes tentatives (souvent vaines) de déclencher le débat avec mes amis Républicains (sympas au demeurant) se sont soldées par la conclusion suivante : la plupart de ces étudiants sont républicains car leurs parents, souvent très aisés, le sont. Ils manquent par conséquent d’arguments « solides » (un « f*ck Obama, that’s all » ne constituant pas à mes yeux, une raison valide de voter Romney). Ils ne manquent en revanche pas « d’humour » : j’ai vu plusieurs étudiantes arborer un t-shirt « I survived Roe v Wade » (décision de justice légalisant l’avortement en 1972). Rappelons que la Géorgie est par ailleurs un ancien état sécessionniste : l’habituelle méfiance Américaine envers le pouvoir fédéral y est encore plus forte.
Il est également intéressant d’analyser le rôle paradoxal du facteur religieux. Si le drapeau protestant est brandi à chaque fois que l’occasion se présente de critiquer la consommation d’alcool, la sexualité avant le mariage, la nécessité de « vendre des pancakes pour guérir le cancer » et lever des fonds pour l’hôpital local, il disparaît dès lors qu’il s’agit de partager les richesses. On pourrait arguer que c’est cohérent avec l’esprit capitaliste Américain mais la réalité est autre : le « community spirit » est très fort aux Etats-Unis et les mobilisations solidaires type donations massives pour certaines « catastrophes ponctuelles » (e.g les ouragans Katrina ou Sandy) sont communes. Là réside le paradoxe : si vous êtes « out of the community », alors la solidarité n’a plus lieu d’être.
Ce soir, le combat sera tendu entre Barack Obama et Mitt Romney et personne ne clame avec certitude le nom du vainqueur. Cela dit, la Géorgie a depuis longtemps choisi son candidat, ce qui réduit le débat politique sinon au néant du moins à un sujet trivial de fin de soirée.