Billet d’opinion – La Kavale de Kavanaugh
C’est officiel : ce samedi 6 octobre dans l’après-midi, le Sénat a confirmé Brett Kavanaugh à la Cour Suprême par un vote de 50 à 48 voix, le vote de confirmation le plus serré depuis 1881. Un événement marqué par les accusations d’agressions sexuelles contre Kavanaugh et l’extrême polarisation partisane qui pourrait entraîner des conséquences durables pour le système légal américain et pour le statut de la Cour Suprême.
« Je voterai pour la confirmation de Brett Kavanaugh ». Cette phrase de la sénatrice républicaine du Maine Susan Collins assurait le succès de sa nomination à la Cour Suprême vendredi soir. Cela s’est confirmé samedi par un vote de 50 voix pour et 48 contre au Sénat. 49 républicains et un seul démocrate ont voté pour, et 48 démocrates ont voté contre. Deux sénateurs républicains n’ont pas voté. Ce vote de confirmation est l’aboutissement d’un processus de confirmation marqué par plusieurs accusations d’agression sexuelle formulées contre le juge Kavanaugh.
Le 9 juillet, le président Donald Trump avait en effet proposé ce juge à la Cour Suprême pour remplacer le juge conservateur modéré Anthony Kennedy, cette nomination faisant basculer la Cour dans le camp conservateur… et lançant directement un débat partisan et polarisé entre soutiens et opposants du juge.
De multiples accusations d’agression sexuelle
Mais c’est au début des séances d’examen du comité judiciaire du Sénat que tout a basculé : une lettre écrite par Christine Blasey Ford, professeure de psychologie de l’Université de Palo Alto, accusant Brett Kavanaugh de tentative de viol lors d’une soirée lorsqu’ils étaient au lycée, a été révélée au public le 16 septembre. Le comité judiciaire du Sénat a convoqué Ford pour une audition le 27 septembre. Entre-temps, deux autres femmes, Deborah Ramirez et Julie Swetnick, ont accusé Kavanaugh de les avoir droguées puis agressées sexuellement lorsqu’ils étaient au lycée.
Le Sénat n’a cependant retenu que le témoignage de Christine Ford, refusant d’auditionner les autres accusatrices. Le climat de l’audition de Ford a été très tendu et partisan, les démocrates défendant la véracité des accusations et les républicains remettant en question celles-ci. Ford, « terrifiée » selon ses propres mots, a déclaré « à 100% de certitude » que c’était Kavanaugh qui avait essayé de la violer.
Les questions des démocrates se sont concentrées sur les faits, sur la tentative de viol, tandis que les républicains ont interrogé Ford à propos d’aspects n’ayant rien à voir avec les accusations, comme la localisation de la soirée. En définitive, des questions témoignant de deux univers parallèles entre les deux partis.
La polarisation du débat
Mais c’est la déclaration de Kavanaugh qui a soulevé la polarisation partisane du pays. Le juge a employé un vocabulaire extrêmement partisan, une attitude jamais vue dans l’histoire de la Cour Suprême. Il a déclaré que « cet effort depuis deux semaines est un coup politique calculé et orchestré contre le Président Trump et le résultat électoral de 2016 », et il a même affirmé qu’il s’agissait d’une « vengeance de la part de la famille Clinton ».
Paradoxalement, c’est ce discours véhément qui a facilité la confirmation de Kavanaugh. Par son appel au complot, il a réussi à mobiliser les bases du parti républicain, motivées en réponse aux nombreuses protestations contre Kavanaugh et aux questions des démocrates. Là où les démocrates ont vu un comportement inacceptable et impropre d’un juge de la Cour Suprême, les républicains ont vu un homme honnête outré par des propos fallacieux.
En effet, un sondage mené par la National Public Radio (NPR) le 1er octobre montre que 76% des sympathisants démocrates croient Ford et 5% croient Kavanaugh, alors que chez les républicains seuls 8% des sympathisants croient Ford et 76% croient Kavanaugh. Ces pourcentages se retrouvent également chez les femmes : alors que 74% des femmes démocrates croient la professeure Ford, seul le 9% des femmes républicaines la croient, et 4% des femmes démocrates croient le juge Kavanaugh tandis que 73% des républicaines le croient.
Dans ce contexte extrêmement polarisé, et avec un Sénat très divisé (le Sénat compte 51 républicains et 49 démocrates), les sénateurs modérés ont joué un rôle clé dans la confirmation de Kavanaugh à la Cour Suprême.
Le démocrate Joe Manchin, sénateur de Virginie Occidentale, a voté pour la confirmation du candidat. Ce démocrate conservateur fait face à la réélection en novembre 2018 dans un Etat où Donald Trump a devancé Hillary Clinton de 42 points. Du côté républicain, la pression était forte sur les sénatrices modérées d’Alaska, Lisa Murkowski, et de Maine, Susan Collins. Lors du vote procédural du vendredi 5 octobre permettant de clôturer le débat sur la confirmation, la première a voté contre le candidat alors que la dernière l’a soutenu, assurant ainsi la confirmation de Brett Kavanaugh à la Cour Suprême.
C’est ainsi que Kavanaugh a prêté serment le 6 octobre, après le vote définitif du Sénat, et est devenu le deuxième juge de la Cour Suprême nommé par Donald Trump.
Une Cour Suprême conservatrice et contestée
Cette confirmation pourrait provoquer un changement durable de la jurisprudence américaine. En effet, la Cour Suprême bascule historiquement dans le camp conservateur. Plusieurs arrêts historiques de la Cour Suprême pourraient être révoqués. Le plus important, sans doute, l’arrêt Roe v. Wade de 1973 qui consacre le droit à l’avortement comme droit constitutionnel, et qui est depuis une cible privilégiée des attaques des secteurs conservateurs.
Mais d’autres droits risquent aussi de disparaître : l’arrêt de 2015 légalisant le mariage homosexuel à l’échelle nationale pourrait être révoqué, ainsi que les arrêts défendant la discrimination positive (« affirmative action« ) au travail et la condition des détenus. L’Affordable Care Act, réforme sanitaire également connue sous le nom d’Obamacare, pourrait être déclarée inconstitutionnelle par la nouvelle Cour. Kavanaugh est également connu pour sa belligérance en faveur des patrons et contre les syndicats, et pour sa défense de l’immunité présidentielle, à un moment où une enquête sur la possible collusion entre la campagne de Trump et la Russie est menée.
La confirmation de Kavanaugh pourrait également comporter des conséquences à long terme sur la crédibilité de la Cour Suprême : désormais deux des six hommes siégeant à la Cour Suprême, c’est à dire un tiers, ont été accusés d’agression sexuelle. En effet, Clarence Thomas, juge conservateur nommé en 1991, avait également fait l’objet d’accusations de la part l’avocate Anita Hill, sa conseillère lorsqu’il travaillait au département d’éducation, pour harcèlement sexuel.
Ainsi, a légitimité de la Cour Suprême pourrait se voir endommagée. A une période de polarisation, la cour, seule institution qui reste valorisée par démocrates et républicains, risque de devenir une nouvelle arme politique. La tournure conservatrice de la nouvelle cour pourrait encourager les démocrates à utiliser la procédure d’impeachment contre Brett Kavanaugh lorsqu’ils récupèreront la Chambre des Représentants. Cette procédure, bien que présente dans la Constitution, n’a été déclenchée qu’une seule fois contre un juge de la Cour Suprême, en 1804, et elle n’a jamais abouti. Les démocrates pourraient aussi recourir au ‘court packing’, législation tentée par Franklin Delano Roosevelt dont le but était de rajouter des membres supplémentaires à la Cour Suprême, afin d’obtenir une majorité favorable. Ces pratiques exacerberaient la polarisation et plongeraient la Cour Suprême dans un discrédit permanent.
Jon Urtiaga Erneta