Le Mag’ : Bernanos, un « homme qui n’est pas à vendre »

Il serait tentant d’enterrer Georges Bernanos au Panthéon des écrivains salauds, en sa qualité d’auteur catholique, royaliste et antidémocrate. Cependant, la ligne directrice de l’œuvre de Bernanos, qu’elle soit romanesque ou philosophique, c’est son amour inconditionnel de la liberté. Voilà comment les vieux de la vieille garde maoïste, néo-maurrassiens, hussards et orwelliens, se retrouvent chez cet auteur.

Antidémocrate, antitotalitaire, Bernanos dénonce et combat tous régimes qui, selon lui met à mal son idéal romantique et proprement français de la Liberté.

Bernanos et la démocratie

Lors de son exil brésilien, Bernanos espère créer une « Petite France ». Celle-ci est celle des français de l’ancien régime qu’il considère comme élevés avec le goût de la liberté, chose dont l’homme né en démocratie est totalement dénué. Selon lui, La nouvelle France, plongée dans l’égalitarisme, a tué la liberté. La démocratie, ou la loi du nombre, promeut une  » civilisation de la quantité «  et le  » règne des imbéciles «  (terme cher à l’auteur).

Par lui-même :« Un monde dominé par la force est un monde abominable, mais le nombre dominé par le nombre est ignoble. La force fait tôt ou tard surgir des révoltés, elle engendre l’esprit de révolte, elle fait des héros et des martyrs. La tyrannie abjecte du nombre est une infection lente qui n’a jamais provoqué de fièvre. Le nombre crée une société à son image, une société d’êtres « non pas égaux mais pareils, seulement reconnaissables à leurs empreintes digitales. »

Anti-totalitaire et anti-américaniste

Bernanos est profondément antitotalitaire dans la mesure où l’Homme nouveau est selon lui une sottise absolue. La modernité ne l’intéresse pas. D’après l’auteur, elle est nocive car asservit les hommes. Voilà pourquoi, dès la fin de la guerre, Bernanos dénonce la complaisance des Occidentaux envers le régime stalinien. Il affiche également un anti-américanisme précoce, considérant que les deux régimes sont des régimes capitalistiques, recherchant la production de masse.

Non content de critiquer les fins, Bernanos critique également les moyens. La machinerie fait l’objet d’un essai entier de Bernanos « La France contre les robots » où il critique les nouveaux moyens de production où l’homme n’est plus créateur mais esclave de la machine. Elle intéresse les cinéastes des deux blocs, en URSS chez Eisenstein, aux Etats-Unis chez Chaplin. Enfin, par les actes, Bernanos montre son courage politique en quittant l’Espagne dès 1936 après avoir assisté aux massacres commis par les franquistes qu’il dénoncera en 1938 dans un pamphlet intitulé « Les grands cimetières sous la lune ». Durant la Seconde Guerre Mondiale, il présidera par ailleurs le Comité de la France Libre de Rio.

Face aux dogmes, un homme incorruptible

Le jeune Bernanos, catholique fervent, monarchiste passionné, participait jusqu’à la fin de la guerre aux différents colloques et activités culturelles de l’Action Française.  C’est sous l’influence morale du vieux maître de Martigues que Bernanos, fait ses premières armes dans le politique. Sa foi et son passage parmi les Camelots, ont fait de Bernanos un véritable réactionnaire. Le terme de réactionnaire est si souvent galvaudé, qu’il mérite que l’on s’y intéresse.

Le réactionnaire n’est pas un révolutionnaire, mais un révolté. La réaction ne doit s’envisager, non pas comme une révolution qui change un système politique et social du tout au tout, avec l’idée sous-jacente que l’Homme nouveau est envisageable et potentiellement créable, mais comme une révolte prônant le retour à la loi naturelle. La réaction se conçoit comme la supériorité de la loi naturelle sur la loi des hommes. Finalement, Antigone est la figure même, l’idéal type de la révolte réactionnaire. Cet amour pour l’ancienne France, son attachement aux campagnes et sa foi inébranlable inspirent ainsi largement les personnages du « Journal d’un curé de campagne » et de « Sous le soleil de Satan ».

L’œuvre de Bernanos survit à son époque par la modernité des sujets qui y sont traités. Sa pensée singulière est susceptible de rassembler de nombreuses figures antagonistes tels que Boutang, Pasolini ou Adorno, faisant de lui le plus énigmatique des anarchistes de droite, en sa qualité d’antidémocrate, de catholique, et de fervent défenseur de la liberté.