Armée et innovation en Israël

Faire son service militaire en Israël, ou comment devenir serial entrepreneur

L’armée peut sembler un colosse immuable, strict, calibré et cadencé. Alors comment pourrait-elle être une source d’innovation ? Comment donc pourrait-elle générer des inventions disruptives ? Difficile d’associer disruption et business avec treillis et képi, non ? Pourtant en Israël, l’armée a un rôle déterminant dans la culture entrepreneuriale du pays : elle  a une capacité à bousculer les règles établies et à susciter l’émancipation. De ce fait, elle est même citée comme l’un des éléments déterminants de la Start-up Nation israélienne. On devrait donc pouvoir l’affirmer : l’armée est moteur de l’innovation, même grand public. Regardons donc cela de plus près. 

Roulez jeunesse !

Replaçons le contexte si vous le voulez bien. En Israël, le service militaire est, on peut le dire, une « affaire d’Etat » : 2 ans et 8 mois pour les jeunes hommes, 2 ans et 5 mois pour les jeunes femmes.. Il concerne tous les jeunes gens de nationalité israélienne, à l’exception des Arabes israéliens (quelle que soit leur confession) et des juifs ultra-orthodoxes ou Haredim. Par ailleurs, le nombre de femmes se présentant au recrutement est en hausse (les femmes religieuses demandent généralement d’être exemptées). Cette armée est donc jeune et plutôt paritaire.

Durant leur service, tous ces jeunes acquièrent des compétences, mais surtout un état d’esprit, clef du succès de tout entrepreneur. Associez cet état d’esprit une nécessité d’innover (due à un contexte particulier), et vous obtiendrez pléthore de start-up et de licornes (ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars, pas les chevaux magiques). En tout cas, c’est ce que les chiffres nous laissent penser. 

Autre élément de contexte, la situation sécuritaire et géographique du pays : les frontières sont toutes fermées, 60% du territoire est constitué de désert, et les ressources en eau douce sont rares. Dans une telle situation, innover est devenu une nécessité de survie pour les israéliens, et par extension, un credo…

Discipline et… insolence !

Reprenons donc, quel premier point commun pouvons-nous trouver au soldat et à l’entrepreneur ? Si je vous dis la discipline, me croirez-vous ? Tout entrepreneur digne de ce nom vous dira combien l’exécution est primordiale pour la réussite : mais derrière le terme de discipline, il n’y a pas uniquement le fait d’obéir aux ordres. La discipline c’est également savoir découper, organiser et diriger une opération, un projet… une start-up. Pas de victoire sans ordre donc, et là, le lien avec l’armée est assez évident. 

Dans cet état d’esprit que les jeunes recrues développent on trouve donc de la discipline, mais également l’esprit d’équipe, le dépassement de soi, la prise de risque, la réactivité, le sang froid…(jusque-là pas de surprise) et enfin (et alors là surprise) l’insolence. Regardons donc de plus près l’organisation – quelque peu surprenante pour un français – de l’armée israélienne. 

La culture israélienne se caractérise par une hiérarchie assez plate (souvenez-vous, on parle d’Israël comme de la « start-up nation », ce n’est pas pour rien !). Cela nous a frappés pendant notre learning expedition : les personnes haut placées étaient très accessibles et, de manière générale, tout le monde nous a semblé un peu “rentre-dedans”. Cet encouragement à l’insolence et à l’audace est très présent au sein des régiments. Les militaires sont bien plus incités à remettre en question leurs aînés, voire à prendre des initiatives d’eux-même, au contraire de chez nous. Avec en prime (et ce qui n’est pas des moindres) un droit à l’erreur respecté qui permet de réellement apprendre et de développer une certaine hargne à vouloir recommencer pour dépasser ses erreurs et ses limites. 

Remettre en question les acquis, oser interroger son environnement… cela sonne comme le credo des start-uppeurs, vous ne trouvez pas ?

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La culture des jeunes sortant du service militaire les rend donc particulièrement pugnaces et créatifs : qualités majeures de l’entrepreneuriat.

Quand networker devient aisé

Mais savez-vous quel autre élément peut également jouer un rôle déterminant ? Si vous êtes à Sciences Po, je mets ma main à couper que vous l’avez déjà entendu. Si vous travaillez déjà, on vous le susurre sans doute quotidiennement… alors, vous l’avez ? Bien sûr, je parle du réseau. 

Non, le réseau ne fait pas tout, déjà, parce que vous pouvez commencer à le construire à tout moment (coucou Baptiste et Jean qui ne connaissaient rien ni personne de la grande distribution et dont la start-up Phénix bats tous les records aujourd’hui !) mais il faut se l’avouer, le réseau ça aide bien (même Ned Stark le dit). 

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Quoi de plus utile me direz-vous qu’un vaste tissu de personnes diverses et disposées à vous aider  ? (plutôt tentant, vous l’accorderez) Eh bien l’armée encourage ces relations, cette « force des liens faibles » dont nous parlait M. Granovetter.. Outre vos camarades de combats, bien évidemment, c’est avec l’ensemble de votre régiment que les liens perdurent dans le temps. C’est ce que le professeur Ezri Tarazi, Directeur de la Chair Industrial Design Graduate Program au Technion, illustre parfaitement en nous présentant le principe de « magic box » qui se développe de plus en plus dans les régiments. L’idée est très simple : un groupe whatsapp, des milliers de membres venant d’un même régiment, formant un espace où chacun peut demander n’importe quel service et sera assuré d’avoir une réponse tant le groupe est large et les liens forts (Eh oui, même s’ils ne se connaissent pas !).

L’effet de réseau post-service militaire est encore plus puissant pour les anciens des unités d’élite. La plus célèbre d’entre elles (et la plus grande aussi) est l’unité 8200, spécialisée en cybersécurité. On ne compte plus le nombre de start-up à succès lancées par des anciens membres : Gil Shwed (CheckPoint), Uri Levine et Ami Shinar (Waze), Avishai Abrahami (Wix)…

Innovations : l’armée cède ses droits

Et enfin, dernier élément de taille : l’armée agit comme un incubateur géant en quelque sorte car elle pousse les jeune à innover sans revendiquer la propriété intellectuelle des projets développés. Ce qui signifie concrètement qu’après avoir monté un projet technologique pendant son service, un jeune peut le commercialiser à la sortie et créer sa start-up. Beaucoup d’innovations israéliennes ont ainsi d’abord été pensées dans et pour un cadre militaire où l’urgence d’innover se mêle à l’urgence de réussir (militairement et professionnellement) – dont nous font part nombre d’entrepreneurs israéliens. Dans un contexte sécuritaire incertain, tous en effet parlent de cette double urgence qui les pousse à se lancer en faisant abstraction des risques et à optimiser toutes leurs actions : le service militaire peut donc parfois devenir un incubateur, le projet militaire une start-up.

En conclusion, l’armée israélienne forge des personnalités entreprenantes, un réseau fort, et fournit un cadre d’incubation aux innovations. En sortant de leur service obligatoire, la jeunesse israélienne est poussée à mener le prochain tournant technologique : de quoi faire d’une pierre deux coups.

Le service militaire a donc un poids considérable dans la formation de la jeunesse et de ses élites. Il est vécu comme une expérience humaine et professionnelle profonde qui les forge (notamment en entrepreneur de demain). Mais ceci est surtout permis par la culture israélienne bien différente des mentalités européennes, et par la durée importante de ce service militaire. Elément clef de la « start-up Nation », c’est pourtant un aspect difficilement transposable à la France qui devra donc chercher ailleurs les bases pour former sa propre « start-up nation »… 

On ne pourra donc refaire à l’identique, ou s’inspirer des mêmes éléments, mais on conclura en rappelant que d’après le cabinet EY, la France est aujourd’hui la première destination d’Europe pour les investisseurs, preuve que notre Start-up Nation a elle aussi le vent en poupe !