Jonathan Coe – écrire pour comprendre le coeur de l’Angleterre

« Mr. Coe’s books are imbued with this interplay between reality and historical context, and the imagination, the freedom of fiction. He portrays society and politics through the imaginary. » En quelques mots à peine, Frédéric Mion, directeur de Sciences Po, réussit à résumer la complexité et la force de l’œuvre de Jonathan Coe. À l’occasion de la sortie de son roman Le cœur de l’Angleterre (Middle England), l’écrivain anglais est venu parler politique britannique et surtout écriture en Boutmy.

Ce qui ressort de cette conversation menée par Cornelia Woll (professeure de science politique), c’est avant tout une humilité criante, celle d’un écrivain adoubé par son époque et qui, malgré cela, ne se revendique ni « maître de l’humour anglais » ni spécialiste de la politique britannique. Et pourtant, voilà deux titres que l’on veut bien souvent lui faire porter. Sur la question de l’humour, il explique d’abord avoir l’impression que les Français semblent avoir une idée bien plus claire de ce qu’est le « British humour » que les British eux-mêmes. Mais il développe ensuite : pour lui, comme il l’écrit dans son roman Numéro 11. Quelques contes sur la folie des temps (Number 11, or Tales that Witness Madness) : « British humour is the opposite of political action. » Ainsi, traiter un sujet politique avec humour serait une façon de le décrédibiliser, de le rendre absurde : parmi les maîtres de cette pratique, on peut citer Boris Johnson qui, dans les années 90, était correspondant à Bruxelles pour The Daily Telegraph et signait ses articles d’une plume acerbe et moqueuse envers l’UE (pour un concentré des bons mots de Mr Johnson, se reporter à The Wit and Wisdom of Boris Johnson, Harry Mount).

Concernant la partie politique de son œuvre, Jonathan Coe nous explique qu’il a écrit Le cœur de l’Angleterre car il voulait comprendre les résultats du référendum de 2016, comprendre les racines du Brexit : « I wrote Middle England because I didn’t understand the way British people voted in 2016. » Dans ce but, il fait débuter l’intrigue du roman en 2010, date à laquelle se forme le premier gouvernement de coalition au Royaume-Uni, ce qui constitue alors un tournant dans la vie politique britannique. De fait, il nous explique avoir un rapport particulier avec la vérité : s’il ne se permet pas de faire parler les personnages politiques réels qu’il peut mentionner au cours de son œuvre, il est important pour lui que le contexte historique soit aussi réaliste que possible : il parle même d’une obsession pour le réalisme.

Mais Jonathan Coe insiste aussi sur le fait que Le cœur de l’Angleterre n’est pas juste un livre de politique : c’est avant tout l’histoire de personnages que l’auteur suit depuis près de 20 ans (respectivement dans Bienvenue au Club (2001) et Le Cercle fermé (2004)) et qui ont grandi, mûri, vieilli avec lui. Il s’agit de montrer leur évolution et les problématiques qui jalonnent les différents âges de la vie. Parmi les nouveaux personnages, on retrouve Sophie et Ian, deux jeunes époux en instance de divorce pour cause de divergence d’opinion sur le Brexit. Pour l’auteur, ce couple incarne la division du Royaume-Uni entre le camp du Remain et celui du Leave : en transposant le problème politique à une situation de la vie quotidienne, il prouve son envie de comprendre le cœur des britanniques.

Au-delà de l’humour ou de la politique, c’est encore lorsqu’il parle de son cheminement en tant qu’écrivain que Mr Coe est le plus passionnant. Ainsi, il nous raconte sa rencontre avec un étudiant en Italie qui disait écrire car il avait « un message pour le monde ». Jonathan Coe n’a pas de message pour le monde. Il essaie de « dépeindre la réalité avec empathie ». Lui qui, auparavant, se souciait d’écrire pour la postérité, a changé son paradigme : « Rather than writing for posterity, I now write for the moment, on the moment, of the moment. »

Et pour les écrivains en herbe qui se cachent parmi les étudiants de Sciences Po, Jonathan Coe a donné les conseils suivants :

  • Chaque écrivain est différent mais être en contact avec des personnes qui ont des idées ou des méthodes qui diffèrent des nôtres peut nous aider à trouver notre voie (et notre voix).
  • Il est normal de se sentir intimidé par le sujet que l’on a choisi de traiter : l’écriture est là pour nous aider à mieux l’appréhender, à mieux le comprendre.
  • Enfin, il nous faut écrire dans un état permanent d’incertitude.

Je crois qu’il ne nous reste plus qu’une chose à faire : à nos plumes !

Crédit image : Twitter Sciences Po