“Premiers campus” : Sciences Po regorge d’ambitions pour l’égalité
Par Ulysse Bellier, Malaurie Iglesias Castano, Yann Schreiber
À l’occasion des “15 ans d’égalité des chances”, l’anniversaire de la procédure d’admission par Convention d’Éducation Prioritaire (CEP), lors d’une soirée rythmée d’histoires de réussite, Frédéric Mion a annoncé mardi un nouveau programme à destination de lycéens défavorisés.
“Il n’y a pas d’anniversaire sans cadeau.” Hakim Hallouch, noeud de papillon au cou et cartes de présentateur dans la main, remet un document à Frédéric Mion, dans un amphithéâtre baigné dans une couleur rouge tamisée.
L’anniversaire, c’est celui de la procédure CEP, discrimination positive instaurée en 2001 par Richard Descoigns, malgré une opposition féroce. Et comme il n’y a pas d’anniversaire sans fête, étaient conviés: étudiants, partenaires institutionnels, académiques et privés, dont Christian Sanchez, directeur du développement social chez LVMH, entreprise marraine de la promotion 2016, la ministre de l’Education nationale et la présidente de la région Ile de France.
Et qui dit cérémonie, dit discours, dit annonce : Sciences Po a présenté mardi un dispositif supplémentaire visant à lutter contre l’auto-censure et les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur dès la seconde.
Grâce au dispositif “premiers campus”, des boursiers du secondaire seront reçus pour une université d’été ou d’automne gratuite sur les campus en région de Sciences Po. Dès l’été 2017, une première promotion de soixante lycéens franciliens de seconde suivront des cours à Reims, a annoncé Frédéric Mion, pour lequel ce programme doit “donner le goût des études supérieures” au sens large et “stimuler chez elles et chez eux la confiance et l’audace nécessaires pour y réussir.”
“Quand on s’adresse à des élèves de seconde il est beaucoup trop tôt pour construire avec eux un projet qui serait un projet exclusivement Sciences Po”, dit Bénédicte Durand, doyenne du Collège universitaire dans une interview à La Péniche.
La session francophone estivale et l’édition anglophone en automne doivent “préparer aux compétences nécessaires à la réussite dans l’enseignement supérieur”, dit Mme Durand, notamment la maîtrise du langage et l’augmentation de la qualité d’expression écrite et orale des élèves.
“Ce sera une offre nouvelle, nous travaillerons sur des compétences transversales” avec des équipes pédagogiques mixtes entre enseignants du supérieur et du secondaire, indique la doyenne. “Vis ma vie d’étudiant avant l’heure, pour s’y préparer”, selon elle.
Les lycéens sélectionnés ne viendront pas obligatoirement des lycées CEP. Frédéric Mion espère ainsi “toucher des zones géographiques et des populations nouvelles, et proposer à ces jeunes un horizon qui dépasse Sciences Po.” Après l’été 2017 pilote, le programme sera “progressivement ouvert à des élèves de première et de terminale”, sans pour autant constituer une “prépa Sciences Po” ou se substituer à la voie d’entrée par CEP, indique M. Mion.
15 ans de belles histoires
L’annonce de cet élargissement de la discrimination positive se faisait en clôture d’une cérémonie fêtant les 15 ans d’existence de la procédure CEP d’entrée à Sciences Po pour des étudiants venant de lycées défavorisés.
Depuis 2001, Sciences Po a admis 1 611 étudiants via la procédure CEP. Plus de 600 sont désormais diplômés. Depuis la création de la procédure, près de 11 000 élèves ont participé aux ateliers préparatoires dans les 106 lycées partenaires, dont la majorité se situe en Ile de France.
L’admission par CEP est “une des réformes les plus audacieuses ayant été conduite dans un établissement d’enseignement supérieur ces dernières années”, indique Najat Vallaud-Belkacem dans une interview à La Péniche. Pour la ministre de l’Education et de l’Enseignement supérieur, “les CEP ont fonctionné” et “de magnifiques destins et parcours en témoignent.”
Des parcours à l’honneur mardi soir, car les CEP ne sont pas seulement des chiffres, mais bien des histoires, des destins, des visages et des rencontres, qui ont rythmé la soirée.
Des histoires comme celle de Pablo Ahumada, qui a troqué les initiales CEP pour le M.A.E. afin de devenir diplomate; comme celle de Nicolas Vinci, agrégé d’histoire, lorrain, pour qui les effets de la désindustrialisation étaient plus qu’une théorie; des destins comme celui de Fatoumata Sow, qui a organisé un dîner de conférence en 5e année dans sa cité.
“L’égalité ce n’est pas l’assimilation”, dit-elle. “Ici à Sciences Po, l’égalité c’est ce qui permet de revendiquer le droit à la différence.” La procédure CEP permet même aujourd’hui à Sami Keilany, en deuxième année, de revendiquer son 6/20 en mathématiques en première devant un amphithéâtre Boutmy qui n’écoute que lui.
La procédure d’admission par CEP est aujourd’hui une discrimination positive que l’école revendique. “Il nous appartient de permettre à celles et ceux qui sont peut être les plus éloignés de l’élite aujourd’hui de disposer d’une chance réelle de la rejoindre”, dit M. Mion dans son discours.
Un but partagé avec la ministre, qui dit voir les CEP comme “une source d’inspiration” pour sa lutte contre le déterminisme social et l’auto-censure. Avec les CEP, Sciences Po a “l’ambition d’unir ce qu’on oppose trop souvent : égalité et excellence,” dit-elle dans son discours.
Sciences Po espère d’avantage “faire mentir les déterminismes” et “tracer un trait d’union entre la france périphérique qui se sent menacée par la mondialisation, et la mondialisation elle-même”, estime le directeur, qui espère développer l’accès aux campus en régions des étudiants venant de CEP.
“Il est plus vital que jamais d’ouvrir une porte plus large aux élèves qui n’ont pas reçu de l’environnement social et culturel qui les a vu grandir toutes les armes leurs permettant de nous rejoindre”, dit M. Mion.
À la fin de son discours, dans lequel M. Mion déclare que “Sciences Po tient une carte maîtresse pour jeter des ponts par dessus le fossé” grandissant des inégalités sociales, le directeur de Sciences Po tient en mains l’original d’un document remis, il y a 150 ans, à Emile Boutmy par un sultan ottoman. Car s’il n’y a jamais d’anniversaire sans cadeau, il y a rarement de cadeau sans symbolique.