Zen restons Zen
Zen city, le nouveau roman de Grégoire Hervier
« Ce livre est né de la volonté de mon éditeur de publier le blog de Dominique Dubois, survivant de ce que les médias ont appelé et appellent encore « La tragédie de Zen City ». (page 7)
C’est par ces mots que débute le nouveau roman de Grégoire Hervier, jeune auteur publié au Diable Vauvert et amateur du genre policier et de Science-fiction tant en littérature qu’au cinéma. Son premier livre, Scream Test, abordait les dérives de la télé-réalité et de l’Internet avec humour et gore, livrant ainsi un récit bien mené et dynamique, comme un sympathique scénario facile à transposer au cinéma. Pour son deuxième livre, l’homme évolue et change de genre pour s’intéresser davantage au roman d’anticipation.
Au programme, un héros dans la normalité moyenne, Dominique Dubois, un homme banal qui va être confronté à une situation exceptionnelle. Fatigué par la vie Parisienne, licencié, Dominique Dubois finit par trouver une offre pour aller travailler dans les Pyrénées, dans une vallée où a été bâtie une cité ultramoderne, technopole du XXI ème siècle. Ce narrateur va peu à peu raconter son installation, décrire les lieux, les gens, relater les événements et la succession d’échecs personnels allant jusqu’à un accident de voiture dont il ne sort pas indemne. Une jeune femme débarque dans sa vie et tout semble changer soudainement jusqu’à ce qu’une sorte de résistance ne vienne le contacter pour aider à détruire Zen city, la ville parfaite. Espionnage, meurtre, et une grosse dose d’incompréhension et de manipulation autour de ce héros qui n’en mène souvent pas large jusqu’à la découverte finale. Un avant-goût ?
« Je suis encore sous le choc. Je comprends pleinement, pour la première fois de ma vie, la véritable signification du mot « horreur ». Je peux la sentir, pas seulement autour, mais en moi.
Tout a commencé avant-hier. » (page 174).
Jouant sur des codes du genre assez classiques, oscillant entre un Super Cannes à la J.G. Ballard et un roman comme « l’Ultime Secret de Bernard Werber, Grégoire Hervier tisse un ouvrage captivant et prenant. Le grand intérêt de ce livre ne réside pas uniquement dans une intrigue bien menée, mais bien dans les formes choisies pour écrire et décrire notre société. Dès les premiers mots du récit, le lecteur comprend qu’il aura droit à une partie du blog du narrateur. Grégoire Hervier s’attache aux nouvelles formes d’écriture et de communication qui immergent nos comportements. Des passages de blogs et des commentaires attitrés, des morceaux d’un journal intime, quelques bribes de conversations enregistrées par mp3 et enfin les commentaires de l’auteur cimentant la structure générale, c’est en mixant ces différentes manières d’écrire que l’histoire se construit peu à peu. » La réflexion entre en jeu de façon anodine, au détour d’une phrase pour montrer les aspects pervers de cette communication à tout va (dont une puce intégrée dans la main, un téléphone très développé).
« Je suis content d’avoir arrêté mon blog. J’en avais un peu marre, parfois j’écrivais alors que je n’avais rien à dire. Et puis vérifier quinze fois par jour s’il y avait des commentaires… Le pire c’est que, plus j’allais mal, plus j’en avais. Ça ne menait nulle part. » p 141.
Dominique Dubois devient un modèle parfait de l’homme communiquant moderne qui se laisse à la fois influencer par tous ces nouveaux médias tout en étant parfois dépité et résistant. Influencé, le héros l’est aussi par tous les outils de communication et de marketing destinés à le faire consommer. Dans une version bien différente d’un 99Francs pour dénoncer les dérives de nos modes de consommation, Grégoire Hervier étire jusqu’à ses limites les possibilités pas si irréalistes qui pourraient nous menacer, bien qu’elles puissent sembler prometteuses au premier abord.
« – Qu’est-ce que le Projet @131618 ?
– C’est incroyable.. Je n’en reviens pas. Vous contribuez à un projet dont vous ignorez jusqu’au nom !
Cypher a pris une grande inspiration.
– Il y a beaucoup de fantasmes bien sûr, mais…On dit que c’est quelque chose de plus efficace que la publicité, le marketing, le branding, le discount et l’obsolescence programmée réunis. Un projet qui lierait toutes les potentialités des dernières avancées technologiques en matière de manipulation et de contrôle de la consommation. » p 244.
Le talent de Grégoire Hervier pour ce roman a été de parvenir à conserver son humour et une certaine dose de cynisme essentielle pour traiter un sujet comme la consommation sans tomber dans un pamphlet ou un éloge de notre société. Hybride, touchant à différents genres (policier, science-fiction, espionnage, autofiction…)
Zen City se dévore d’une traite et se poursuit sur Internet où l’auteur a eu la bonne idée de construire un site expliquant certains aspects de sa fiction (dont une bibliographie plutôt attrayante), éclairant les technologies abordées et démontrant ainsi que la Zen City de demain n’est jamais bien loin. Idéal pour les vacances, voilà un beau moyen de se détendre et de se divertir sans pour autant oublier de réfléchir. Bonne lecture.
Zen City, Grégoire Hervier, Edition du Diable Vauvert, Janvier 2009.
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