Volodymyr Zelensky s’adresse aux étudiants français depuis Sciences Po
Mercredi 11 mai dernier, pour la première fois depuis le début de la guerre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est adressé à une communauté étudiante étrangère. À l’initiative de l’Ambassade d’Ukraine en France, celui-ci a pu dialoguer avec des étudiantes et étudiants de Sciences Po, mais aussi de Polytechnique, de l’Institut National du Service Public (INSP), de l’Inalco, de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, de Sorbonne Université, ainsi que de sept autres universités. Tout au long de cet échange, Volodymyr Zelensky a loué les mérites d’une jeunesse française « lumineuse » et solidaire. « L’apport des étudiants français a été fondamental depuis Mai-68 », a-t-il précisé. « Il n’y a pas un homme politique qui ne craigne qu’un étudiant vienne lui dire qu’il est interdit d’interdire ».
Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas pu empêcher cette guerre ?
Cette interrogation a été la toile de fond de l’intervention du président ukrainien. « C’est le 77e jour de la guerre de grande envergure contre la Russie, une guerre qui a commencé précisément 77 ans après la fin de la plus grande guerre en Europe », a-t-il souligné. C’est ce jour particulier que M. Zelensky a choisi pour inviter les étudiantes et étudiants à engager une profonde réflexion sur les mécanismes qui ont conduit à cette guerre aux portes de l’Europe. En tant que futurs décideurs, il les a invités à tirer toutes les conséquences de ce présent tragique. Refusant le ton magistral bien connu des habitués de l’amphi Boutmy, Volodymyr Zelensky a souhaité échanger avec les étudiantes et étudiants présents, les interpeller et recueillir leurs impressions.
Des questions parfois sans réponse
Pourquoi refuser l’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne ? Volodymyr Zelensky a dénoncé les tergiversations des vingt-sept et la longueur du processus. Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il cru possible d’attaquer l’Ukraine ? Comme souligné par le président ukrainien, en février dernier, les mécanismes de dissuasion mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale n’ont pas fonctionné. Enfin, après la découverte des massacres de Boutcha ou de Kramatorsk, comment expliquer un tel déferlement de violence russe ? Les étudiantes et étudiants choisis pour interroger le président ukrainien ont tenté d’adresser tant bien que mal des questions parfois sans réponse.
Ainsi, Caroline Weill, étudiante à l’Institut National du Service Public (INSP), a proposé la création d’une communauté politique dont ferait partie l’Ukraine, en attendant son adhésion officielle à l’Union Européenne. Pour ce qui est de la violence russe, les tentatives de réponses se sont faites plus rares, peut-être parce qu’une telle cruauté dépasse l’entendement. Volodymyr Zelensky s’est néanmoins risqué à une analyse. Évoquant les soldats russes responsables des massacres dont l’humanité entière s’est faite témoin, il a affirmé : « La philosophie dirait que ce ne sont plus des êtres humains ». C’est peut-être pour cette raison qu’il nous est si difficile de comprendre, nous autres qui avons conservé notre humanité.
Et après ?
Interrogé sur l’issue de cette guerre, Volodymyr Zelensky s’est dit prêt à négocier avec Vladimir Poutine, « pourvu qu’il ne soit pas trop tard ». Sur le plan juridique, le président ukrainien a souligné l’importance d’un texte de paix solide. Selon lui, cette dernière ne pourra se faire en l’absence d’un accord précis, en coalition. Seule, l’Ukraine ne serait pas en mesure de dissuader une nouvelle attaque de sa voisine russe. En matière de dissuasion, Volodymyr Zelensky a également relevé la nécessité de décider de sanctions préventives en cas de futures menaces nucléaires, afin d’éviter l’escalade et de garantir la paix, une mesure déjà évoquée lors de la conférence de Munich de février dernier. En effet, évoquer l’arme nucléaire, a avancé le président ukrainien, n’est-ce pas déjà poser un ultimatum ?
De plus, Volodymyr Zelensky ne s’est inquiété ni de la reconstruction de son pays, ni de la cohésion de la nation ukrainienne, « temporairement déplacée » et non pas réfugiée en Europe, comme il a tenu à le souligner. Selon Volodymyr Zelensky, les familles ukrainiennes aspirent en grande majorité à revenir et l’Europe n’aura pas à se préparer à des mouvements migratoires de long terme. Certaines familles reviennent déjà, malgré les réticences de l’armée.
Celles et ceux qui croient en la liberté, et les autres
Récemment nommée doyenne de l’École des affaires internationales (PSIA), Arancha González Laya a conclu cet échange entre les étudiantes et étudiants et Volodymyr Zelensky. Dans un premier temps, Mme González Laya a souligné la force de l’Ukraine, de son peuple, la force de sa raison mais aussi de sa passion pour la liberté. Car oui, a-t-elle affirmé, il ne s’agit pas d’un combat entre Est et Ouest, une idée qui refait son chemin dans l’inconscient collectif, mais bien d’une lutte entre celles et ceux qui croient en la liberté et choisissent de la défendre, parfois au prix de leurs vies, et les autres.
Pourquoi résister ?
Peut-on comprendre, depuis nos bancs d’étudiants, ce qu’il se passe en Ukraine ? Est-il seulement possible de nous représenter ce qui ne nous arrive pas directement ? De la même façon qu’il était difficile d’imaginer l’enfer vécu par la population syrienne, par ces familles vouées à l’exil, le président ukrainien en est convaincu : il ne nous est pas possible de nous représenter l’ampleur de l’horreur vécue par la population ukrainienne.
Néanmoins, nous pouvons et devons faire preuve de courage et de certitude, des caractéristiques que Volodymyr Zelensky a décelé chez cette jeunesse française « lumineuse » qu’il évoquait au début de son intervention. C’est précisément cette certitude et ce courage que le président ukrainien a dit souhaiter retrouver chez les leaders européens, des leaders qui seront un jour incarnés par les étudiantes et étudiants auxquels il s’est adressé mercredi 11 mai dernier.
Pourquoi Volodymyr Zelensky résiste-t-il encore ? Parce que justement, il est jeune, a-t-il répondu. Par sa jeunesse, l’acteur devenu président possède ce désir de vivre caractéristique de celles et ceux qui n’ont pas encore tout vécu.