Stage de terrain, plutôt malin ou malsain ?

finalwork2901.jpgL’été arrive à grand pas. Si l’appel d’Arcueil est là, il est néanmoins difficile d’éviter de penser à son 15 août face au soleil qui tape sur la nouvelle pelouse du jardin. L’été des 1A ne s’éloignera pourtant pas trop du travail. Il s’organisera pour la 2e année consécutive autour d’un stage de 30 jours qui constitue une « obligation de scolarité ». Nécessité « vitale » pour les uns ou aberration pour les autres : c’est quoi le stage de 1A ?

Les néo sciences pistes se rappellent sans doute de leur premier moment en Boutmy : les magnas de l’administration à coup de speech en deux parties deux sous-parties annoncent les réjouissances de l’année à venir. Un des points d’orgue de cette introduction porte sur la mise en place d’un « stage de terrain » -selon l’appellation officielle – obligatoire pour tous les étudiants pendant l’été. Le but pédagogique, voire sociétal, joliment annoncé est de former des « managers de demain » capable d’ « envisager le fonctionnement des organisations du point de vue d’une unité de base« . En clair, et pardon pour les clichés, l’administration semble partir du constat que les titis de l’ouest parisien arrivent en fin de cycle sans avoir jamais vraiment mis les pieds dans un véritable lieu de travail. Faire de ces étudiants des agents d’exécution, certes pour une période limitée, permettrait de remplir un double objectif de découverte de l’entreprise et de génération d’une certaine empathie envers les exécutants, ce qui sur le long terme rendrait nos aspirants managers un peu moins tyrans.

Critiques : certains pointent l’intrusion de Sciences Po dans les sacro-saintes vacances d’été en s’appuyant sur les analyses de bacheliers ES zélés non mécontents d’y voir « un signe de plus du flou qui s’installe entre période de formation et non formation ». Plus simplement, et sans parler de critique explicite, la réaction de rejet d’une partie des étudiants est assez intéressante : on parle de « stage ouvrier » plutôt que de « stage de terrain » et l’on rejoint volontiers le groupe facebook « J’ai survécu à mon stage de terrain… ». Si, bien sur, le registre est celui de l’humour, la ligne jaune, celle de la condescendance est assez vite franchie avec de jolies sorties du style « franchement, nous, on n’a pas que ça à faire », etc. Cette attitude montre un certain défaut de la communauté estudiantine qui vient confirmer le diagnostique des penseurs du stage de terrain : le manque d’humilité. Rien que le processus de recherche du stage permet d’ailleurs de développer un peu l’humilité : on s’aperçoit assez vite que pour avoir un stage d’été mieux vaut avoir une étiquette BAFA qu’une étiquette Sciences Po.

Néanmoins, cette relative difficulté dans la recherche du stage n’a pas qu’un effet positif. Beaucoup d’étudiants ont recours à une convention de stage plutôt qu’à un CDD, parfois par manque d’informations (« Ah bon, on n’est pas obligé de passer par une convention ?« ), mais surtout du fait de la difficulté à trouver un CDD. La convention de stage, et c’est un lieu commun, incite les employeurs à ne donner aucune rémunération ou tout au plus 300€ d’indemnités pour un travail équivalent au SMIC. Pour l’enseigne de Sèvre Bab employeuse de stagiaires c’est bel et bien « Bon Marché ». L’effet pervers est que ce régime de travail gratuit, paradoxalement, ne touche pas ceux qui sont le plus « à l’abri » financièrement et dont la motivation pour le stage est a priori plus didactique qu’économique. En effet, ceux qui disposent du réseau adéquat pour trouver un CDD sont a priori les plus favorisés tandis que ceux qui restent « bloqués » à 300€ ou moins par la convention de stage sont ceux qui auraient le plus besoin d’argent pour préparer l’année à venir. Enfin, la frustration s’exprime aussi sous un angle « moral » : plutôt que d’être « exploité » par une enseigne du Grand Capital, nombreux sont les étudiants qui préfèreraient décupler leur sentiment d’utilité en offrant leur service à une organisation caritative par exemple.

En résumé, l’objectif de découverte fixé par l’administration est sans doute louable mais le CDD est assez difficile à décrocher pour une si courte durée, en particulier pour ceux qui ne peuvent pas passer par le piston.

9 Comments

  • Nataschoune

    « D’autre part, s’ils reviennent dans leurs pays, ce n’est pas forcément facile de trouver un stage type « stage de terrain » à 10 000 kilomètres », tes références à l’Amérique latine sont sûrement inspirées de la réalité, mais il n’y pas qu’en France où (stage de terrain or not) les étudiants font des taffs d’été pour gagner de l’argent..
    Parallèlement je trouve que l’aspect « contact avec la clientèle » n’est pas si important que ça. Le côté pipo des sciencespistes rend le rapport à la clientèle beaucoup plus facile et agréable que les rapports avec ses collègues de travail lors d’un SdT. Ce sont ces mêmes collègues qui représentent la réalité sociale qu’est censé nous faire découvrir un Stage de Terrain.

  • Arthur S

    Un autre détail, quand on est un étudiant étranger, on a pas trop envie de gacher un mois de ces vacances (souvent le seul moment où l’on peut revoir la famille et les amis après un 1 an en France) à passer un mois de plus en France, ou à faire un boulot qui forcément est génant pour profiter des amis/famille. D’autre part, s’ils reviennent dans leurs pays, ce n’est pas forcément facile de trouver un stage type « stage de terrain » à 10 000 kilomètres. Sans compter encore le problème que dans les pays plutôt pauvre, c’est over difficile de trouver un travail comme ça d’un mois de type stage de terrain. Car cette philosophie n’existe pas (tout du moins en Amérique latine, que je connais). Au Brésil, on fait rarement des jobs d’été, puisque tout simplement les horaire des études supérieures sont aménagées pour que ceux qui en ont besoin fassent des jobs à plein temps au cours de l’année. Donc pas de jobs d’été puisque les étudiants qui ont des besoins financiers sont simultanément en vacances de leur job annuel et en vacances scolaires. Ainsi, les employeurs ne recrutent pas ce genre de jobs.

    Encore une fois, Sciences Po oublie qu’un très important nombre de ces étudiants ne sont pas des franco-parisiens… et que le reste du monde n’est pas structuré selon les mêmes modes que la France…

  • ronron

    Sur le site de Sciences Po Avenir, il est indiqué « ou, à défaut, à une activité de production, au sein d’un service ou d’une équipe de production. » => manutentionnaire c’est possible. Sinon j’avais demandé une dispense de stage en précisant que l’année passée j’avais effectué du travail à la chaîne (sans contact avec la clientèle) et par mail on m’a dit que ça pouvait marcher aussi !

  • marshmallow

    « ça s’appelle le marché du travail. Bienvenue dans le vrai monde. »
    Et cette fois-ci, encore non. Dans le marché du travail hors stages, tu prends ce que tu veux, pas ce que Sciences Po Avenir t’oblige à prendre. Et trouver un job sans piston, je suis pas sure que beaucoup de gens de Sciences Po connaissent.

  • Mano Negra

    « Donc pour réunir les deux conditions, c’est-à-dire être en relation directe avec la clientèle et trouver un job d’été payé sans piston, la difficulté augmente. »
    ça s’appelle le marché du travail. Bienvenue dans le vrai monde.

  • marshmallow

    « Après oui, c’est manutentionnaire, standardiste ou caissier-ère. Mais je crois que c’est le but du truc de mettre un peu le nez dans la merde, non ? »
    Sauf que non. Sciences Po Avenir insiste pour que le stage de terrain soit orienté vers la clientèle. Donc pas de manutentionnaire a priori, et tous les boulots de ce genre où le contact avec la clientèle est limité. Donc pour réunir les deux conditions, c’est-à-dire être en relation directe avec la clientèle et trouver un job d’été payé sans piston, la difficulté augmente.

  • Louis

    Deux remarques :
    « réaction de rejet d’une partie des étudiants est assez intéressante : on parle de « stage ouvrier » plutôt que de ‘stage de terrain' »
    Bof, en l’occurrence, le terme « stage ouvrier » n’est pas spécialement connoté négativement et c’est le terme standard employé dans les écoles d’ingénieurs, notamment.

    « le CDD est assez difficile à décrocher pour une si courte durée »
    C’est pas surtout parce que les étudiants font les fines bouches au niveau des tafs à faire ? Le taf l’été, c’est le lot commun d’un très grand nombre d’étudiants qui, a priori, ne galèrent pas tant que ça (puisqu’ils trouvent tous les ans) des CDD d’été. Après oui, c’est manutentionnaire, standardiste ou caissier-ère. Mais je crois que c’est le but du truc de mettre un peu le nez dans la merde, non ?