Conférence La Gazelle : Sortir de notre impuissance politique

Mardi 26 septembre, ce sont deux invités de marque qui ont occupé le petit amphithéâtre Erignac du 13, rue de l’Université. L’afflux de personnes en a surpris plus d’un, si bien que tout le monde n’a pas eu de place pour y entrer. Mais pourquoi un tel engouement pour cette conférence ?

La conférence était organisée par le Séminaire, du journal étudiant La Gazelle

Il faut dire que le titre de celle-ci « Pour sortir de notre impuissance politique » était attractif.  L’idée d’entrer dans les rouages de la politique, de comprendre ses faiblesses, d’élaborer une réflexion philosophique constructive a poussé un grand nombre de personnes à faire le déplacement. Les noms des deux invités du séminaire organisé par La Gazelle, Frédéric Lordon et Ivan Segré, y sont également pour quelque chose.

Deux invités, deux parcours très riches

Philosophe et économiste de formation, Frédéric Lordon est rattaché au CNRS et au centre de sociologie européenne. Il fait partie du courant « hétérodoxe » en économie, qui critique les fondements de la doctrine néolibérale. Il collabore à ce titre avec le Monde Diplomatique au sein du blog « la pompe à finance ». Il s’est également engagé en 2016 au côté du mouvement Nuit Debout, dont il fut considéré comme l’un des portes- parole. Côté littéraire, nous pouvons citer comme derniers ouvrages de Mr. Lordon La société des affects (2013), Imperium, structures et affects des corps politiques (2015) ou encore Les affects de la politique (2016) dans lesquelles il développe sa pensée d’une « science sociale spinoziste ».

Frédéric Lordon et Ivan Segré étaient à Sciences Po mardi soir. Crédits photo : Charlotte Canizo // LPN

De son côté, Ivan Segré n’a également pas à pâlir de ses travaux. Philosophetalmudiste et collaborateur régulier du journal Lundi Matin, il a rédigé de nombreux ouvrages portant sur la question du judaïsme, ou encore du Spinozisme. A ce titre, nous pouvons retenir Judaïsme et Révolution (2014), Le manteau de Spinoza ou encore Les Pingouins de l’universel (2017). Il est important de poser ces bases afin de comprendre la suite du séminaire. Ce dernier s’adressant principalement à un public familier de ces auteurs, il aura pu paraître moins accessible pour les non-initiés.

Déserter les institutions ou les repenser ? 

Le séminaire de La Gazelle faisait écho à une conférence organisée il y a deux ans avec Geoffroy de Lagasnerie. L’objectif de cette conférence intitulée « Etat et violence » était d’identifier la singularité de l’Etat, Etat que Lagasnerie voyait sous un angle plutôt libéral. C’est en partant de cette idée que Geoffroy de Lagasnerie a développé dans les tribunes de l’Obs un projet politique intitulé  « Pour sortir de notre impuissance politique », d’où le titre de la conférence.  De nombreux thèmes comme l’Etat, la forme à donner à nos institutions ou encore le spinozisme ont été abordés. La question des institutions fut notamment centrale. En effet, pour sortir de notre impuissance politique, ne faudrait-il pas déserter les milieux institutionnels exempts de toute vitalité ? Pourtant, ces derniers sont au cœur de notre vie, d’où l’impossibilité de s’en éloigner. L’exemple de certaines sociétés sans Etat, et autres institutions dans lesquelles la violence prédomine, l’illustre bien.

Il serait donc nécessaire de repenser les institutions pour faire en sorte qu’elles soient au service des Hommes. Voici en quelques lignes les grandes idées développées par nos deux intervenants sur ce thème.  Frédéric Lordon s’est également demandé: « Comment sortir du despotisme capitaliste sans tomber dans le despotisme d’Etat ? ». Face à une telle question, il a reconnu la difficulté de formuler une réponse définitive et a souligné la problématique essentielle que l’un a nécessairement tendance à entraîner l’autre.

« Comment sortir du despotisme capitaliste sans tomber dans le despotisme d’État ? » Frédéric Lordon

De nombreux autres paradoxes ont été soulevés et débattus au cours de ce séminaire, ce qui a permis aux auteurs de développer leurs pensées complémentaires. L’un des moments les plus intéressants s’est déroulé à la fin de l’événement, lorsque le public a pu échanger avec les intervenants. Le débat fut ainsi élargi, gravitant autour de sujets d’actualité. La question « sur quelle classe prendre appui ? » a par exemple conduit à évoquer le « problème de la classe éduquée » ( les 10% d’individus les plus éduqués parmi la population, et qui selon Lordon constituent la base électorale réelle de Macron, ndlr ) et non celui des « 1% ».

En définitive, il est vrai que le séminaire s’adressait plutôt à un public d’initiés et nécessitait un certain effort d’écoute pour les amateurs.  Les références aux communs, à l’imperium et plus généralement au spinozisme nécessitaient d’avoir un bon socle de connaissances philosophiques en amont afin de saisir pleinement le sens et les nuances de celui-ci. Néanmoins, le contenu était réellement intéressant et a permis de mettre en évidence un certain nombre de problématiques philosophiques, politiques ou sociologiques. La conférence organisée par le Séminaire de La Gazelle a également soulevé de nombreuses pistes de réflexion, qui alimenteront certainement les débats à venir autour de ce thème.