Sciences Polémiques / Révolte-toi : une rivalité avec des hauts et débats

« Sciences Polémiques, c’est l’association d’éloquence de Sciences Po, animée par et pour les élèves de Sciences Po » : la profession de foi de Sciences Polémiques a le mérite d’être claire. Depuis sa création en 2008, l’association d’éloquence a en effet réussi à s’imposer comme le mastodonte exclusif de l’art oratoire à Sciences Po.

Ou plutôt « avait ». Apparue l’année dernière en Péniche, Révolte-toi fait aujourd’hui partie intégrante de la vie associative de notre campus. Importée d’Assas où elle s’était imposée face à la LYSIAS, autre association d’éloquence, Révolte-toi  a profité de son expérience en tant que challenger pour intégrer la rue Saint-Guillaume. Entre confusions et rivalités, le “Made in Sciences Po” doit désormais faire face à la concurrence extérieure.

Infographies SPK v. RT

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Deux assos complémentaires ou substituables ? 

« On ne fait pas la même chose que Sciences Polémiques » se défendent Inès Bordet et Laura Bocaert. Le débat parlementaire de Révolte-Toi se pratique en effet par équipe, « sur des sujets pouvant être débattus dans une Assemblée, c’est très important » précise Laura. « Le but premier est de convaincre par ce qu’on dit » ajoute Inès.

Du fond et non de la forme, un reproche souvent fait à Sciences Polémique à l’instar de cet étudiant en première année : « je préfère la pédagogie au spectacle, parce que l’orateur n’est pas qu’un humoriste ». En effet, entre « L’Ukraine doit-elle être au coeur du tsar système ? » et « UMP : est-ce dans les vieilles marmites que l’on fait les meilleures soupes ? » les intitulés des débats hebdomadaires de Sciences Polémiques peuvent laisser à désirer quant à leur caractère sérieux et aux blagues qu’ils appellent.

Pourtant, pour son Président Pierre-Noël Clauzade, la forme est tout aussi importante que le fond. Pour autant, lors des concours, « personne n’a jamais été sélectionné en faisant une blague sexiste, un point Godwin et une blague raciste » se défend-il. Pour le reste, si les intitulés sont humoristiques, il existe de véritables enjeux derrière les questions. « Pour le débat sur l’UMP, beaucoup de militants de l’UMP Sciences Po ont participé car ils voulaient donner leur avis ».

« Un discours est toujours au service d’un engagement » insiste-t-il ; mais Sciences Polémiques ne critique pas l’engagement, personnel et subjectif, il se concentre sur la mise en forme à la portée plus objective qui peut être changée, améliorée. « On ne jugera jamais le fond mais la forme du discours ». « On n’est pas un club de théâtre mais un club d’éloquence » ajoute-t-il faisant référence aux nombreux exercices de gestuelle et de mimes proposés lors des permanences hebdomadaires de Révolte-toi.

La présidente de Révolte toi Inès Bordet lors de la permanence Révolte toi du 22/09.
Inès Bordet, Présidente de Révolte-Toi Sciences Po, lors de la permanence Révolte toi du 22/09.

Mais ces exercices sont indispensables selon Inès Bordet. « On a un but pédagogique. On veut offrir aux étudiants la possibilité de s’entraîner dans le but de les aider dans leurs études à Sciences Po » explique-t-elle. En effet, pour certains étudiants, Sciences Polémiques donne l’impression de n’être réservée qu’aux initiés de l’éloquence. Intimidés par les discours d’Alexis Goin et les jeux de mots de Nicolas Sirroneau, peu d’entre eux osent prendre la parole lors des débats hebdomadaires. « C’est la première année qu’on a cette image-là » s’étonne Pierre-Noël. Son conseil ? « Le mieux est de se jeter dans l’arène. Moi-même j’ai mis un an avant d’oser parler ». C’est en forgeant que l’on devient forgeron.

Et l’adage prend sens lorsque Pierre-Noël se félicite de la popularité du dernier débat organisé, entièrement dédié aux 1A : « On a réuni entre 60 et 80 personnes ». Ce qui reste en effet un nombre important comparé aux permanences de Révolte-Toi. Pour autant celle-ci remplit également ses séances d’entrainement et voit sa popularité augmenter. À noter cependant, la présence entre les sciences pistes aguerris de plusieurs étudiants de l’université d’Assas ou de la Sorbonne. Révolte-toi reste donc relativement loin de l’amphithéâtre Boutmy plein à craquer du Prix Philippe Séguin ou des Triplétades, événements organisés par Sciences Polémiques.

Alors, complémentarité ou substituabilité ? Les deux associations sont-elles imperméables ? Les avis sont partagés. « On n’a jamais interdit aux membres de Révolte-toi d’aller aux événements de Sciences Polémiques. On les encourage même » se défend Romain Decharne, le président de la Fédération Francophone de Débat qui a installé Révolte toi à Sciences Po, reprochant aux membres de Sciences Polémiques d’être peut-être « un peu trop fermés sur eux-mêmes ». « Nous ne sommes pas fermés sur nous-mêmes, beaucoup de membres de Sciences Polémiques se sont rendus aux permanences de Révolte-toi. » nuance Pierre-Noël. Certains membres passent également librement d’une association à l’autre. La concurrence est donc pleine. Mais selon Romain, « la concurrence est toujours bénéfique car elle pousse les gens à réfléchir et à innover, sauf quand elle devient personnelle ». Ou déloyale.

Le Président de Sciences Polémiques, Pierre-Noël Clauzade, lors de la finale des triplétades d’art oratoire. Photo : Maximilien Bouchet.

 

Un duopole décomplexé : rivalités et tensions

La Fédération Francophone de Débat regroupant les antennes universitaires de Révolte-toi est une association qui vise à « fédérer au sein d’un même réseau l’ensemble des associations pratiquant l’art oratoire et/ou le débat en français à travers le monde ». La question qui se pose alors est la suivante : pourquoi la F.F.D. n’a-t-elle pas proposé à Sciences Polémiques de faire partie de son réseau plutôt que de monter une association concurrente à Sciences Po ?

Pierre-Noël et Romain  sont unanimes : l’idée a été soulevée lors de la Nuit de l’Éloquence 2013, où les deux étudiants se sont rencontrés. Mais que s’est-il alors passé ? « Comme j’étais sur le point de partir en 3A, j’ai suggéré à Romain Decharne de contacter mon successeur » explique Pierre-Noël. Ce que Romain assure avoir fait. Mais d’un côté comme de l’autre, on assure que « les mails sont restés sans réponse ». S’accusant mutuellement de négligence, les deux associations ne sont donc pas parties du bon pied.

C’était sans compter la reconnaissance de Révolte-toi, bien devant Sciences Polémiques cette année-là : un pas de plus vers la concurrence directe. Une fois reconnue, Révolte-toi a souhaité obtenir plusieurs salles par semaine pour mettre en oeuvre un projet de débat en anglais pour les étrangers de Sciences Po, en plus d’une permanence pour les étudiants francophones. Quelle ne fût pas la surprise de Sciences Polémiques lorsqu’ils ont découvert que leurs concurrents avaient le droit à trois salles par semaine !

En effet, la direction de Sciences Po pratique la politique « une association, une salle par semaine ». « Nous étions nouveaux, on ne savait pas du tout comment ça fonctionnait » se défend Romain Decharne. Simple erreur ou dérogation à la règle ? Le doute reste permis lorsque l’on sait que Romain faisait partie des maîtres de conférence de Sciences Po. Passer par le secrétariat pédagogique qui leur est dédié, rend évidemment l’obtention de salles plus aisé. Les simples étudiants de Sciences Polémiques eux, restant contraints de se débrouiller avec les bureaux de la vie associative.

Romain Decharne lors des Championnats du Monde de Débat organisés par la Fédération Francophone de Débat
Romain Decharne lors des Championnats du Monde de Débat organisés par la Fédération Francophone de Débat

 

En somme, ces débuts de relation difficiles n’ont pas l’air de s’être apaisés avec le temps. Révolte-toi planifiait en effet d’intégrer les Triplétades cette année. « La condition sine qua non était que l’on s’entende avec Sciences Polémiques » confie Inès. Inutile de dire que les deux associations s’accusent mutuellement de non-réponse aux demandes envoyées. Difficile donc de négocier.

Malgré tout, Romain Decharne reste optimiste : « d’ici deux ans, on espère que tout le monde se sera décontracté et qu’on pourra  faire une compétition commune ». Un premier pas vers une entente ?