Opinion – Emmanuel Macron, Solal d’Albert Cohen : même histoire, même destin ?

L’énigmatique Emmanuel Macron a fait couler beaucoup d’encre. Il faut dire que l’exploit est notable : jamais élu, parricide et ondoyant, Emmanuel Macron a déjoué tous les pronostics en devenant Président de la République à 39 ans. Certains se sont tentés à l’analogie (avec Michel Rocard, le comte de Saint-Simon, Jean Lecanuet…) quand d’autres ont préféré décortiquer la pensée plutôt que l’homme (c’est le sujet du dernier livre de Myriam Revault d’Allonnes). Peu se sont tournés vers la littérature pour le cerner.

Un personnage de fiction, pourtant, se rapproche furieusement de la trajectoire et du caractère du huitième Président de la Ve République. Imaginé par Albert Cohen, l’écrivain préféré d’un autre Président, François Mitterrand, le personnage mythique de Solal cumule les ressemblances avec Emmanuel Macron. Jeune, ambitieux, exilé de sa terre natale, fâché avec sa famille, séducteur et conquérant, il semble qu’il y ait du Solal chez Macron. Ou serait-ce l’inverse ?

Albert Cohen inaugure sa tétralogie des Valeureux en 1930. Il publie cette année-là le premier volume, Solal, aux éditions Gallimard. Solal est né sur l’île de Céphalonie, en Grèce, dans une famille juive – son père, Gamaliel, est rabbin – appelée les Solal. Notre héros éponyme, Solal des Solal, donc, treize ans au début du roman, s’affirme très vite comme un séducteur. À l’occasion d’une remise de prix au lycée français de Céphalonie, il fait la rencontre de la femme du consul de France, Adrienne de Valdonne. Il en tombe amoureux, parvient à la séduire malgré les oppositions et décide de l’enlever vers l’Italie. De son côté, le jeune Emmanuel Macron, élève au lycée la Providence d’Amiens, tombe amoureux de Brigitte Trogneux, sa professeure de théâtre. Il réussit, après maints efforts, à entamer une relation avec elle qui ennuie la bourgeoisie locale et singulièrement sa famille. Emmanuel Macron fuit Amiens et ses jacassements en poursuivant son lycée à Henri IV, à Paris.

Albert Cohen

Arrivé en France, Solal quitte Adrienne, rejoint Paris et s’éprend d’Aude de Maussanne, qui lui permet, subrepticement, d’assouvir ses ambitions politiques. Il devient en un temps record, plume, député socialiste et ministre du Travail par sa proximité avec le premier ministre M. Maussanne, qui n’est autre que son beau-père – et véritable mentor en politique. De son côté, l’histoire est connue, le brillant énarque Emmanuel Macron, protégé de François Hollande, saute les étapes et passe de secrétaire général adjoint de l’Élysée (2012-2014) à Ministre de l’Économie et des Finances (2014-2016). Solal et Macron sont ambitieux et rusés. Émancipés de leur milieu, les deux parviennent à leurs fins en se rendant indispensables à ceux qu’ils côtoient. Solal écrit les discours et oriente la politique du Premier ministre Maussanne. Macron rédige le programme et oriente la politique du Président Hollande. Les deux finissent par s’affranchir de leur maître.

Quoique bien investis dans les cercles du pouvoir, Solal et Macron détonnent. Solal, issu d’une famille juive arrivée d’Espagne après le décret d’expulsion de 1492, évolue dans un milieu essentiellement chrétien (et antisémite). Joueur, il fait louvoyer sa conversion au christianisme et s’amuse des obédiences des uns et des autres. Il déclare au sujet de son mariage avec la protestante Aude de Maussane : « Je leur défile des prénoms hébraïques que j’invente, si je parle à des chrétiens. Ou je dis avec orgueil que j’ai épousé une chrétienne, si je parle à des Juifs. » Peu importe les vanités, Solal avance. Emmanuel Macron, ancien chevènementiste encarté au Parti socialiste de 2006 à 2009, bâtit sa notoriété en assumant son tropisme libéral. Ministre, il déclare le 19 août 2016 au Puy du Fou de Philippe de Villiers, qu’il « n’est pas socialiste », suscitant l’ire de ses camarades de l'(ex)-rue Solferino. En somme, le premier est un séducteur juif entouré de chrétiens tandis que le second est un séducteur libéral dans un univers socialiste.

Reste que Solal des Solal et Emmanuel Macron n’auront a priori pas la même fin. Et c’est heureux. À la fin du roman éponyme, sans le sou, l’air hagard, esseulé, Solal erre dans les rues de Paris. Il divague, réaffirme sa judéité qu’il a si souvent renié et frôle le syndrome de Jérusalem en se déclarant, à qui veut l’entendre, le « roi des Juifs (…) le prince de l’exil ». Il organise son propre Calvaire et se suicide, entouré de mendiants, dans une mystique solaire et chevaleresque vers « demain et sa merveilleuse défaite ». Dépassé par ses ambitions, déraciné, Solal se fait dévorer par sa mégalomanie. De son côté, Emmanuel Macron, devenu roi-Président de notre monarchie républicaine, n’a d’obstacles que ses propres erreurs. Il s’apprête à repartir en campagne pour tenter de briguer un second mandat. Puisse cette fin tragique résonner comme un avertissement.   

Crédits images :

Couverture : Emmanuel Macron at the Phare de Biarritz in Biarritz, France. (Official White House Photo by Andrea Hanks), https://www.flickr.com/people/148748355@N05

Albert Cohen : Studio Harcourt, 1968, http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb384959550?rk=21459;2