On a assisté à un meeting de Donald Trump
« Nobody knows. » Il y a encore un mois, tel était le mot d’ordre des journalistes et analystes des élections américaines, tant les échéances politiques de l’année s’avéraient incertaines. C’était juste avant le début des primaires, élections indirectes qui visent à désigner des délégués, lesquels éliront à leur tour le candidat de chaque parti à l’élection présidentielle du 8 novembre.
Côté démocrate, un sénateur du Vermont peu connu se définissant « socialiste » compliquait la tâche d’une ex-première dame et secrétaire d’Etat à la notioriété internationale. Côté républicain, un milliardaire sans mandat politique, favorable à la construction d’un « mur » à la frontière avec le Mexique, bousculait les candidats installés dans la politique depuis longtemps, gouverneurs d’Etats ou membres du Congrès.
Aujourd’hui, on en sait un peu plus, sans pour autant pouvoir formuler de pronostics catégoriques : Trump est premier de la primaire républicaine devant Ted Cruz, et Hillary Clinton distance Bernie Sanders.
Le New Hampshire, près de Boston, a placé le 9 février en tête des primaires les deux candidats « anti-système.» La Péniche s’y est rendue juste avant, pour capter le souffle des candidats et écouter les aspirations des militants : tous révèlent quelque chose du pays, et de ce qu’il s’y joue en ce moment.
La crainte d’incidents
« Merci d’être respectueux avec les militants. » C’est par ces mots que le staff de Donald Trump, visiblement sous tension, accueillait les journalistes, y compris étudiants, à son meeting dans le gymnase de l’université de Plymouth. C’était pourtant avant les vifs incidents qui ont émaillé certaines de ses réunions publiques ces dernières semaines, conduisant par exemple le candidat à annuler un meeting le 11 mars à Chicago.
Ce jour-là, dans le New Hampshire, un opposant a enlevé son pull « Trump », laissant découvrir son T-shirt « Bernie », et a été accompagné vers la sortie sous les huées du public et les moqueries du candidat républicain. Mais c’était la seule interruption d’un discours d’une heure, qui a commencé par le « pledge of allegiance », le serment d’allégeance au drapeau et aux Etats-Unis prononcé par les militants.
Les Etats-Unis menacés de l’intérieur et de l’extérieur
Seul sur la scène, alors que Sanders et Clinton étaient entourés de jeunes la veille, Donald Trump a commencé par railler l’actuelle politique d’éducation, et par défendre une politique moins coûteuse mais plus efficace : « Nous sommes au 30ème rang en ce qui concerne les résultats mais numéro 1 pour les coûts. Des pays du Tiers Monde font mieux que nous, comme la Chine, le Danemark, le Suède, la Norvège » (sic). Il a ensuite fait l’apologie de la torture appelée « simulation de noyade » contre les terroristes, en se justifiant : « Nous vivons dans une période moyenâgeuse et diabolique (…) le waterboarding n’est rien comparé à ce qu’ils font. » Depuis, il est toutefois revenu sur ses propos.
Le cœur de son discours était articulé autour d’une double menace, exercée à l’extérieur par les pays émergents et à l’intérieur par « l’establishment. » Pour lui, ce « système » comprend les élites politiques, qui « veulent seulement être réélues, parlent mais ne font rien », ainsi que par les élites financières, incarnées par les compagnies pétrolières, pharmaceutiques ou d’assurance, qui financent les campagnes des candidats et les rendent prisonniers de leurs intérêts particuliers. Trump prend le contre-pied de candidats comme Clinton, et revendique son indépendance. Celle-ci lui est permise par sa fortune, qui constitue 78% des 27,4 millions de dollars de fonds levés pour sa campagne, un montant total très faible par rapport aux 188 millions récoltés par Hillary Clinton : « Je suis le pire cauchemar des lobbies, car je ne veux pas leur argent, je n’en ai pas besoin. Ils n’ont aucun pouvoir sur moi (…) Je vais me faire beaucoup d’ennemis parmi mes amis. »
Mais les problèmes des Etats-Unis viennent aussi de l’extérieur. Selon Trump, le « plus riche pays du monde » est attaqué par des pays comme la Chine ou le Mexique, qui « prennent des millions d’emplois », et face auxquels il faut se défendre. C’est pourquoi il propose de mettre en place un protectionnisme économique contre ces deux pays : « Je suis pour le libre commerce mais je veux de l’équité. » Il souhaite également s’affirmer face à des pays alliés : « Nous protégeons beaucoup d’Etats dans le monde : ils doivent payer. (…) Si le Japon est attaqué, on a l’obligation de l’aider, mais si nous sommes attaqués, ils ne feront rien. »
A cette menace économique s’ajoute la menace migratoire. Trump n’a pas abordé dans ce discours sa proposition très controversée d’interdire aux musulmans l’accès au territoire américain « jusqu’à ce que le problème soit réglé. » Il a en revanche insisté sur l’immigration mexicaine : « Nous avons un énorme problème avec l’immigration illégale. (…) Qui va payer pour le mur ? » Et la foule, réactive, de s’exclamer : « Mexico ! », en référence au mur que le candidat Trump entend construire à la fontière mexicano-américaine pour empêcher les entrées illégales. « Ce mur va être tellement grand, tellement joli, tellement haut, tellemment puissant. On va faire un gros, un magnifique mur », a poursuivi l’orateur.
Des mots et un profil de businessman qui séduisent aussi des étudiants
La formulation de cette promesse est révélatrice de la forme du discours de Trump, fait de mots simples comme « good, bad, great, nice.» Le candidat républicain parle également beaucoup de lui, à travers les nombreuses occurrences de « je », « moi » ou « mon. » Il donne ainsi le sentiment d’être intouchable et de pouvoir régler tous les problèmes avec son argent, dont le champ lexical traverse d’ailleurs toute son intervention.
Cette réussite de businessman motive le vote de certains de ses supporters, dépeints comme la « majorité silencieuse » selon les panneaux des militants, ou comme majoritairement ouvriers, blancs et peu diplômés, selon la sociologie électorale.
A rebours de ce portrait-robot traditionnel, Rebecca est une doctorante de 35 ans en business et stratégie, à Boston University. Elle trouve que la représentation des supporters de Trump est injuste : « Je suis femme, juive, qui fait des études. Je ne corresponds pas à la représentation que les médias font de nous ! » Elle soutient Trump pour son « indépendance » par rapport aux grandes entreprises, parce qu’«il comprend le business vu son expérience internationale », et pour sa politique fiscale : « les individus sont plus à même de gérer leur argent que le gouvernement, donc il doit y avoir moins de taxes. » En tant que femme, que pense-t-elle de certains propos de Trump (« Si Hillary Clinton ne peut pas satisfaire son mari, peut-elle satisfaire l’Amérique ? ») ? « Je ne suis pas offensée, parce qu’il ne s’en prend pas seulement les femmes. Il a des choses négatives à dire à tout le monde, donc je ne me sens pas blessée car tout le monde est attaqué de la même manière », indique-t-elle.
« Un politicien pas comme les autres » face à une classe politique impopulaire
Bob Legar, un canado-américain professeur de marketing et management à l’université, nous confie en français qu’il est « encore indécis.» En anglais cette fois, il émet quelques réserves à l’endroit du milliardaire américain : « Il peut être parfois un peu trop clivant, ce n’est pas un bon diplomate.» Mais pour lui, « c’est ça le business. Les politiques essaient de ne froisser personne, mais le travail n’est pas fait complètement si vous voulez satisfaire tout le monde. Trump n’est pas un politicien comme les autres. »
Et c’est aussi ce qui fait son succès. Parmi les supporters, beaucoup nous ont affirmé « être lassés des politiciens », face à un candidat qui « dit la vérité.» Bob Legar les rejoint : « Les gens veulent envoyer un message aux politiques, et leur dire qu’on en a marre : arrêter de vous servir, soyez présents dans l’hémicycle pour voter, faites votre travail.»
Rick Perlstein, journaliste au Washington Spectator, présent pour couvrir le meeting, entend régulièrement ces témoignages, et estime qu’ils alimentent un candidat dangereux : « Donald Trump est le premier favori des primaires républicaines à se risquer à une telle démagogie. » Aux contempteurs du candidat qui comparent ses meetings à un cirque politique, il répond :« it is not « un jeu » (en français dans le texte), but it is a real risk. »
Avant de se livrer à un bain de foule mouvementé, Donald Trump a terminé son discours en invitant à la mobilisation par la négative : « Si vous ne votez pas pour moi, n’allez pas voter. » Avec 35% des voix obtenues le surlendemain dans le New Hampshire et 20 points d’avance sur le second, il semble que son appel ait été entendu.
Cet article a pu être écrit grâce à l’aide et à la relecture précieuses de Clémence Boullanger et Hugo Bensai