Mais qui est vraiment l’étudiant de Sciences Po ? Une nouvelle étude dévoilée en avant première
Vingt ans après leur première étude sur le sujet, Anne Muxel et Martial Foucault, respectivement chercheuse et directeur du CEVIPOF ont dévoilé les résultats de leur nouvelle enquête lors d’une table ronde organisée à l’occasion du Festival des 150 ans de Sciences Po.
Du passage au système Licence-Master-Doctorat (LMD), au développement des campus en région, ainsi que la création d’une troisième année à l’étranger ; Sciences Po Paris a bien changé depuis 2002. Et ses étudiants aussi. Vingt ans après la publication de leur enquête « Les étudiants de Sciences Po : leurs idées, leurs valeurs, leurs cultures politiques », Anne Muxel et Martial Foucault nous ont dévoilé en avant première, les principaux enseignements à retenir de leur nouvelle étude.
Conduite en mai-juin 2022 auprès de toute la communauté étudiante de Sciences Po, les chercheurs ont récolté un nombre impressionnant de réponses: soit 5 000 sur les 12 500 étudiants que compte notre école.
Hausse du nombre d’enfants d’ouvriers
Les chercheurs ont cherché à vérifier la pertinence de l’image d’une “fabrique des élites” qui est assignée à Sciences Po. Ces derniers se sont intéressés aux origines sociales des étudiants et aux catégories socioprofessionnelles de leurs parents. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 58% d’entre eux sont des enfants de cadres ou professions intellectuelles supérieures. À titre de comparaison, ce chiffre ne s’élève qu’à 33% en moyenne dans les autres universités.
Néanmoins, on observe une hausse significative du nombre d’enfants d’ouvriers et d’employés depuis 1998, passant de 3 à 14%. Deux éléments peuvent être retenus afin d’expliquer cette évolution : d’une part, les effets de la procédure Conventions Éducation Prioritaire (CEP), et de l’autre, le recrutement accru d’étudiants internationaux, dont l’origine sociale est souvent plus diversifiée.
Concernant cette fois le sentiment d’élitisme, les étudiants le ressentiraient davantage que leurs prédécesseurs. Il y a deux décennies ils étaient 52% à se sentir “plutôt” ou “complètement” appartenir à une élite contre 60% en 2022. Cependant, les “Sciences Pistes” ont de moins en moins confiance en la méritocratie ; les relations interpersonnelles étant perçues comme tout aussi importantes que les diplômes dans l’accession à une « élite sociale ».
De plus en plus politisés… et à gauche
Il y a 20 ans, les étudiants de Sciences Po étaient déjà plus politisés que les étudiants français. Cette politisation a continué à progresser, en particulier chez les femmes. En 2002, 32% des femmes se disaient “politisées”, contre 48 % aujourd’hui. Elle est aussi significative chez les hommes puisqu’elle est passée de 52 à 66% en 20 ans.
L’orientation à gauche -largement majoritaire- des étudiants s’est également accentuée. D’après l’étude, 71% des étudiants se positionnent à gauche de l’échiquier politique , soit une hausse de 14 points depuis 2002, tandis que l’appartenance à la droite connaît un net recul, passant de 22 à 14%. On apprend également que 16% des sondés ne se considèrent ni à gauche ni à droite, un chiffre toutefois inférieur à la moyenne nationale des étudiants français.
Peu de représentativité
Le manque de représentativité est également palpable lorsque l’on observe la proximité partisane des étudiants, ainsi que le palmarès des personnalités politiques les plus admirées, parmi lesquelles on trouve notamment l’américaine Alexandra Ocasio-Cortez, la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, et Emmanuel Macron.
L’importance du “respect pour la démocratie représentative” et la dimension protestataire de leur engagement traduisent également une divergence significative des intérêts politiques des étudiants de Sciences Po par rapport à la moyenne nationale des jeunes de moins de 26 ans.
1 | Alexandra Ocasio-Cortez |
2 | Jacinda Ardern |
3 | Emmanuel Macron |
4 | Jean-Luc Mélenchon |
5 | Volodymyr Zelensky |
6 | Angela Merkel |
7 | Christiane Taubira |
8 | François Ruffin |
9 | Raphaël Glucksmann |
10 | Christine Lagarde |
admirées par les étudiants de Sciences Po
De nouvelles formes d’engagement
Si les formes traditionnelles de l’engagement perdurent (syndicalisme, militantisme au sein des partis politiques), elles sont de plus en plus dépassées par l’engagement associatif des étudiants.
Quant aux causes défendues, elles sont globalement très progressistes et “post matérialistes”. La première est celle de l’environnement (26%), suivie par la lutte contre les inégalités (16%) et les droits des femmes (16%). 88% des élèves ont ainsi une vision positive du mouvement MeToo, 74% des syndicats, 54% de l’énergie nucléaire, 47% du patriotisme et… du “wokisme”.
Une vision différente de la laïcité
Si 85% disent avoir une vision positive de la laïcité, les étudiants sont toutefois réticents à la restriction des signes religieux. En cela, ils se distinguent des acteurs politiques, promouvant davantage une laïcité dite positive.
Les étudiants de Sciences Po n’ont pas les mêmes pensées politiques que leurs compères des autres universités, et bien que plusieurs tendances se distinguent, n’oublions pas la singularité de chaque individu : il n’y a pas « un » profil Sciences Po », mais une pluralité de réflexions et de parcours individuels.