Larry Clark, l’éternel adolescent
« Ils doivent quand même avoir 16-17 ans ces gamins » murmure un homme, la soixantaine, à sa femme, comme pour se déculpabiliser. De quoi? D’être venu? De voir des jeunes paumés? Il faut croire que cette expo est scandaleuse, puisque la mairie de Paris l’a interdite aux mineurs. Les photos de Larry Clark seraient pédo-pornographiques.
D’ailleurs nombreux sont les visiteurs qui sont venus en voyeurs, pour vérifier si l’exposition méritait bien cette interdiction, et pour pouvoir en reparler, bien sûr. Pourtant il n’y a pas que des photos de nus, loin de là. Ce ne sont même pas les plus « choquantes ». L’artiste aborde le malaise des jeunes sous tous ses angles, en évoquant le sexe, oui, mais aussi les armes et la drogue.
Les jeunes de Larry Clark se piquent, jouent avec des armes à feu ou se prostituent. L’un d’eux mime le suicide, un autre est photographié se droguant, son jeune bébé à ses côtés. A leur parution ces photos ont fait scandale, montrant à l’Amérique ses jeunes à leurs dérives. Pourtant il ne s’agit pas pour l’artiste de simplement exposer avec complaisance le malheur de la jeunesse américaine. Il n’élude pas les risques de ces comportements, prenant en photo un adolescent qui s’est fait tirer dessus, où l’enterrement du nourrisson d’une jeune junkie.
Les différentes séries de photos, avec chacune leur propre identité, semblent tenir autant du reportage que de l’art. Toutefois l’artiste ne juge pas, il décrit avec réalisme, sans concession. En effet les photos sont cadrées de manière classique, pour laisser le fond s’exprimer plus intensément. Il dépeint la réalité telle qu’elle, sans voyeurisme, en refusant de sélectionner les photos. C’est en travaillant dans le studio de ses parents qu’il apprend à photographier. Mais ses premières photos, qu’il prend à 19 ans, rejettent déjà tous les artifices que ses parents utilisaient pour satisfaire leurs clients.
Par la complicité qu’il entretient avec ces jeunes, il arrive à ne plus être remarqué, à se fondre parmi eux. Ses photos portent un regard personnel sur les jeunes qui posent, l’air étonné, dans son studio. Larry Clark n’a de cesse de revenir à cet âge fondateur -avec une bande de skateurs ou des jeunes latinos. C’est aussi ce que suggère le titre de l’expo, Kiss the Past Hello (Kiss the past, Goodbye signifie faire table rase du passé).
Loin de rejeter cette période trouble le photographe assume pleinement l’importance de l’adolescence pour l’âge adulte. C’est parce qu’il a su, à ces débuts, voir cette société en adolescent que Larry Clark a réussi à ne pas faire une énième exposition sur la face sombre de l’Amérique. Pourtant les photos sont d’une qualité inégale, entre l’excellente série Tulsa prise à ses débuts, et un Los Angeles 2003-2010 beaucoup plus consensuel. Ainsi les photos les plus récentes peuvent sembler ridicules, tant on sent que l’artiste cherche sans succès à retourner dans l’adolescence. On regrette aussi certains collages et un petit film qui apportent assez peu à l’exposition, nuisant à son unité. Par moment l’artiste semble utiliser ses sujets pour parler de sa propre adolescence. Comme il le dit lui-même: « J’ai toujours voulu être ceux que je photographiais et je pense qu’utiliser ces gens-là, c’est comme retrouver une enfance parfaite. »
Larry Clark reste un artiste hors norme, qui n’apporte pas de jugement moral, comme pour nous laisser en éprouver les limites. Si les photos de 1971 gardent toute leur force, aujourd’hui leur intérêt est surtout artistique, tant la réalité qu’elles décrivent est devenue banale. Ne vous attendez donc pas à du sensationnel, mais à un art qui peut s’exprimer complètement et en toute liberté, même si nous ne sommes pas tous libres d’en profiter.
Infos pratiques:
Au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du président Wilson, jusqu’au 2 janvier.
Métro: Alma-Marceau ou Iéna.
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