La Chronique sonore du Mag #2

Revue eclectique ce dimanche, du rock post-tropical à l’électro eighties! Clement Lo Hine Tong se penche sur les audacieux biarrots de La Femme, tandis qu’Elie de Gourcuff pousse un coup de gueule face à l’opportuniste premier album de Kavinsky.


La Femme, Psycho Tropical Berlin, Disque pointu /Barclay // Post-Tropical.

Qui est la femme de 2013 ? Loin des interrogations de Biba ou Marie-Claire, une belle réponse nous est livrée dans Psycho Tropical Berlin, le premier album du groupe La Femme. Un nom de scène sobre pour une musique délurée, qui sent l’acide et le sang, oppresse et ravit son auditeur.

Difficile de définir le cocktail proposé par cette joyeuse bande : entre refrains imbéciles (« Antitaxi », « Sur la planche 2013 »), ballades mélancoliques (« Le Blues de Françoise »), rythmes lancinants (« It’s time to wake up », « Saisis la corde »), la palette du groupe est large. La Femme déambule à travers des paysages anxiogènes et chaotiques où résonne au loin l’orage ; le mot « tropical » revient souvent et pourtant les voix sont froides, impersonnelles et inquiétantes. Une musique à la fois brûlante et glacée – mais jamais tiède – est au menu de cet album qui a plus l’odeur du formol que celui des tropiques. L' »Amour pour la mort » est en effet l’obsession qui pointe à travers des paroles crues et cruelles comme sur « Nous étions deux », un des plus beaux titres de ce premier opus, qui nous annonce : « la fièvre jaune te tend les bras ». C’est ce mélange inconfortable de sensualité et de morbide qui est l’horizon permanent de l’univers de La Femme. Un plaisir funèbre, en quelque sorte, face auquel on se sent (un peu) coupable.

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La Femme est impitoyable et dominatrice : cinq voix féminines se succèdent et se croisent, angoissantes, récitant des comptines macabres, des incantations violentes. Certes, les rimes sont parfois faciles, et les mots parfois absurdes mais le sens importe moins qu’une musicalité qui s’appuie sur des synthés planants (« Amour dans le Motu »), des riffs de guitare aux accents presque « surf » (« La Femme »), un piano désuet (« From Tchernobyl with love »), et surtout une rythmique simple et mécanique. « Hypsoline » donne lieu à une énumération de néologismes – tel « hypsolinicose » – et autres expressions auxquelles on ne comprend pas grand-chose (« Anastasia du Domestial »), livrés d’une voix masculine traînante. Les sons dissonants qui émaillent l’album créent une atmosphère où flottent des vapeurs acides, et l’on se demande si la consommation de psychotropes y est pour quelque chose. Cet univers, illustré par la belle pochette de l’album, fait penser aux dessins de Henry Darger : d’une brutalité délicate, traversé de maléfices, on imagine une Vénus camée s’y promener. Certains titres rappellent même des refrains yéyé un peu idiots, comme si la poupée de son de Gainsbourg se réveillait un lendemain de cuite, et écoutait le son de sa Gameboy cassée (« Saisis la corde »).

Dans une atmosphère gore sonne alors la révolte féminine : La Femme se prend à rêver d’abandonner son Moulinex et de « porter des pantalons » (« Si un jour ») mais constate impuissante qu’elle n’est qu’une automate déréglé qui finira « écrasée » (« La Femme ressort »). « Le Blues de Françoise », un des titres les plus tendres de l’album, parlera d’ailleurs très certainement à toutes les filles qui ont un jour plongé la main dans un pot de pâte à tartiner, au lendemain d’une rupture…

Ecouter Psycho Tropical Berlin c’est au final monter à bord d’un train fantôme et prendre le risque du frisson, c’est entendre de lointaines injonctions – « Tu croises une femme, tu lui perces la tête », et côtoyer une violence sadique, c’est haleter au rythme systolique de l’album. Il y a dans cette ambiance glauque (retranscrite dans le clip d' »Hypsoline » et ses orgies draculesques) quelque chose d’Edgar Allan Poe. Peut-être alors faudrait-il suivre le conseil crié d’une voix de camelot sur « Welcome America » : « Fuyez la Femme ! ». On aimerait pouvoir.

Clement Lo Hine Tong

Kavinsky, Outrun / Mercury Records / Electro game-boy

Le mois dernier, Vincent Belorgey, plus connu sous le nom de Kavinsky, sortait son dernier album Outrun.
Celui qui avait composé le titre Nightcall, rendu célèbre grâce au très bon film Drive de Nicolas Winding Refn, avait depuis totalement disparu des radars, même s’il avait effectué une performance en demi-teinte lors des derniers Solidays.

On attendait donc des nouveautés dans ce premier opus, on souhaitait que Kavinsky montre enfin ses qualités musicales, que ce soit dans le choix des mélodies ou des paroles: ce nouvel album devait annoncer le grand retour du DJ français. Malheureusement, ce retour est décevant. On aurait préféré que Kavinsky reste en retrait encore un moment plutôt que de revenir avec un album aussi faible, composé de mélodies enfantines, loin d’être dignes de la réputation du compositeur.

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Kavinsky donne l’impression d’avoir bâclé cet album, pensant certainement que sa notoriété suffirait à plaire et à faire du chiffre. Mais au contraire, l’attente précédant sa sortie a été aussi forte que la déception quand on l’a découvert. L’album est en effet une désillusion sur pratiquement tous les points, avec des musiques sans saveurs qui se résument à des tonalités basiques, mécaniques accompagnée d’un son robotique et saturé. Dès que l’on entend le début d’un des titres, on peut aisément en deviner la suite sans que Kavinsky nous surprenne. Il n’y a qu’une ou deux mélodies -comme le titre Protovision- qui, loin d’être géniales, ont au moins le mérite de contrebalancer la médiocrité de l’ensemble.. Le DJ va même jusqu’à nous rebalancer Nightcall –comme si on ne l’avait pas assez entendu- et ose reprendre la bande originale de… Dragon Ball Z.
Non, cette année, Kavinsky ne surprendra pas et n’effectuera pas son grand retour, du moins pas avec cet album, dont on pourrait dire qu’il n’est pas le meilleur, dommage que ce soit le seul.

Elie de Gourcuff