James Webb, objectif : Bing Bang

Le 25 décembre dernier, un télescope de 6,2 tonnes était emmené dans l’espace par un lanceur Ariane V. Son nom ? James Webb. Son but ? Photographier ce qui a directement suivi le Bing Bang. Plus gros et plus cher que tous ses prédécesseurs, James Webb constitue une nouvelle étape importante dans notre compréhension de la formation de l’univers. 

Pour qui est étranger à la recherche spatiale, le décollage du télescope James Webb semble sorti de nulle part. Mais pour qui s’intéresse au domaine, et plus encore pour qui a travaillé sur le projet, cet évènement est l’aboutissement de longues années de travail laborieux retardé par plusieurs reports. Digne héritier de Hubble, qui a gagné l’orbite basse de la Terre en 1990, James Webb a été imaginé dès 1989. Après les études de faisabilité et les premières maquettes des années 1990, la taille du miroir est ramenée de 8 à 6 mètres de diamètre. En revanche, le budget est revu à la hausse, passant de 0,5 milliards de dollars à 4,5 milliards, puis à 9,7 milliards aujourd’hui, ce qui en fait à la fois le plus grand et le plus onéreux télescope jamais envoyé dans l’espace. Quant à son lancement, initialement prévu pour 2007, il a régulièrement été repoussé, et ce jusqu’à la dernière minute puisque les conditions météorologiques à la base de Kourou (Guyane française), d’où partait le lanceur, n’ont pas permis le décollage programmé pour le 24 décembre 2021. C’est finalement le lendemain qu’une Ariane V fournie par ArianeSpace emmène finalement le précieux œil cosmique. Mais alors, que voulons-nous voir à travers cet oculaire ?

Pensé comme l’extension du formidable Hubble, le James Webb a une vision plus performante mais surtout complémentaire. J’en appelle à vos vieux souvenirs de cours d’optique, si vous en avez. Rappelons-nous que la lumière, qui correspond à tout ce qu’il est possible de voir (pas qu’à l’œil nu), est transportée par une particule appelée photon. L’énergie que contient ce photon est inversement proportionnelle à la longueur de l’onde associée, et cette longueur d’onde définit la nature de la lumière. Les ondes les plus microscopiques sont des rayons Gamma, puis viennent les rayons X, les Ultraviolets, et le domaine du visible, qui va du violet au rouge. Au-delà du rouge, les ondes plus grandes forment les infrarouges, puis les micro-ondes et enfin, les ondes de plusieurs centimètres de long sont appelées ondes radio. Hubble se concentrait sur le domaine du visible, il fournissait donc des images similaires à ce que notre œil pourrait voir si nous avions une telle acuité. Tandis que James Webb observe ce qui se passe entre 0,6 et 28 micromètres, c’est-à-dire de l’orange au rouge et surtout dans l’infrarouge. Cela devrait nous donner des images biologiquement inconcevables mais surtout scientifiquement cruciales, puisque ce que l’on voit (après conversion en lumière visible) dans l’infrarouge donne d’autres informations que ce que le domaine visible montre. Ainsi, les scientifiques espèrent observer les confins du ciel, là où tout est si loin de notre monde que la lumière met un bon 13 milliards d’années à nous parvenir. Regarder loin, c’est donc regarder dans le passé, et scruter 13 milliards d’années en arrière, c’est voir les étoiles et les galaxies telles qu’elles étaient peu après le Bing Bang, au moment de leur naissance. Les objectifs de la mission qui devrait durer cinq à six ans sont donc d’étudier l’évolution des systèmes stellaires primitifs et des jeunes galaxies ; mais également de chercher les conditions nécessaires à la formation de la vie et donc de mieux axer nos recherches d’exoplanètes habitables.

Techniquement, le télescope a dû innover. Sa pièce maîtresse est le miroir, qui doit être le plus grand et le plus impeccablement lisse pour fournir des images de qualités. Le miroir de Hubble faisait 240 centimètres de diamètre, tandis que celui de James Webb fait 650 centimètres d’un bout à l’autre. Embarquer un tel mastodonte dans les étoiles nécessitait de construire le miroir en plusieurs pièces, d’où son apparence de mosaïque composée d’une douzaine d’hexagones dorés. Impossible de protéger cette surface dans un bouclier cylindrique comme pour Hubble, c’est pourquoi cinq couches de toile tendue le protègent des vagues de chaleur solaire. L’ensemble de la structure est d’une taille comparable à celle d’un cours de tennis, ce qui ne rentre pas dans une Ariane V. L’origami ne se dépliera donc que fin janvier, lorsqu’il atteindra son bureau de travail appelé Lagrange II. Le point Lagrange II, toujours à l’ombre de la Terre et distant d’elle d’1,5 millions de kilomètres est un point de stabilité dynamique : les attractions exercées par le Soleil et la Terre sont telles que tout ce qui arrive à cet endroit avec une vitesse nulle s’y retrouve gravitationnellement piégé. C’est une place de parking cosmique.

Que le télescope soit nommé en hommage au second administrateur de la Nasa qui avait orchestré la mission Apollo laisse entendre que l’entreprise est américaine. Majoritairement oui, mais pas complètement, puisque la Nasa s’est alliée avec les agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (CSA). Néanmoins, les entreprises impliquées et les participations budgétaires sont principalement américaines. Le lecteur averti aura réalisé que James Webb est l’affaire des Occidentaux. Sachant combien l’espace peut être le théâtre des conflits géopolitiques, il se doutera qu’il faut voir dans ce télescope un camouflet adressé aux puissances spatiales du Tiers monde, les Russes, les Chinois ou les Indiens. Pourtant, les puissances orientales ne sont pas particulièrement intéressées par la recherche. Pour elle, l’espace est un territoire bon pour les exploits des humains, pas pour celui des machines. Ainsi, leur absence dans la conception du télescope James Webb peut difficilement être perçue comme une défaite ou un boycott. De plus, la gestion des images captées donne la possibilité à tous les scientifiques du monde d’exploiter des fragments de résultats. En effet, si 20% des images sont réservées à la Nasa, le reste est réparti entre les autres pays qui peuvent soumettre des propositions d’observation. 266 propositions ont ainsi été retenues par un comité d’astronome chargé de juger leur pertinence scientifique. Sur ces 266, 99 viennent d’Europe ou du Canada. En somme, environ 43% des images seront exploitées par des pays du Sud. 

Les enjeux liés à ce nouveau progrès technologique sont donc avant tout scientifiques. Doué d’un œil intrusif, James Webb est en effet une nouvelle étape décisive dans l’observation de la préhistoire spatiale. Posté aux encablures de la Terre, notre sentinelle a cinq années pour nous laisser regarder les origines du monde.

Crédit image : ©NASA Goddard Space Flight Center / Chris Gunn from Greenbelt, MD, USA, CC BY 2.0