Harry Potter, une « oeuvre d’art » politique à Sciences Po (2/2)

On n’avait pas autant entendu parler de SciencesPo dans les médias depuis la mort d’Albus Dumbl… de Richard Descoings ! Le cours proposé aux étudiants de deuxième année par François Comba intitulé « Harry Potter de J. K. Rowling, approche littéraire, psychanalytique et politique » a piqué la curiosité des médias français, que ce soit Le FigaroLe Nouvel Obs ou même Grazia. La Péniche a donc enfourché son plus beau Nimbus2000 pour aller interviewer M. Comba, professeur d’Histoire, afin de comprendre les tenants et aboutissants politiques de l’oeuvre littéraire la plus lue au monde depuis deux mille ans, Bible et Petit Livre Rouge exclus. Quels messages et quelles références politiques se cachent derrière la mythique cicatrice du sorcier à lunettes et Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom-Mais-Qu’on-Appelle-Voldemort-Parce-Que-Bon-Faut-Pas-Déconner-C’est-Quand-Même-Un-Petit-Peu-Plus-Pratique ? 

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Parmi les sujets d’exposé qui sont proposés aux étudiants dans le cadre de votre cours, on a entre autres « Le personnage de Severus Snape », « La famille Weasley est-elle une famille idéale ? » ou encore « Harry Potter, manuel d’éducation civique ? ». Quel message en matière d’éducation civique est apporté dans Harry Potter ? 

Je n’entends pas le terme d’éducation civique comme les manuels de collège qui sont un prêchiprêcha républicain et démocratique nous expliquant que le racisme c’est mal et qu’il est important de respecter les lois. C’est vrai, mais ce n’est pas ça une bonne éducation civique.

Severus Rogue
Severus Rogue

La bonne éducation civique, c’est tout d’abord une éducation à la solitude : un homme peut avoir raison contre un univers entier. Un homme doit s’accrocher à la passion de la vérité, la mise en évidence de  la vérité, même si il est seul. Or, les romans nous montrent clairement qu’il faut accepter d’être seul car si on refuse la solitude, on se précipite dans l’ombre, vers quelque chose de plus grand, d’impressionnant et de puissant : on se prend à rejoindre un parti et c’est finalement le parti qui nous prend. C’est exactement le cas de Rogue ! C’est uniquement lorsqu’il assume enfin sa solitude qu’il trouve sa vraie grandeur. Lorsque Harry descend seul vers la pierre philosophale après la partie d’échecs dans le premier tome, on retrouve cette éducation à la solitude. Dans l’univers de J.K. Rowling, les vraies batailles se jouent seul.

L’oeuvre de J.K. Rowling est également une éducation au courage, au courage défini par un but et un système de valeurs qui repose sur la vérité et la justice. Le courage d’Harry est foncièrement politique, il est exigé au nom de valeurs qu’il sert. Harry respecte d’ailleurs à la lettre un certain nombre de principes qu’il se fixe : il refuse la peine de mort, il obéit à la maxime de Périclès selon laquelle « on n’a pas le droit de détruire ses ennemis« . On doit convaincre, lutter mais pas détruire : Harry se refuse d’utiliser « Avada Kedavra », et se contente d’employer le sortilège de désarmement. « Ce qu’il y a de plus grand et de plus glorieux dans ma vie, c’est que jamais je n’ai fait prendre le deuil à aucun Athénien » disait Périclès : Harry est totalement dans cette logique de courage associé à un certain nombre de valeurs, et en cela, il est un chevalier des temps modernes.

 

Dans votre cours, vous faites un rapprochement entre Socrate, Jésus-Christ et Harry Potter : qu’est-ce qui peut donc bien les réunir ? 

Ce sont tous trois des figures sacrificielles. Harry Potter choisit de mourir, comme Socrate, au nom de principes qu’il s’est fixé. Il choisit de se sacrifier pour la vérité. Harry, comme Jésus, choisit de mourir pour effacer les péchés de la communauté des sorciers. Son sacrifice est nécessaire pour sortir de cette société des Mangemorts triomphants et bâtir une nouvelle communauté : il s’agit de poser les bases d’un nouvel ordre qui empêche de renouveler les fautes et erreurs qui ont permis l’essor de Voldemort et ses partisans.

Cette notion du sacrifice est fondamentale pour J.K. Rowling. A mes yeux, le programme du cycle Harry Potter, c’est le discours d’acceptation du prix Nobel de littérature de William Faulkner en 1949. Dans le contexte de peur physique généralisée liée à la bombe atomique, Faulkner réaffirme que le sujet de la littérature, c’est le cœur humain en conflit avec lui-même : ce sont les menaces intérieures de l’homme et non les menaces extérieures. Le rôle de l’écrivain est d’élever le cœur de l’homme en lui rappelant ce qui lui a permis d’ériger son glorieux passé, ce qui rend l’homme immortel, c’est à dire un esprit capable de compassion, de courage et de sacrifice. Le programme de Faulkner, le programme d’Harry Potter, c’est ainsi d’élever le cœur de l’homme en évoquant cette thématique du  sacrifice. Et le fait que J.K. Rowling parte de Faulkner pour définir ses objectifs, c’est une preuve manifeste que l’on est confronté non pas à de la littérature de jeunesse ou de la culture pop, mais bien à une oeuvre d’art.

 

Vous avez dit dans le cadre d’une interview pour Rue 89 que Rogue est une figure paternelle pour Harry. Mais qui est dans ce cas la maman de substitution de Harry ?

Hagrid
Hagrid, figure maternelle ?

Hagrid est clairement une figure maternelle pour Harry. J’ai eu l’occasion de montrer le fait dans un article publié sur Profondeur de Champs comment, dans le premier tome, Hagrid porte Harry bébé telle la Vierge Marie après un véritable massacre des innocents. Puis, dans le tome VII,  Hagrid porte le cadavre d’Harry telle la Pietà de Michel-Ange de la Basilique Saint-Pierre, où la vierge est plus grande que le Christ. Hagrid a clairement une fonction maternelle, c’est une représentation maternelle, une sorte de Maman velue.

 

Vous vous attachez dans votre cours à travailler sur les textes et non les films. Les films desservent-ils l’oeuvre de J.K. Rowling d’après vous ? 

Oui, clairement. L’insistance sur les effets spéciaux est dommageable. Le tome VI, qui est le roman le plus abouti avec le tome III, est une catastrophe cinématographique, il ne permet pas de comprendre les tenants et aboutissants du texte. Dans Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, on comprend qu’Harry devient un intellectuel : son occupation favorite, c’est la relecture d’un ouvrage savant, d’un manuel de potion annoté par un professeur : on passe de la lecture d’un manuel de Terminale à une thèse. En fait, dans le tome VI, Harry fait son hypokhâgne. Le fait qu’Harry s’engage dans une réflexion intellectuelle et ne joue plus au Quidditch n’est pas montré dans le film. Après il y a de très belles choses dans le film, à l’image de la prestation d’Alan Rickman ou Maggie Smith dans les rôles de Rogue et MacGonagall ou la scène dans laquelle Hermione efface son image dans les cadres photos de ses parents.