Festival Natures-Cultures : cette année, novembre sera vert

A l’occasion du festival inter associations Natures Cultures, qui aura lieu entre le 5 et le 9 novembre 2018 et rassemblera le BDA, SPE et le BDE, la Péniche est allée s’entretenir avec l’un de ses organisateurs, Christophe Zhang. L’occasion pour nous de s’interroger sur le rapport symbolique que l’homme entretient à la nature, et de vous offrir la mise en bouche d’un festival qui s’annonce détonnant.

La Péniche : Edgar Morin disait que « l’homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture » . L’ambition derrière ce festival est-elle de réconcilier la nature et la culture?

Christophe Zhang : Oui, on peut dire ça comme ça, que le but du festival est de réconcilier nature et culture… Mais on peut aussi prendre la chose à l’envers, on a envie de dépasser la distinction que l’on fait entre nature et culture et montrer qu’en réalité l’idée qu’ on a de la nature est nourrie par la culture. Si on veut utiliser des termes un peu la mode en ce moment, on peut dire que le but  de ce festival est essayer de déconstruire le regard que l’on porte sur la nature. Peut-être qu’il y aurait un lien entre notre perception de la nature et ce qu’on en fait aujourd’hui, notre rapport aux écosystèmes ou à la condition animale par exemple : ce sont des questions à explorer.

La Péniche : Justement, à propos de cette perception de la nature, est-elle, historique, occidentale ou simplement propre à la nature humaine ?

Christopher Zhang : Tout le monde a une définition différente de la nature, qui renvoie à un certain imaginaire. Dans les sociétés occidentales, la nature s’est longtemps définie par opposition à la culture. Mais par exemple, des anthropologues comme Philippe Descola (NDLR : ses recherches portent sur les pratiques animistes des Jivaros Achuar, il sera absent au festival mais vous pourrez toujours aller l’écouter au Collège de France) montre que la distinction entre nature et culture est très obsolète pour étudier les sociétés indigènes, qu’il faut établir de nouvelles typologies pour comprendre la diversité des rapports à l’environnement. Finalement, on peut faire remonter l’origine cette distinction entre nature et culture à Rousseau et son idée d’état de nature. C’est une distinction qui relève de la philosophie occidentale, mais qui a aussi un parcours historique avec la révolution industrielle notamment.

La Péniche : Ce festival, au delà de chercher à déconstruire nos représentations, cherche aussi à enrichir les sciences humaines par ce que tu appelles « les humanités environnementales », qui sont d’ailleurs l’une des idées de réforme de l’ acte III du collège. Quels seront les différents intervenants, et en quoi vont-ils montrer l’intérêt de ces humanités environnementales ?

Christopher Zhang : L’idée était de pouvoir présenter aux étudiants une grande diversité de profils. Par exemple, on a un philosophe, Emmanuele Coccia, auteur La vie des plantes – Une métaphysique du mélange, et on a aussi un historien. Essayer d’étudier l’histoire d’un point de vue environnemental implique de replacer l’histoire de l’homme dans un contexte géologique. Cela change complètement notre point de vue : d’un seul coup l’homme n’est plus seulement acteur de son histoire, il est aussi passif face à des forces qui le dépassent comme les catastrophes naturelles, les changements climatiques….

La Péniche : L’homme serait donc passif face aux phénomènes naturels… et pourtant, de plus en plus de scientifiques s’accordent pour dire qu’il y a eu un renversement, que nous avons basculé dans une nouvelle ère anthropologique appelée l’anthropocène. Pourrais-tu définir cette notion pour nos lecteurs ?

Christophe Zhang : L’anthropocène est une nouvelle ère géologique que l’on a définie assez récemment et dont on peut essayer de dater le début soit à la révolution industrielle, soit en 1945, c’est-à-dire avec l’usage de la bombe atomique.  L’anthropocène se caractérise par l’impact lourd, considérable, structurel que l’homme peut avoir sur la nature, sa capacité à la détruire. C’est le témoignage de la puissance de l’homme… mais aussi de sa fragilité.

La Péniche : Un autre terme appelle l’attention, celui de l’éco-féminisme. On voit de plus en plus de thèses politiques d’inspiration marxiste et holiste qui cherchent à inclure l’écologie dans leur doctrine.  Mais finalement, quel est le lien entre le féminisme et l’écologie ?

Christophe Zhang : Il ne faut pas réduire l’éco-féminisme à une addition simple entre écologie et féminisme. C’est plus compliqué que ça et c’est pour ça que j’invite les gens à aller à la conférence. Je suis vraiment loin d’être expert sur la question, ni légitime pour m’exprimer là-dessus et j’espère ne pas me faire taper sur les doigts par les féministes de Sciences Po si je dis des bêtises (rires). C’est tout un courant de pensée incarné par des femmes du monde entier, notamment des philosophes. La plus grande figure du mouvement est indienne, Vandana Shiva. En fait, la domination des humains sur la nature et celle des hommes sur les femmes s’inscrivent dans un système global où patriarcat et capitalisme sont mêlés ensemble, et contre lequel lutte l’éco-féminisme.  La série The Handmaid’s Tale est un bon exemple pour illustrer l’éco-féminisme. Elle est inspirée d’un roman écrit par une autrice très engagée sur la question de l’éco-féminisme, Margaret Atwood. C’est un exemple concret, dystopique, présent dans la culture populaire.

La Péniche : D’ailleurs, en parlant de culture populaire, il y a tout un business autour des scénarios de catastrophes écologiques ou de fin du monde. L’humanité adore mettre en scène sa propre fin, c’est quelque chose que l’on retrouve aussi bien dans la Bible que dans le dernier Michael Bay, aussi bien dans la théologie millénariste que dans les derniers bouquins de collapsologie. D’ où cette dernière question, à l’heure où il y a réellement urgence, n’est-il pas un peu superflu de vouloir passer par la philosophie ou l’art ?

Christophe Zhang : C’est justement le contre-pied qu’on décide de prendre avec ce festival. On part aussi du constat qu’il y a aussi une certaine lassitude, une certaine inaction. Souvent, on nous rabâche que c’est vraiment la fin et pourtant rien ne change. On se dit que la question du climat, c’est quelque chose qui appartient à la communauté scientifique alors qu’en réalité, cette question est présente en histoire, en art et tout le monde peut et devrait se l’approprier. C’est peut-être aussi par la culture qu’on peut faire bouger les lignes.

Gabriel Devos

L’entretien n’est pas exhaustif ; par souci de clarté, certains passages ont pu être modifiés.