Féminicides : les étudiantes de Sciences Po se mobilisent
À l’heure où les étudiant-e-s de Sciences Po se dépêchent pour être les premier-e-s en cafétéria et retrouver le sourire de Barbara, beaucoup ont pu constater un événement singulier se déroulant au 27 rue Saint-Guillaume, lundi 25 novembre. Une liste de noms égrenés un à un. Des corps allongés, symboles de toutes ces femmes mortes sous les coups de leurs conjoints ou ex. Un silence inhabituel en Péniche.
Il est 12h15 et à l’appel des associations Garçes, Politiqu’elles, Chafia et Equal, ce sont une centaine d’étudiantes, pour beaucoup vêtues de rouge, qui prennent part à un die-in au cœur de notre école. Alors que certain-e-s se pressent pour aller en cours, la circulation en Péniche est interrompue. Les corps bloquent la circulation, des voix lisent les 138 noms, âges et méthodes de meurtres des victimes de féminicides depuis le début de l’année.
Politiqu’elles nous explique le but de cette opération : « C’était une action symbolique qui a pour objectif de représenter les victimes de féminicides c’est un sujet crucial qui est trop laissé de côté ». Il ne s’agit pas cependant que d’une action de sensibilisation mais bien d’un geste politique : le texte lu ne se contente pas d’énumérer une liste de victimes mais demande des moyens à l’État, insistant qu’il est temps d’agir. Garçes rappelle qu’ « Il ne s’agit pas simplement de changer les mentalités, mais d’obtenir des moyens financiers conséquents afin de protéger les victimes – moyens qui serviront à financer les structures d’aides et d’hébergement et de mieux les prendre en charge, pour commencer ».
Une minute de silence, en hommage aux mortes, a été observée et très respectée à la fin de la lecture. Les personnes s’étant arrêtées en péniche pour observer la scène ont applaudi.
De multiples actions organisées
Le die-in de midi n’est pas la seule action menée ce 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
En effet, tôt le matin, les sièges de Boutmy ont affiché le nom des 138 femmes mortes sous les coups de leur conjoint ou ex depuis janvier. 138 sièges, 138 noms. Il s’agit d’une action totalement nouvelle qui témoigne du tragique ampleur du phénomène. L’association Garçes, sur sa page Facebook, a lancé un appel : « A l’heure où Sciences Po prévoit de rendre hommage aux donateurs de l’institution à travers une plaque scintillante sur les bancs de Boutmy, nous demandons à ce que les chaises de cet amphithéâtre soient rebaptisées avec le nom des 138 personnes assassinées cette année par leur (ex-)conjoint ». Cette action représente visuellement l’ampleur du phénomène. De plus, comme Equal le souligne, le choix de l’amphithéâtre Boutmy est très symbolique : « Il était pour nous important que figurent les noms des victimes des féminicides sur les bancs de cette école où sont passés de nombreuses personnalités politiques maintenant en mesure de faire changer les choses ».
De plus, en Péniche, suite à une action de Garçes et Equal des affiches recouvraient un mur : « femmes cis, femmes trans : toutes concernées par les féminicides ». Comme le souligne Equal « Femmes trans, femmes racisées, femmes voilées, femmes cis, femmes queers, etc., toutes sont concernées par les violences qui mènent au féminicide ».
L’association Chafia a également tapissé un mur du hall d’entrée de Sciences Po: « Monsieur le président, nous exigeons 1 milliard d’euros pour en finir avec les féminicides et les violences sexistes et sexuelles », rappelant que le rôle de l’État doit être clef dans les luttes féministes et qu’il est grand temps que le gouvernement agisse pour mettre fin à ce phénomène.
Deux jours après la mobilisation nationale
Deux jours après que 50 000 personnes aient marché contre les violences conjugales, alors que se clôturait ce week-end le Grenelle sur ce même sujet, le gouvernement annonçait lundi matin une série de mesures. Parmi celles-ci on peut noter la prise en charge spécifique des auteurs de violences conjugales, l’entrée de l’emprise dans le code pénale… C’est bien insuffisant au regard du problème. Chafia constate que « les revendications des associations et de chacune et de chacun d’entre nous ne sont pas prises en compte. Rien ne change. L’Etat ne protège pas les victimes, ce qui nous révolte toutes profondément ».
L’association Nous Toutes, ainsi que beaucoup d’autres, sont déçues que leur revendication d’un budget plus élevé n’ait pas été entendue par le gouvernement.
Une action réussie
Mener des actions à Sciences Po permet de rappeler que la violence sexiste et sexuelle est systémique est peut donc être présente partout, y compris, évidemment au sein des murs de notre école. Comme le souligne Equal : « les violences contre les femmes ne s’arrêtent pas aux portes du 27 mais se poursuivent en son sein ».
Cette journée a été un succès. La multitude d’actions, ainsi que leur originalité sont à saluer. Les associations sont unanimes pour dire que la plupart des étudiant-e-s ont été respectueux-ses de la minute de silence et du die-in. Quelques cas particuliers sont à déplorer d’étudiants arrachant des affiches mais, cela mis à part, le die-in a réuni un grand nombre de personnes, les étudiant-e-s ont montré leur soutien à la lutte contre les féminicides et des messages politiques clairs ont pu être envoyé.
Si le soutien des étudiant-e-s de Sciences Po est désormais clair dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, il est intéressant de se questionner sur l’institution en tant que telle. Si la situation n’était pas si grave, il aurait été, en effet, comique de constater la venue de Marie s’infiltre pour un tournage à Sciences Po mardi, alors que les affiches féministes tapissaient encore les murs de notre hall. Pour rappel : la Youtubeuse s’est illustrée par sa grosse bavure à la manifestation de samedi, montrant, pour beaucoup, un manque de respect envers la lutte qui y était défendue.
Crédits images : Chafia