Emmanuel Cocher, chef de bureau à la Direction des Ressources Humaines du Ministère des Affaires Etrangères

Emmanuel_Cocher.JPG LaPéniche.net vous emmène aujourd’hui à la rencontre d’un ancien plus ancien que les autres anciens précédemment interviewés. Emmanuel Cocher intègre Sciences Po en 1990, il en ressort diplomé de la section Service Public, puis réussi le concours interne de l’ENA en 2001. Il est aujourd’hui chef de bureau à la Direction des Ressources Humains du Ministère des Affaires Etrangères. Pour tous ceux en master Affaires publiques, pour tous ceux en master Gestion des ressources humaines, pour tous ceux que ça intéresse…

Quel est votre parcours universitaire ?

Emmanuel Cocher : Après trois années de classe préparatoire littéraire B/L, j’ai intégré Sciences Po en deuxième année en même temps que l’Ecole Normale Supérieure, en 1990. Je voulais intégrer l’ENA.

Contre l’avis de la direction de Sciences Po, j’ai obtenu une année de césure entre la deuxième et la troisième année pour faire trois stages différents : le premier au service culturel de l’Ambassade de France à New Delhi, le deuxième comme lecteur de français à King’s College à Londres en parallèle à un stage d’assistant relations publiques à l’Institut français du Royaume-Uni.

Au-delà d’un mémoire de stage sur la diffusion de la culture française à l’étranger, j’ai pu voir ce qu’était une ambassade et vivre à l’étranger et cela m’a conforté dans ma vocation.

Au cours de ma troisième année j’ai suivi un cours de « Politiques publiques, Gestion publique » — avec Pierre Moscovici — qui m’a particulièrement marqué. Dans la lignée de la mode de ces années Rocard où l’évaluation des politiques publiques était une idée nouvelle, le cours consistait à interviewer des gens sur le terrain. Le thème que j’avais choisi était Universités 2000, un programme qui avait pour objectif la dispersion de la carte universitaire à l’horizon de l’an 2000.

Diplômé de la section Service Public, je n’avais pas envie de faire une prep’ENA. J’ai donc passé le concours en rentrant de vacances au Pérou en l’ayant révisé deux semaines et je l’ai évidemment raté. Pendant ma dernière année à Normale j’ai passé le concours du Ministère des Affaires Etrangères et j’ai été admis comme Secrétaire adjoint — aujourd’hui « Secrétaire des Affaires Etrangères » — en février 1994. Après mes stages, je ne rêvais que de travailler : avoir un bureau, des missions.

Que retenez-vous de votre expérience à Sciences Po ?

Sciences Po est — ou était — indéniablement une excellente préparation aux carrières publiques et une très bonne école en général qui m’a apporté ce que j’en attendais. Dans un sens je ne me reconnaissais pas véritablement dans cette école, un peu individualiste avec un modèle très fort malgré les discours sur les profils différents (ingénieurs, personnes ayant déjà travaillé, etc.). Il restait un certain formatage et une adhésion globale autour d’un idéal un peu limité. Cela ne m’a cependant pas empêché de très bien profiter de ma scolarité.

Quel a été votre premier poste ?

J’ai été affecté à un poste très technique qui ne correspondait pas à mes vœux, aux matières premières des multinationales. Il s’agissait de régulation des marchés mondiaux pour que les producteurs de matières premières puissent se développer — plus à la mode aujourd’hui. Il fallait voyager beaucoup. En fait j’ai adoré tout ce que je pensais détester, j’étais très épanoui dans ce service. Dans ce ministère, les experts on un rôle de référence, on avait le sentiment de vraiment maîtriser ses dossiers.

Rentré à Paris après un an de service militaire comme officier de marine embarqué, j’ai demandé un poste multilatéral dans le domaine politico-militaire. C’était en 1995 et Jacques Chirac venait d’annoncer la reprise des essais nucléaires. Je suis donc devenu rédacteur chargé du désarmement nucléaire, sujet affectant toutes les relations bilatérales et toutes les organisations internationales. Etant un peu militariste, j’étais passionné par ce dossier. Malgré notre habitude de défendre les positions officielles sans prendre position, être convaincu est indéniablement un atout : par hasard j’étais pour et ceux qui étaient contre avaient été mis sur la touche. J’assistais à toutes les réunions de cellules de crise à Matignon. Au début les directeurs étaient présents, puis j’étais le seul à m’y rendre. Les rencontres étaient très collégiales, les gens étaient vraiment tous écoutés. Je suis resté cinq ans et demi.

A propos de l’ENA…

J’ai ensuite préparé et réussi le concours interne de l’ENA en 2001, persuadé de quitter le Ministère des Affaires Etrangères pour ne plus y revenir car je voulais désormais rester en France. Mal accueilli au Foreign Office de Londres, j’y ai tout de même vécu un stage intéressant.

Ont suivi sept mois en préfecture dans le Pas de Calais avec deux missions ambitieuses : fermer Sangatte et moderniser la préfecture. Ce que j’en ai retenu : L’Etat a quand même un faible impact sur la réalité du terrain, même si ce n’est pas la mode en ce moment il faut en être conscient. Ce serait mieux de le dire, la société doit se prendre en main, au mieux l’Etat peut l’aider. Mobiliser une population pour qu’elle aille dans le bon sens et résolve ses propres problèmes, et être à l’écoute des solutions qu’elle propose est une tâche difficile.

J’avais milité pour que l’on développe le sens de l’accueil des réfugiés pour qu’ils ne partent pas en Angleterre et qu’ils restent en France, parce qu’on ne pouvait pas non plus les renvoyer. Il fallait les faire renoncer à leur projet de se rendre en Grande-Bretagne. Ça c’était un peu fait au début, ça avait bien fonctionné.

La Direction des Ressources Humaines

Indécis quant à une réorientation professionnelle, je suis retourné au Ministère des Affaires Etrangères à la fin de l’ENA pour devenir chef du projet réorganisation de la DRH. Je n’aimais pas tellement cette organisation, basée essentiellement sur une culture du pouvoir, autoritaire et opaque. Par ailleurs cette direction a un pouvoir très important sur les gens dans la mesure où une mauvaise affectation peut avoir des conséquences graves.

J’ai fait de l’audit, des propositions et la nouvelle organisation était prête à être mise en place début 2006. J’ai pris la direction de l’un des bureaux de la nouvelle organisation dans lequel je me suis beaucoup investi pour mettre son équipe et sa gestion en mouvement et atteindre les objectifs.

Quel poste occupez-vous actuellement?

Je suis actuellement le chef de l’un des bureaux de la Direction des Ressources Humaines du Ministère des Affaires Etrangères. Je m’occupe des politiques statutaires et de la gestion des ressources humaines. Les politiques statutaires sont des réformes juridiques qui régissent la gestion des ressources humaines. Il s’agit de l’évolution et de l’explication des statuts. La communication interne est également gérée ici.

Quelle a été votre réalisation principale à ce poste ?

Le développement de la transparence et de l’équité au sein de la Direction des Ressources Humaines. En tant que chargé de mission — mon poste précédent — j’avais réformé l’organigramme, dans le sens de la séparation entre ceux qui établissement les règles et ceux qui les appliquent. Ceux qui décident du budget, de l’information ou des aspects juridiques ne sont plus les mêmes que ceux qui gèrent les individus — chacun peut donc faire son travail sans être influencé par des enjeux qui ne sont pas les siens.

Quelle était votre idée de carrière au Ministère des Affaires Etrangères pendant vos études et quelle est-elle maintenant ?

A l’origine, je voulais travailler au protocole : le côté représentation du métier me fascinait. Finalement je n’ai jamais fait ça, c’est un de nos métiers mais ce n’est pas le seul. Je n’ai jamais eu de poste à l’étranger non plus, alors que c’était ce que je pensais faire au départ.

Il ne faut pas rentrer dans la fonction publique pour y rentrer. Il faut avoir en tête une idée du domaine où l’on a envie de travailler et ne pas le faire pour un statut.

Au Ministère, les missions sont la plupart du temps courtes — quelques mois — et il est vrai que cela a un côté exaltant mais si l’on veut pouvoir réformer en profondeur c’est bien de rester longtemps pour accompagner vraiment la réforme. C’est pourquoi je compte rester au moins quatre ou cinq ans à ce poste.

Les gens sont très mobiles ici. Globalement, tous les trois ans, tout le monde change de poste et souvent de filière. Au total, ce sont plus de 3000 mouvements par an. Par conséquent il y a très peu de mémoire dans les dossiers, sauf dans les rares cas ou une personne reste dans la même filière. Pour conduire vraiment une action, c’est donc difficile.

A propos de la fonction publique en général, qu’en est-il ?

Un des écueils actuels des travailleurs de la fonction publique est soit de ne pas se penser assez compétents, soit de se mettre sur un piédestal. Ce que je crains est que l’on n’externalise à la fois la pensée et l’action. Le niveau d’études est très impressionnant et la masse des compétences également. Quand on a une telle masse de capacités théoriques, on ne peut pas externaliser vers un consultant dès qu’il s’agit réfléchir. Le concret aussi fait partie de notre métier. Passer un marché est presque un échec.

Le complexe des fonctionnaires est qu’ils ne se pensent pas spécialistes alors que le Ministère est présent dans tous les domaines et dans tous les pays du monde. La réalité des métiers de l’Etat est très variée.

Quel est le projet dont vous êtes le plus fier ?

Je m’occupe du recrutement des handicapés, cela fait partie des politiques volontaristes du Ministère que personne ne veut porter mais qui sont dans la tendance politique et finiront par être payantes. Maintenant ce type de recrutement se banalise, les annonces sont publiées sur internet et dans le Journal Officiel et les recrutement sont plus nombreux et plus efficaces.

Nous avons également adopté le Pacte, seul élément sauvé de la loi sur le CPE, qui ouvre la fonction publique aux jeunes sortis du système scolaire sans diplôme de niveau baccalauréat. Personne ne s’attendait à ce que nous le fassions à l’époque.

En réalité au Ministère, les surdiplômés sont nombreux et ils ne sont pas toujours à l’aise ni satisfaits du travail qu’ils ont. Ils sont également trop nombreux. Nous avons essayé ce recrutement alternatif, et avons retenu huit candidats sur deux cent. Correctement encadrés, ces jeunes se sont révélés très efficaces et appliqués et tous les services en réclament maintenant.

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