Le Mag’ : Dunkerque et l’intenable tension de la guerre
Alors que des centaines de nouveaux étudiants déferlent à Paris pour leur rentrée annuelle, la toute dernière merveille de Christopher Nolan, « Dunkirk » – ou Dunkerque, si vous tenez vraiment à être CE genre de francophone – s’empare des salles de cinéma, avec le récit épique d’un épisode sombre et parfois oublié de la Seconde Guerre mondiale.
Nous sommes au printemps 1940, et la guerre en Europe continentale semble perdue pour les troupes alliées. Tandis que lesdites troupes cherchent désespérément une échappatoire avant qu’il ne soit trop tard, des tracts menaçants tombent du ciel. Y figure une glaçante injonction : « NOUS VOUS ENTOURONS ! RENDEZ-VOUS + SURVIVEZ ». Plus de 200 000 soldats britanniques, ainsi que 120 000 membres de l’armée française, sont cernés à Dunkerque, une petite ville portuaire à quelques kilomètres de la frontière actuelle avec la Belgique. L’Angleterre est à une quarantaine de kilomètres de la côte. Une distance réduite mais néanmoins douloureuse pour ceux qui demeurent en quarantaine dans un champ de ruines, au ban de la normalité et de la civilisation.
L’annihilation ou la capitulation
« On pourrait presque la voir d’ici », déclare l’un des personnages principaux, le distingué Commandant Bolton. « Quoi donc ? » « La patrie. » La seule alternative possible, comme Nolan l’explique lui-même dans une interview, est l’annihilation ou la capitulation. Pourtant, comme nous ne sommes pas sans le savoir, l’Histoire ne voyait pas les choses de cet œil. Ainsi, tout en étant confortablement assise dans l’une des nombreuses salles Art Déco du Grand Rex, j’ai bénéficié grâce à « Dunkirk » du plaisir rare de profiter d’un film de guerre qui ne suit pas les clichés hollywoodiens habituels.
Ecrit, co-produit et réalisé par Christopher Nolan, génie à qui l’on doit la trilogie The Dark Knight ou encore Inception, Memento et Interstellar, le film ne frappe pas seulement par sa magnifique bande originale (dont tout le mérite revient au seul et unique Hans Zimmer). Il joue aussi avec la sensibilité du spectateur, en lui racontant une histoire dramatique s’étalant sur une poignée de jours seulement, du 27 mai au 4 juin. Huit jours devenus 106 minutes d’une tension constante. Les scènes sont dès le départ divisées en trois espaces distincts : l’eau, la terre et l’air. Trois aspects fondamentaux de la guerre telle que les combattants de la Seconde Guerre mondiale l’ont vécue. Trois champs de bataille entrecroisés où le temps s’écoule à une vitesse différente. La survie, au-delà de constituer le thème principal du film et l’objectif essentiel des protagonistes, est ce qui a orienté la réalisation de la moindre scène du film, dans l’optique de donner réellement à voir ce que survivre représentait pour ces quelques individus engagés dans une mission désespérée pour retourner sur le sol anglais.
Une bataille au nom du monde libre
Pour les milliers d’hommes qui attendent patiemment d’être secourus sur la côte et pour leurs capitaines, le temps semble s’être arrêté : les heures défilent, n’apportant finalement que les nouvelles de l’approche constante de l’ennemi. La terreur est palpable. La marée semble ne jamais revenir, et, quand c’est le cas, ce n’est que pour charrier les cadavres de ceux qui ont péri dans la bataille. Il leur semble que personne ne viendra jamais les aider.
Mais pour les bateaux civils qui ont répondu à l’appel au secours du gouvernement, cette mission est un honneur autant qu’un devoir. Traverser la Manche à ce niveau ne prend pas plus de quelques heures, en théorie. Cependant, alors que la côte se rapproche, la bataille gronde de plus en plus et le danger se renforce. Le temps se ralentit, nous conduisant vers un sommet de tension où les personnages comme le spectateur se rapprochent à un dernier élan d’espoir. Pour les pilotes des Spitfires de la Royal Air Force, la bataille aérienne de Dunkerque n’est que l’affaire d’une heure. Le sort de milliers d’hommes – le sort de la Grande-Bretagne et probablement du monde libre – repose sur les épaules de quelques hommes courageux et de leur maigre réserve de carburant. On pense inévitablement aux mots de Winston Churchill au sujet de la RAF, prononcés en cette même année 1940 : » Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few.* «
La technique au service de l’immersion
Mais « voguer autour de la linéarité et du temps », comme l’écrit Cara Buckley du New York Times dans sa critique de la dernière œuvre de Nolan, n’est pas la seule chose que le réalisateur a choisi d’accomplir lors de cette heure et demie de tension. Un autre aspect doit être pris en compte – et n’a sûrement échappé à personne, pas même aux spectateurs qui ne connaissent pas grand-chose aux codes de la cinématographie –, si l’on veut comprendre pourquoi ce film a d’ores et déjà été acclamé partout dans le monde et désigné comme « pur produit à Oscars ». Il s’agit de l’ensemble des décisions techniques prises lors du tournage de Dunkerque. En choisissant de tourner tout le film en IMAX 70 mm et en pellicule 65 mm – comme cela avait déjà été tenté avec Interstellar ou Les Huit Salopards de Tarantino – l’image se dote d’une qualité incomparable, ce qui ne fait qu’accentuer le sentiment d’immersion que les scènes et les sentiments simples et profondément humains des personnages procurent au spectateur.
En plus de cela, le sens exacerbé du détail de Nolan l’a poussé à avoir recours à un nombre considérable de figurants et de tourner sur les plages même de Dunkerque, bien que les bunkers d’origine soient presque tous en ruines, pour renforcer cette impression de réalisme. Tous ces choix aboutissent en un film du genre de ceux qui ne vous laissent même pas le temps de cligner des yeux, pour ne pas laisser passer le moindre précieux instant d’une histoire qui défile à la perfection, sans avoir besoin d’un scénario interminable ou d’un approfondissement des personnages qui auraient tout simplement fait tache.
Cet article a été intégralement traduit de l’anglais par Capucine Delattre.
(*) » Jamais, dans l’Histoire des conflits, tant de gens n’ont dû autant à si peu. » Winston Churchill, 20 août 1940