Covid-19 et salles obscures : quel bilan sur la réouverture des cinémas ?

Le secteur de la culture a été fortement impacté par le covid-19, et le monde du cinéma ne fait pas exception. Restées closes pendant 3 mois, comment les salles obscures se relèvent-elles de cette crise ?

Ahhh, les joies du cinéma… Ce moment intime de partage lors duquel des individus inconnus portent leur concentration sur une même production jusqu’à ce qu’une sonnerie de téléphone fende le silence alors que la tension est à son comble ; les lumières qui s’éteignent alors même qu’on n’a pas encore trouvé son siège ; les rendez-vous galants qui se transforment en ramassage de pop corn sur le sol pour cause de mauvaise coordination… Sans oublier les sièges si confortables des cinémas du 5e arrondissement estampillés « puristes only » dans lesquels il fait bon dormir face au dernier film coréano-tibétain incompréhensible mais ô combien chic (« olala mais j’ai a-do-ré ce film, le réalisateur transforme le vide de la vie en une épopée transcendante sur l’humanité et l’universalité des vécus, c’est incroyable! »).

Une fréquentation en déclin

Pendant trois mois, nous, intellectuels devant tenir notre rang des « culturés » de la République, avons été privés de ces doux plaisirs de la vie ! Ce n’est que le 22 juin 2020, après 3 mois de fermeture, que les cinémas ont pu à nouveau rouvrir leurs salles et ainsi que l’on pouvait s’y attendre, le bilan économique du secteur est en fort déclin par rapport aux années précédentes. D’après le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC), la fréquentation des salles obscures en juillet-août a diminué de 66,5% par rapport à 2019. Une telle diminution s’explique en partie par les mesures sanitaires qui limitent nécessairement le nombre d’entrées, mais également par un délaissement des cinémas par leur clientèle. Voici un tableau publié par le CNC début septembre sur les variations mensuelles des entrées entre 2019 et 2020 :

Evolution de la fréquentation des cinémas français entre 2019 et 2020

En août, 2 millions d’entrées de plus qu’en juillet ont été comptabilisées, ce qui laissait penser à une reprise du marché. Ainsi, la sortie le 26 août 2020 du tant attendu Tenet, dernier film de Christopher Nolan, a semblé marquer un retour à la normale. En effet, avec un million d’entrées pour sa première semaine, ce blockbuster pur jus partait pour être le plus important succès de 2020. Avec une moyenne de 20 places par séance sur cette dernière semaine d’août (selon une estimation du CNC) pour l’ensemble du secteur, le cinéma se replaçait à un bilan égal à celui de l’an passé. Toutefois, la semaine suivante s’est conclue sur des résultats plus décevants. Selon le journal BoxOffice, spécialisé dans l’actualité du cinéma, la locomotive du marché Tenet a ainsi réalisé 57% d’entrées en moins que sur ses sept premiers jours et fait une performance bien moins éclatante que les précédents films du fameux réalisateur[1].

Des difficultés pour les blockbusters comme pour le cinéma d’auteur

Dans l’ensemble, la fréquentation est aussi moins élevée car certains films-phares des studios américains ont été reportés (Les Minions 2, Fast and Furious, Wonder Woman 1984 et Black Widow) ou bien sont diffusés par d’autres moyens. C’est le cas de Mulan, la grosse production Disney de l’année, qui devait initialement sortir en mars dans les salles françaises et qui n’est finalement accessible que sur la plateforme de streaming Disney +. Ainsi, d’après une étude du CNC[2], la part de marché du cinéma américain en France, qui était de 54.7% en 2019 sur les 8 premiers mois de l’année, n’est que de 47,5% cette année.

Concernant le cinéma d’auteur, le festival de Cannes annulé, dix des films disposant du label « Sélection Cannes 2020 » ont été projetés au festival de Deauville qui s’est tenu la deuxième semaine de septembre. Le premier prix du festival a été attribué à The Nest de Sean Durkin pour son art de la mise en scène sur un thème qui pourtant parait peu excitant : le déménagement d’une famille américaine en Angleterre dans un manoir de campagne. Nous verrons dans les jours prochains si le festival normand aura pu relancer un marché du cinéma bien entamé par l’absence de publicité que le festival de Cannes lui offre habituellement.  

Le plan de relance sera-t-il suffisant ?

Le Ministère de la Culture a annoncé le 3 septembre un plan de relance de 2 milliards d’euros pour l’ensemble du milieu culturel[3]. Le cinéma bénéficiera d’une aide de 165 millions d’euros, ainsi que le Premier Ministre l’a annoncé fin août, dont 105 millions seront alloués à un objectif « d’export et d’attractivité » afin d’accompagner les exploitants, les festivals et les cinémathèques, et de soutenir les œuvres écrites et tournées en France. Les 60 millions restants iront enrichir le budget du CNC, établissement public chargé d’aider et de promouvoir le cinéma. Outre ce plan, 100 millions d’euros serviront à compenser les pertes liées aux mesures sanitaires.

Avec une participation au PIB français de plus d’une dizaine de milliards d’euros (0,8% du PIB selon le CNC[4]), le cinéma et l’audiovisuel génèrent à eux deux une valeur économique supérieure à celles de l’industrie automobile et de l’industrie pharmaceutique. Ce plan de relance sera-t-il suffisant pour consoler l’un des milieux les plus économiquement dynamiques du pays ? Difficile à savoir pour le moment, car si les chiffres des entrées nous donnent les valeurs exactes des pertes pour les exploitants, l’effet du confinement et plus généralement de la crise sanitaire sur les autres branches des chaines de production du cinéma est plus difficile à mesurer. Reste aussi à connaitre le comportement que les spectateurs adopteront en fonction de l’évolution de la pandémie, et surtout quelles seront les stratégies des plateformes de streaming qui se glissent dans la brèche pour s’imposer plus fortement sur le marché.


[1] https://www.boxofficepro.fr/box-office-hebdo-tenet-en-tete-dans-un-marche-en-baisse/

[2] https://www.cnc.fr/professionnels/actualites/frequentation-cinematographique–estimations-du-mois-daout-2020_1292614

[3] https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Plan-de-relance-un-effort-de-2-milliards-d-euros-pour-la-Culture

[4] https://www.cnc.fr/cinema/communiques-de-presse/le-cinema-et-laudiovisuel-representent-08-du-pib-francais-et-generent-plus-de-340-000-emplois_128037