Edito – Confinement : Des pleins pouvoirs qui inquiètent

Frédéric Mion en Général de Gaulle? Le directeur de notre établissement aurait il bien caché, depuis son investiture il y a désormais sept ans, une veine autoritaire, dictatoriale même, que la crise sanitaire du coronavirus aura servi à révéler? 

C’est en tout cas ce que sous-entend l’UNEF, pour l’heure toujours premier syndicat étudiant de Sciences Po, qui dans un communiqué cinglant dénonce la motion passée hier lors d’une réunion extraordinaire du Conseil de l’Institut et du Conseil de la Vie étudiante et de la Formation (CVEF) pour attribuer au directeur des pouvoirs exceptionnels, qualifiée par le syndicat “d’article 16 qui ne s’assume pas”. Le syndicat Solidaires étudiant.e.s parle quand à lui d’un “déni total de démocratie” 

En vertu de ces nouveaux pouvoirs qui lui seraient conférés, Frédéric Mion pourrait ainsi modifier à son gré les modalités de validation (via la modification du règlement de scolarité), les conditions d’admission des élèves ainsi que celles de recrutement des enseignants. Cette décision resterait en vigueur tout au long de l’Etat d’urgence sanitaire décrété par le Président de la République. Voilà un motif d’inquiétude pour les syndicats, qui ont dénoncé le fait que la motion ne soit pas datée : que se passera-t-il si cet état d’urgence se maintient pendant deux ans, comme cela s’est sous la présidence précédente? Le parallèle est immédiatement fait par un militant de Solidaires “Comme un vent de 2015…. Quand les processus démocratiques ne sont que des fusibles qui sautent au nom de l’urgence et de l’efficacité”.

(NDLR : des garanties ont par la suite été obtenues par les élus étudiants pour limiter le renouvellement de ces pouvoirs au 30 juin 2020, mais la motion présentée au départ était reconductible indéfiniment).

Certains élus ont également dénoncé le caractère non urgent de certaines nouvelles attributions confiées au directeur, qui seraient trop importantes pour “laisser un chèque en blanc” à l’administration.

La justification d’une telle décision est pourtant claire : en ces temps de crises, des bouleversements importants du règlement de la scolarité sont nécessaires pour adapter l’établissement à ce mode de fonctionnement à distance inédit. Or, par les voies traditionnelles, de tels changements demandent à être entérinés par des conseils, des votes et des délibérations successives, rendus à la fois difficiles à l’heure de zoom, et potentiellement néfastes alors que le temps presse et le semestre avance. C’est dans cette rhétorique que s’inscrit NOVA, fustigeant les autres organisations syndicales d’avoir refusé de voter les modifications au règlement de la scolarité décidées hier, en oubliant toutefois dans son  communiqué d’indiquer les nouvelles prérogatives accordées au directeur.

Mais les processus de décisions sont-il si longs qu’on ne puisse se permettre de les suivre? Et surtout les différentes instances de représentations étudiantes sont elles si inutiles qu’on puisse se permettre de passer outre? Alors que les élus étudiants sont plus que jamais nécessaires pour faire porter les angoisses et les préoccupations des étudiants isolés et confinés, les exclure des décisions est-il vraiment la bonne solution ?  Les élus étudiants, qui dénonçaient déjà dans une tribune parue dans la Péniche le 10 mars 2020 le “simulacre de démocratie” des Conseils, qui n’étaient que des “chambre d’enregistrement” où les élus n’étaient pas écoutés et où leurs motions systématiquements mises en échecs, perdent ici le droit même à ses conseils. 

(NDLR : les élus ont par la suite obtenu le maintien des réunions des conseils, à titre strictement consultatifs. Un communiqué intersyndical dénonce toujours « l’exclusion définitive des représentant.e.s »)

Bien sûr, il y a l’urgence, l’inédit, l’imprévisible, auquel il faut nécessairement s’adapter. Mais n’y a-t-il réellement qu’une seule méthode pour cela ? Les grandes crises sont l’occasion des grands ménages, et servent de révélateur aux failles. Les pleins pouvoirs à Frédéric Mion et la neutralisation des élus étudiants lorsque frappe l’urgence scellent-ils le des instances représentatives des étudiants dans la gouvernance de Sciences Po ? Pour signifier le contraire il faudrait pouvoir se mobiliser. Reste à voir si, dans ce contexte confiné, les syndicats parviennent à susciter un engouement à la hauteur.

Image : © Sipa Press