Chanet : « je vais cesser d’enseigner l’histoire aux 1A »
Vous avez été nommé, en décembre dernier, recteur de l’académie de Besançon. Allez-vous cesser d’être professeur à Sciences Po, où vous enseignez depuis 2010 ? Ce départ fait-il partie de la suite logique de votre carrière?
Je vais cesser d’enseigner l’histoire aux premières années, mais je garde toujours le statut de professeur des universités, et je continue de diriger mes doctorants. Vous savez, on peut cesser d’être recteur à tout moment. Lorsque cela arrivera, je redeviendrai professeur à Sciences Po.
Quant à cette fonction de recteur, je pense qu’elle m’a été proposée du fait de mon intérêt pour l’histoire de l’éducation et plus particulièrement le rôle de l’école dans la construction nationale française. Je suis heureux de pouvoir passer de l’étude scientifique à l’action au plus près de la réalité d’une académie. D’autant que depuis les événements de janvier, cette mission prend une importance et un sens renouvelés.
Quel est votre meilleur souvenir à Sciences Po ? Que regretterez-vous le plus ?
C’est l’enseignement qui me manquera vraiment, j’aimais beaucoup donner ce cours de première année. Je crois que mon meilleur souvenir est d’avoir vu réussir des élèves recrutés par les Conventions d’Education Prioritaire (CEP). Je m’en suis occupé pendant 4 ans en tant que président du jury, et cela m’a beaucoup touché.
C’est un moment très fort, où l’on rencontre des élèves dont le parcours est semé de difficultés, et qui sont animés d’une remarquable volonté de s’en sortir. Lorsqu’ils réussissent, cela donne le sentiment du devoir accompli. J’aimerais continuer sur cette voie en tant que recteur, en agissant contre le décrochage et en favorisant les processus de réintégration.
Avez-vous conscience d’avoir marqué les esprits d’une génération de sciencepistes ?
Je ne pense pas que cela soit vrai. J’ai beaucoup aimé enseigner. Les élèves qui assistaient aux amphis jusqu’à la fin du semestre étaient ma récompense. La dynamique du cours signifiait l’éveil d’un intérêt pour la matière. S’il en reste quelque chose, ce n’est pas moi. L’important est que cette culture nourrisse leur réflexion dans leurs métiers futurs.
Que pensez-vous de l’enseignement de l’histoire à Sciences Po ? Est-il optimal ?
Chacun prêche pour sa paroisse, me direz-vous, mais l’histoire est une matière fondatrice de l’école. Malgré l’extension de la formation à d’autres disciplines, celle-ci doit rester fondamentale, elle devrait être la matrice des autres disciplines. La culture générale développée par les futurs cadres nécessite une culture historique importante, et mon sentiment est qu’ils en manquent parfois cruellement.
Par ailleurs, j’ai toujours regretté qu’en première année le cours d’initiation à l’histoire contemporaine ne soit donné qu’au premier semestre. La formule antérieure, qui consistait en 1h d’amphi par semaine et 2h de conférence sur toute l’année, était sans doute préférable. Elle permettait d’approfondir davantage un enseignement qui, concentré comme il l’est actuellement, reste inévitablement un peu superficiel.
Quelle est la tendance générale des copies en histoire au fil des années ? Sont-elles de moins en moins bonnes ?
Certainement pas. Compte-tenu du type de travail demandé durant un temps si court, la majorité des copies est tout à fait convenables. Il y en a même d’excellentes, qui manifestent de la part de certains élèves de vraies dispositions pour l’histoire.
D’autres, en grand nombre, restent assez superficielles, pour les raisons que je viens d’indiquer. À ma connaissance, on n’enseigne guère ailleurs qu’à Sciences Po un programme aussi ambitieux au cours d’un seul semestre avec ce type d’évaluation.
Qu’avez-vous détesté à Sciences Po ? Pour vous, quels sont les principaux défauts de notre école ?
S’il y a une chose qui m’irrite, c’est l’obsession de vouloir à tout prix bien figurer dans les classements internationaux. Cela illustre à mes yeux les doutes que la France et son enseignement supérieur ont sur eux-mêmes. Par rapport au prestige de la Sorbonne et des intellectuels français d’autrefois, la France semble éprouver un sentiment de déclassement. Cela produit un effet « hors de l’anglais, point de salut ».
S’il est souhaitable d’offrir de bons enseignements en anglais et de rattraper notre retard en la matière, cela doit s’accompagner d’exigences pour promouvoir la francophonie. Les étudiants étrangers qui ont souhaité venir en France devraient devenir des agents du rayonnement de notre pays à l’international. Or je ne sens pas cette contrepartie. Et je me sens gêné quand je reçois des mails administratifs entièrement en anglais !
Vous avez déclaré, dans votre éditorial du 19 décembre, veiller « à la continuité du service public d’enseignement ». Vous semblez attaché à la qualité de ce service public. Comment voyez-vous le statut de Sciences Po à terme ? Pensez-vous que l’école pourrait devenir entièrement privée ou entièrement publique ? Quel serait pour vous l’idéal ?
C’est une question qui touche au cœur de la spécificité de l’établissement. L’école a toujours gardé sa dualité entre le public et le privé. Mon opinion est qu’il serait contraire à l’évolution historique de revenir sur le service public, qui constitue une part irréductible de l’identité de Sciences Po. Les grandes écoles sont une particularité française, elles doivent rester publiques et avoir la dotation qui correspond à leur importance dans notre système d’enseignement.
D’autant plus que Sciences Po ne peut plus être traité isolément, puisqu’il est lié dans une COMUE (Communauté d’Universités et d’Établissements) à d’autres établissements, comme l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales). Je pense que la privatisation est un risque, inhérent à la tentation de prendre pour modèle des universités américaines privées. Richard Descoings avait réussi à combiner les avantages des universités publiques et du système américain.
Quel est le personnage historique que vous auriez le plus aimé rencontrer ?
Sans doute Jean Jaurès. J’ai beaucoup travaillé sur ce personnage, notamment en participant à l’édition de ses oeuvres. Mais j’aurais également aimé rencontrer Clémenceau.
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One Comment
Jean-Baptiste Pétigny
Cela m’étonnerait que Chanet écrive « Clemenceau » avec un accent sur le « e » 😛