Blogbusters #6 : Spécificités indigènes
Cette semaine, on part d’un constat hyper novateur : la France et l’étranger, c’est pas pareil. Coline nous explique qu’en Thaïlande, les uniformes et les coiffures sont… différents, Lucie nous assure que les Australiens sont relous (en fait non), et surtout, ce qui est plus curieux, Mathieu nous donne sa théorie sur le fait qu’en Afrique, le temps ne passe pas à la même vitesse.
En arrivant dans mon programme de design, j’étais très excitée par la perspective de rencontrer des étudiants artistes. Je m’imaginais qu’ils seraient tous habillés comme les étudiants japonais de l’Esmod en bas de ma rue à Paris qui aiment les pantalons à une jambe en cuir, les manteaux en dalmatien, et les chapeaux en fruits décomposés. Kelly, la biatch qui sommeille en moi, avait hâte d’avoir une bonne raison de porter tous les habits à paillettes et à motif animal que je collectionne depuis trop longtemps.
Ce que j’avais oublié, c’est que le port de l’uniforme est obligatoire.
Ce fait regrettable aurait pu freiner toute la créativité des étudiants du programme. Heureusement, ils ont trouvé une astucieuse parade: leurs coiffures. Une bonne partie du département se teint les cheveux; cependant, ils ne le font pas entièrement: il faut se teindre uniquement en partie. Les moins téméraires font les pointes ou la frange; les caïds de l’école font les trois quarts, avec, pour certains qui me font presque peur dans les couloirs, une couleur différente de chaque coté. Les coloris se doivent d’être fluos et de jurer autant que possible avec leurs cheveux sombres (Personnellement, j’ai une petite préférence pour le bleu et le rose). Pour vraiment se faire respecter, il faut changer de couleur très fréquemment. Au début, je trouvais ça plutôt rigolo. Maintenant, je trouve que ça surpasse complètement tout ce qu’ont pu inventer les japonais de l’Esmod. Finalement, j’ai décidé de devenir moi aussi un caïd dans mon département. Je n’ai plus qu’à skyper mes parents.
J’ai remarqué que (parce qu’il faut bien dire que telle Claude Levi-Strauss -en plus bonnasse quoi tsé-, j’observe pour vous ces pauvres primates d’Australiens) NON, les Australiens ne sont pas gentils. (Alors là, c’est cool, je me contredis moi même complètement, cf. le premier article où je pleure d’émotion parce qu’un chauffeur de bus ne m’a pas fait payer. Pauvre fille). Mais en fait voyez-vous, j’ai réfléchis (hum) pendant ces quelques mois et je me suis dis qu’en arrivant à Paris (Ooooh Paris, tes boulangeries qui sentent le croissant -j’aurais pu dire surimi pour la rime-, ton métro qui sent le clodo, tu me manques) j’étais aussi tombée sur des gens supers sympas, qui m’avaient aidée à porter mes courses, mes valises, qui m’avaient guidée, souri (oui alors votre délire sur le parisien qui fait la gueule en prend un coup par la même occasion, hahaha je vous martyrise ce soir). Ainsi donc la grande philosophe devant l’éternel que je suis va vous apporter cette conclusion époustouflante : en fait, euh, tu vois, bah y a des gens gentils partout, mais euh, y a aussi des méchants quoi. Je ne sais pas d’où sort la légende que les Australiens sont tous des bisounours, ça vient peut-être du fait qu’ils demandent toujours comment tu vas (mais je le répète, c’est une forme automatique de politesse, ils s’en battent les reins), où bien du fait qu’ils te laissent toujours traverser au passage piéton quand il n’y a pas de feu (AMOUR), mais en tout cas ils sont juste…normaux. Ils font la gueule le matin, ils parlent fort au téléphone dans le bus, ils n’aident pas à porter les sacs, ils ne retiennent pas mieux ton prénom, ils ne mangent pas que de la Barbe-à-papa rose et leurs maisons ne sont pas des champignons enchantés. Je dirais plutôt qu’ils sont plus polis (il faut toujours saluer, remercier, sourire, s’excuser) ce qui m’amène à mon titre : ils sont RELOUS. Parce que oui, ils sont polis, mais je dirais plutôt obsédés par la politesse (genre si tu dis pas bonjour à quelqu’un c’est grosso-modo comme si tu lui crachais au visage – quasi sans exagération). Et ils sont aussi obsédés par les règles. Du style : un ami à moi (oui j’en aiiii enfin ils font semblant quoi sinon je les poursuis en pleurant) a voulu envoyer un colis, son colis pesait QUATRE grammes de plus que le colis de base, il a donc dû payer pour celui de la gamme au-dessus. Autre exemple, en prenant le train je me suis fait engueuler par un contrôleur car mettre ses pieds sur le siège est interdit – mes pieds étaient sur mon sac posé sur le siège. S’il avait été d’une humeur encore plus massacrante j’aurais dû payer 200$. Je ne pense pas que ce soit quelque chose que l’on ressent en étant backpackers (en travaillant tout en voyageant, passant d’une auberge de jeunesse à l’autre) parce que dans ses cas là on doit vraiment baigner dans une ambiance coolos, en mode « je travaille quand j’ai plus de sous, je fais ce que je trouve, j’arrête quand je veux » ; mais en étant étudiante (et salariée ! Oooooh pauvre enfant) on le voit tous les jours. Un dernier exemple pour vous faire rêver ? Interdit de faire du vélo sans casque (enfin ça je pense que c’est plutôt un petit kiffe des autorités qui se marrent bien à matter le look magnifique que donne un casque à vélo).
EDIT: je suis bien obligée, pour sauvegarder mon intégrité journalistique (hum), de rajouter une conclusion à cet article qui serait « ne m’écoutez pas je raconte n’importe quoi ». Après un mois de vadrouille hors de Brisbane, j’aime ces bisounours d’Australiens, qui te prennent en stop, t’invitent chez eux et sont sincèrement intéressés par le sort d’autrui. Et ce que j’ai pris pour une relouite aïgue est en fait une incompréhension totale, puisqu’ils n’imaginent tout simplement pas que quelqu’un n’ait pas envie de sourire ou de s’enquérir de leur santé, et encore moins de désobéir à une règle qui a été instaurée pour leur bonheur à tous. Evidemment j’exagère encore une fois, mais mon sentiment définitif est que nous avons quelque chose à apprendre de ces énergumènes du bout du monde qui donnent sans réfléchir. Alors oui blabla y a des relous partout mais JE VOUS LOVE LES BISOUNOURS.
« – Mon commandant, nous sortons de l’hyperespace…mais les senseurs s’affolent !
– Qu’y a-t-il lieutenant ?
– Il semblerait que nous soyons entrés dans…une autre dimension du temps.
– Damned, quel est le nom de ce système ?
– C’est l’Afrique mon commandant »
Un séjour en Afrique est obligatoire pour tout amateur de science-fiction. Amoureux des paradoxes temporels et de questions métaphysiques, vous vous sentirez ici chez vous. Ici, le temps ne coule simplement pas du tout comme en Europe.
Disons qu’en Europe le temps coule de manière imperturbable, et notre vie lui est largement soumise : rendez-vous à telle heure, train à telle heure, cours à telle heure. La course contre la montre est perpétuelle. L’Homme est soumis au temps. (Insérer ici d’autres expressions bateau sur le temps qui file et qu’on ne rattrape jamais.)
On peut résumer le mode de vie occidental à ça : être la biatch du Temps.
Mais en Afrique, le Temps est ta biatch.
Le temps ne s’écoule en effet que par rapport aux actions que tu accomplis, c’est une matière inerte qui ne bouge pas quand tu glandes, ce qui est l’occupation d’une bonne partie de la population ici, et que tu forges à ton envie dès que tu entreprends une action. On mesure le temps à l’aune du lien social que l’on créé. Je ne consulte quasiment jamais d’horloge ici. Cette perception du temps complètement individualiste s’étend à toute l’activité humaine.
Erreur du débutant quand on monte dans un car ici : « A quelle heure le car part ? ». Le chauffeur va vous jeter ce fameux regard de « ils sont fous ces blancs » et vous répondre en haussant les épaules : « Ben quand il sera plein non ? ». Idem pour une réunion ou toute autre forme de rassemblement. La réunion commence quand les gens sont là, l’horaire fixé sur les invitations tient surtout lieu de vernis.
On peut croire que dans le milieu universitaire dans lequel j’évolue la mise en place d’horaires est obligatoire pour assurer un fonctionnement efficace de l’institution. Que nenni. Il est plus facile de trouver les employés de l’administration en train de boire une bière que dans leurs bureaux. Les cours commencent avec une demi-heure à une heure de retard sur les horaires fixés. Quand le prof annonce une pause de quinze minutes, il faut traduire en « tu peux aller discuter avec une personne et avaler une bière, mais pas deux ».
Cette perception du temps est particulièrement frustrante pour l’européen fraichement débarqué. « Ils sont paresseux ! Toujours en retard ! Bordel j’en ai marre d’attendre ! ». C’est juste qu’ils sont pas stressés de la vie comme toi jeune con de moi-même d’avant. Et c’est vrai que depuis cinq mois, je n’ai plus cette angoisse sourde du temps occidental, celle de « mon train de 07h49 à la gare de Versailles Chantiers et merde si je le loupe le prochain direct pour Montparnasse est à 8h14 devrais-je passer par Saint Lazare peut être ? ».
Alors il faut être prêt à attendre, et beaucoup. L’appréciation de « l’heure camerounaise » est essentielle pour survivre lorsque vous avez un rendez-vous. Si on vous dit « je suis là », vous pouvez vous caler et prendre une bière pour la prochaine demi-heure. La bière est d’ailleurs une unité temporelle bien plus fiable que les minutes ou les heures. La patience est une qualité indispensable pour ne pas péter une durite chaque jour. Eduqué à la schlag et dans l’amour de la ponctualité, il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter.
Mais parfois, il est indispensable de retrouver quelqu’un à une heure précise. Comment procéder alors ? La réponse m’a été donnée par cet homme d’affaires camerounais, que je vois dans la rue donner des instructions à celui qui semble être son assistant.
« – Demain, à 14h ici…heure du blanc hein ! »