Billet d’humeur : les autres ne sont pas mieux que toi
« En France tout est question de mode« disait Stendhal. Et si nos politiques étaient démodés… Je viens de briser le rêve de tout jeune Sciences piste qui se respecte. Sûrement, rêvez-vous déjà de faire votre entrée ovationnée par la foule, dans l’arène politique. On nous fait souvent le dessin de destins hors du commun, où celui-ci n’avait pas prévu d’être président, où celui-là était simplement tombé, sans trop espérer, dans la marmite parlementaire.
Mais à Sciences po, la politique n’est plus un plan de carrière. On ne rêve plus de « traverser le jardin. » L’amphi Boutmy est devenu cette tribune d’où monte le cri sourd d’une foule opportune. Elle réunit désormais celui qui fait la lutte et celui qui fait débat. On nous apprend que la politique n’appartient pas uniquement à ceux qui tutoient le pouvoir. Et c’est tant mieux.
Cet été, l’affaire de Rugy n’a été qu’un exemple de plus d’une classe politique constamment compromise dans des scandales qui révoltent autant qu’ils séduisent. Les affaires de corruption scindent la France en deux, entre ceux qui défendent jusqu’à se voiler la face et ceux qui accusent peut-être à tort et souvent trop vite.
François de Rugy, l’ex numéro deux du gouvernement, a annoncé écrire un livre sur ce sujet.
Petites confidences, très peu d’idées et beaucoup de scandales : nos élus ont compris comment faire exploser les ventes en librairies tout en s’achetant une nouvelle conscience. Ils disent s’être mis en retrait, avoir pris de la hauteur, pour nous livrer un récit profond et sincère. Un texte pour reconquérir la confiance des français à coup de « Regardez, les autres ne sont pas mieux que moi. » Acte de bonne foi ou coup de com ? Ecrire un livre est-il devenu le nouveau prix du Salut ?
Certes, certains journalistes se font tour à tour juges et avocats, policiers et moralisateurs, décrétant ce qui est bon et mauvais, juste et injuste. Il ne s’agit pas là de jeter l’opprobre sur la presse d’investigation. Elle ne fait que son travail dira-t-on, en exposant les faits, tous les faits, et la vérité aux yeux de tous. Quant aux politiques, ils ne font que se défendre dans ce qui est devenu un véritable tribunal médiatique.
Non. Ce qu’on reproche à la presse, c’est le soupçon permanent qui ne fait qu’alimenter les fantasmes et creuser cette crise de confiance symptomatique d’une France malade. Ce profond discrédit se trouve à l’origine de toute tentative de rendre transparente la puissance publique et notamment la vie privée des responsables.
Mais pourquoi créer une polémique sur la prostate de François Hollande, sur le Kebab de Benoît Hamon ou encore la vie cachée de François Mitterrand, si ce n’est pour constituer un fonds de commerce ?
« Une chose ne vaut que par l’importance qu’on lui donne » nous disait Gide. Ainsi, un mail tardif de l’administration et on dénonce une bureaucratie kafkaïenne. Des autocollants « zéro fossiles » collés dans les toilettes et on vient de négocier à la COP un traité contre l’extraction du pétrole. Un blocage et c’est mai 68.
Si les Sciences pistes témoignent d’un intérêt intellectuel certain pour la politique, la mobilisation elle, peine à se maintenir. (A part publier fièrement un même sur Sciences po. Institute of shitposting for bourgeois teens.)
Bref, aujourd’hui l’éthique a pris le dessus sur l’action. Chaque jour, de nouvelles « affaires » qui confirment toujours plus aux français qu’il existe bel et bien une classe politique déconnectée et soumise au pouvoir de l’argent, cette « prostituée universelle qui concilie l’inconciliable » pour reprendre une expression de Marx (à ressortir dans vos copies, on aime les citations fourre-tout à Sciences po.) Cependant elle n’est pas soumise aux mêmes exigences de vérité que les citoyens. Nous attendons d’elle une exemplarité. Nous ne pouvons considérer à l’image de l’écrivain pour Proust qu’il faut séparer l’homme de l’œuvre. Maurice Barrès écrivait déjà dans les Déracinés, « J’ai entendu excuser les pires acteurs de notre vie politique sous prétexte qu’ils étaient de belles énergies. »
Des exemples de corruption, les français en trouvent à la pelle. On s’y habitue mais on ne peut s’y accommoder. Alors on se révolte et on taxe encore une fois les hommes politiques de « tous pourris. » Lorsqu’Emmanuel Macron est hué par la foule ce 14 juillet, jour de fête nationale, nous pouvons même balayer le sens idéologique de cette manifestation. (On attend toujours la fin de mandat pour ses repentances littéraires.) Plus généralement, elle témoigne d’un profond manque de respect et d’estime pour ceux qui nous gouvernent.
A écouter les informations, la crise est devenue un état continu et sans frontières. Tout va mal. Tout n’est que dysfonctionnement et nécessité d’être réformé. Ce climat est maintenu par la presse qui transforme certaines opinions personnelles en lieux communs. On peut tirer de la presse française un cri de vérité mais elle s’applique généralement à endormir l’esprit public d’un côté et à le diviser de l’autre. Alors notre chère école a choisi la raison avant l’idéologie, le pragmatisme avant l’idéalisme. Du moins en apparence.
Tout est devenu prétexte à polémiques et revendications qui frisent parfois le ridicule.
Quelle sera la réaction des Français ? Un désintéressement de la politique ou bien un regain d’activisme ? Car comment motiver une génération à changer ce qui fait défaut lorsqu’on leur dit depuis trop longtemps : « Regarde, petit enfant, regarde bien ces hommes, et apprends à les mépriser : ce sont tous des canailles. »
Cher sciencepiste, où est passé ton engouement pour la « chose publique », ta volonté d’être utile à la société, ton fameux « sens du service » dont tu parlais si bien dans ta lettre de motivation ? Cite Marx ou Barrès, garde ton esprit critique et souviens toi que les autres ne sont pas mieux que toi.