Apparu, BLM, Copé, Letta : les profs connus sont-ils de bons profs ?
En cette fin de procédure d’admission, la plupart des candidats d’entrée à Sciences Po doivent se justifier quant à leur choix d’intégrer le 27 rue Saint-Guillaume. Entre la « richesse de la vie associative”, l’“ouverture internationale”, et “pluridisciplinarité” vient alors souvent se nicher l’argument des “professeurs reconnus dans leur milieu”, souvent la politique. Et en effet, nombreux sont les sciencepistes ayant profité de cours dispensés par d’anciens ministres ou autres députés. Mais est-ce un gage de qualité ?
Une étiquette de prestige
“Histoire des féminismes”, un intitulé de cours qui a tout de suite plu à cette étudiante : “c’est un thème sur lequel je voulais avoir des connaissances solides” explique-t-elle. Le succès de ce cours, aujourd’hui disparu, ne s’est cependant sûrement pas réduit à son contenu. Dispensé par Clémentine Autain, militante féministe et femme politique française, la notoriété du nom de la professeure sur la maquette pédagogique a dû attirer plus d’un étudiant de 2A à cet électif. C’est ainsi le cas d’autres séminaires.
“Je ne vais pas mentir, j’ai choisi ce cours parce que le prof était Benoist Apparu” avoue un 2A, étudiant du cours intitulé “Politiques publiques et droit du logement”. Au vu de de son horaire tardif du jeudi soir, le cours n’aurait en effet, sans doute pas attiré les foules s’il n’était pas dispensé par un ex-ministre.
De la même manière, le cours “État, pouvoir et Europe” proposé en M2 d’Affaires Publiques par son collègue Bruno Le Maire mobilise : “BLM était la première personnalité politique dont j’avais envie de suivre le cours, car je l’estimais au dessus des autres, en raison de son action au Ministère de l’Agriculture” explique un ex-étudiant. Tous deux ministres sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Benoist Apparu et Bruno Le Maire bénéficient de leur renommée et suscitent la curiosité des étudiants.
Pour d’autres, le choix s’est fait au hasard des inscriptions pédagogiques. Ainsi, une étudiante du cours “Lawyering and Governing in a Global World” explique : “Je n’avais pas réussi à avoir les électifs que je voulais et l’administration me l’a donné. Mais je ne savais pas de quoi il s’agissait”. Pas de descriptif, ni de nom de professeur. Elle eut alors la surprise de découvrir quelques jours seulement avant la première séance qu’un des deux professeurs n’était autre que… Jean-François Copé. “C’est vraiment un bon professeur, se réjouit-elle, les sujets abordés sont très intéressants”. Par ailleurs, bien qu’ils n’aient jamais été ministres, Jean-François Copé (NDLR : il n’a été que ministre délégué) et son collègue Jean-Yves Gontier “ont une carrière très intéressante dont ils peuvent témoigner”.
Le risque de l’expertise et de la distance
Du concret et de l’expérience, c’est ce qui attire les étudiants dans ces cours dispensés par des personnalités politiques. D’autant plus, lorsqu’elles sont de premier plan, comme Enrico Letta, ex-Premier Ministre italien. “L’expérience, la crédibilité. On paie 14 000 euros par an à Sciences Po aussi pour avoir des profs comme ça” résume une des étudiantes suivant son cours “The EU facing the New World’s Challenges”.
Nous l’avons vu, les anciens ministres ont ainsi la part belle : “Bruno Le Maire nous apportait un regard de praticien et nous présentait les enjeux qui pouvaient se poser à un ministre dans ses tâches quotidiennes” explique cet ex-étudiant en Affaires Publiques. Quant à Benoist Apparu, “il arrive à faire partager son expérience de ministre et de maire d’une ville relativement défavorisée, et ça c’est le gros plus” commente son étudiant.
Mais cette expertise respectable peut s’avérer un inconvénient quand il s’agit de pédagogie. Le cours peut ainsi très vite basculer de l’interaction à l’unilatéralité, le professeur prenant le dessus et ne laissant pas place au débat. Ainsi, un étudiant le concède “Hubert Védrine est un vrai professionnel de la politique étrangère, brillant et expérimenté… mais assez peu pédagogue”. Ancien Ministre des Affaires Étrangères, Hubert Védrine dispense le cours niveau master à l’intitulé impérieux “Analyse de l’importance de la perception des risques dans la géopolitique actuelle”. “Notre rôle se limite à lui poser des questions, auxquelles il se contente de répondre. Le débat, à la fois avec lui et entre nous, est inexistant”, regrette le même étudiant.
La distance est ainsi un enjeu problématique lorsqu’il s’agit de professeurs occupant des fonctions politiques. Si une étudiante décrit Jean-François Copé comme ayant “aidé plusieurs élèves à trouver des stages” et “participé à un dîner de conférence”, tel n’est pas le cas à chaque fois. “On n’avait pas le droit de contacter Letta personnellement, il s’échappait toujours en toute vitesse après le cours” explique une étudiante. L’interaction et la proximité avec le professeur si chère à certains est donc compliquée lorsqu’il s’agit de personnalités politiques haut-placées, trop demandées pour s’attarder.
Des convictions politiques difficiles à mettre de côté
Donner un cours au sujet politique dispense-t-il de toute objectivité ? “C’était un sujet politique mais elle ne donnait pas son avis” explique l’ex-étudiante de Clémentine Autain. Comme Benoist Apparu qui “arrive à mettre ses convictions de côté et essaye de faire son cours de la façon la plus objective qui soit”, certains professeurs parviennent à laisser de côté leurs idées au profit de la neutralité. Mais, tel n’est pas le cas de tous leurs collègues : parfois, les convictions politiques sont compliquées à abandonner.
Impossible de passer à côté des bilans glorifiés des anciens ministres. Bruno Le Maire a ainsi défendu “son combat pour faire rentrer les agriculteurs dans la mondialisation et leur permettre d’exporter leurs produits, son action pendant la crise laitière etc.” Ceci ne pose aucun problème pour cet étudiant qui partageait les convictions de son professeur. Mais, il est nécessaire d’envisager le contraire, ce qui peut alors s’avérer compliqué lorsque le débat avec le professeur est fermé, celui-ci étant parfois “très autocentré et laissant peu de places à la discussion” à l’image de Védrine.
La neutralité politique de Clémentine Autain était parfois “un peu frustrante” avoue son ex-étudiante, surtout “sur des sujets théoriques comme essentialisme vs. égalitarisme”. De la même manière, Enrico Letta se réfugiait dans une sorte de ni-ni revisité. “Ce que tout le monde attendait un peu dans le cours de Letta, c’était une prise de position de sa part alors que lui a toujours maintenu une certaine distance”, explique une de ses étudiantes. Dommage selon elle, car sur les questions européennes, son avis était particulièrement attendu, lui qui est qualifié en Italie de “pro-Europe”. La recherche de cet équilibre conduisait selon elle, à des arguments parfois “ennuyeux”.
“Il faut connaître le personnage aussi. Letta c’est quelqu’un de diplomatique et de très équilibré”, justifie l’étudiante. Connaître la personnalité médiatisée de son professeur peut parfois laisser place à certains a priori : “Je me suis dit que, quelque soit l’opinion que nous avons de lui, ça serait toujours intéressant d’avoir son avis” commente l’étudiante de Jean-François Copé. Et elle n’est pas déçue : “Sur un plateau il parait très froid, voire antipathique, alors que dans la vraie vie il est très ouvert, facile d’accès et a de l’humour !”
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2 Comments
Ad
Enrico Letta – « très équilibré »? Peut-être que vous vous êtes endormis dans le cours.
Jerphagnon
« Par ailleurs, bien qu’ils n’aient jamais été ministres, Jean-François Copé et » lolilol