Alumni World Tour – La question migratoire en Méditerranée vue à travers Marseille

En cette fin de semestre d’automne, le Cercle Sciences Po-HEC, qui réunit des alumni des deux grandes écoles, lance un cycle de conférences d’une semaine autour du thème des enjeux maritimes. La Péniche a assisté à la première intervention et vous en fait le compte-rendu.

Cinq villes, une semaine, un thème : c’est le défi qu’a voulu relever le Cercle Sciences Po-HEC avec l’Alumni World Tour, un cycle de conférences dont cette première édition se concentre sur les enjeux maritimes. C’est Marseille qui ouvre le bal, avec une conférence consacrée à la place de cette métropole du sud de la France dans les migrations de la région méditerranéenne. Pendant 1h15, les trois intervenant.es, présenté.es plus bas, ont échangé sur les nombreux enjeux (à la fois politiques, économiques, juridiques ou encore humanitaires) liés au phénomène migratoire en Méditerranée, dans une conversation animée par Paule Michelet, Secrétaire Générale de HEC Alumni Provence et présidente du GRECO Provence, et Didier Davitian, président de la section Marseille-Provence de Sciences Po Alumni.

Dès le départ, le cadre est posé : il s’agit d’analyser le sujet de façon raisonnée et dépassionnée, loin des instrumentalisations politiques diverses, qui seront décriées tout au long de la discussion. La conférence se structure autour de trois axes.

L’Union européenne face au phénomène migratoire

Dans un premier temps, la parole est laissée à François Gemenne, professeur à l’Université de Versailles et à l’Université de Liège, associé au CERI (Centre de recherches internationales), spécialiste des migrations et de la géopolitique de l’environnement. Pour introduire le sujet, il dresse un état des lieux de la situation migratoire dans la région méditerranéenne en liant réalité historique, identité européenne et perception des migrations. Un point-clé ressort de son analyse : selon lui, les États européens se trompent de paradigme en traitant les migrations comme une anomalie à corriger à tout prix. François Gemenne insiste sur ce point : les migrations sont normales ; les pays du sud de l’Europe, rappelle-t-il, ont d’ailleurs eux-mêmes été des espaces d’émigration. Ainsi, selon lui, résister au phénomène migratoire est « une tentative politique vouée à l’échec. »

François Gemenne, professeur à l’Université de Versailles et de Liège, associé au CERI, spécialiste des migrations et de la géopolitique de l’environnement

Pourtant, l’Union européenne, avec ses politiques de fermeture des frontières, s’attache à cette perspective. Pour M. Gemenne, la décision prise par des responsables politiques de fermer les frontières est liée directement à ce qu’il appelle « un narratif de crise » : lorsque le débat politique et médiatique envoie le signal que l’on se trouve dans une crise, qu’elle soit politique, économique ou même sanitaire, la population se sent rassurée lorsque l’on ferme les frontières. Or, dans le cas de la dénommée crise migratoire, cette décision accroît la dangerosité du parcours migratoire et donc les drames humains, renforçant l’idée de l’existence d’une crise et entraînant comme réaction… la fermeture des frontières ! On l’aura compris, c’est un cercle vicieux. Alors, comment sortir de cet engrenage ? M. Gemenne esquisse plusieurs solutions, comme mettre en place des « voies d’accès sûres et légales à l’UE » et aller vers plus d’unité des régimes d’asile européen. La priorité pour lui reste néanmoins de « mettre un terme au drame humain en Méditerranée. »

La Méditerranée centrale, axe de migration meurtrier

C’est vers le volet humanitaire que se tourne justement le deuxième temps de cette conférence avec l’intervention de Sophie Beau, co-fondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée, ONG de sauvetage en mer qui dispose de quatre branches en Europe (France, Allemagne, Italie et Suisse). Après un rapide retour sur son parcours, Sophie Beau détaille le travail de son ONG : créée suite à « une défaillance des États qui n’assurent pas leur mission d’assistance », SOS Méditerranée effectue des actions de sauvetage dans le strict respect du droit maritime et du droit international qui, explique-t-elle, forment un cadre suffisant et clair indiquant qu’il faut porter secours aux personnes en situation de détresse en mer.

Sophie Beau, co-fondatrice de SOS Méditerranée et directrice générale de la branche française de l’ONG

Mme Beau énonce trois objectifs clairs : sauver des vies, protéger les réfugiés jusqu’à leur arrivée dans un lieu sûr, conformément au droit international, et sensibiliser l’opinion publique dans les quatre pays qui abritent l’association ; tout cela dans un contexte très politisé et médiatisé ce qui, souligne-t-elle, est relativement rare pour des problématiques humanitaires. Lorsque Sophie Beau est interrogée sur ses recommandations pour le futur, elle indique ne pas être particulièrement optimiste mais plaide tout de même pour la mise en place d’une « flotte digne de ce nom en mer Méditerranée centrale » ainsi que pour un accord des États européens « sur un mécanisme solidaire de répartition des réfugiés. »

Repenser les migrations de façon positive

Enfin, la conférence se termine par un éclairage sur les perspectives de résolution de la situation, amené par Blanca Moreno-Dodson, économiste et directrice du Centre pour l’intégration méditerranéenne de la Banque mondiale, à Marseille.

Blanca Moreno-Dodson, économiste et directrice du Centre pour l’intégration méditerranéenne de la Banque mondiale

Mme Moreno-Dodson insiste d’abord sur l’importance du dialogue entre les pays du bassin méditerranéen, en particulier entre le Nord et le Sud. Surtout, elle revient sur la nécessité « d’approcher la question de la migration de façon positive » et rappelle que « les pays se sont toujours développés avec la migration », rejoignant ici M. Gemenne et son approche des migrations comme phénomène normal. Un phénomène normal qui répond parfois à des logiques contre-intuitives, comme l’expliquent Blanca Morono-Dodson et François Gemenne : par exemple, la théorie selon laquelle le développement des pays d’émigration peut endiguer les migrations se révèle fausse. Au contraire, nous disent les deux intervenants, la migration devient plus accessible dans ces pays et est alors susceptible d’augmenter.

Finalement, si la conversation s’est éloignée des seuls enjeux liés à la ville de Marseille, elle s’est avérée riche et a surtout atteint son objectif de départ : ni passions déraisonnées, ni instrumentalisation inopportune ne sont venues la polluer. Après le sud de la France, l’Alumni World Tour continue son chemin vers Montréal avant d’embarquer pour Moscou, Beyrouth et Singapour pour continuer d’explorer les divers enjeux maritimes actuels.

Crédits image : Cercle Sciences Po-HEC