ADMIS AU COLLÈGE U, EPISODE 2 : La leçon inaugurale

Ce mercredi 29 août, les étudiants de 1A ont eu la chance de recevoir Yasmina Reza en amphithéâtre Boutmy. Actrice, romancière, écrivaine et metteuse en scène : rencontre avec cette femme de lettres aux multiples visages.

Une femme de lettres à Sciences Po

L’invité de la leçon inaugurale de l’an dernier, le Premier Ministre Edouard Philippe, a créé la surprise, et la présence de Yasmina Reza poursuit sur cette lancée, en tant que première femme à effectuer la leçon inaugurale, femme de lettres, et femme qui n’a jamais côtoyé Sciences Po. Celle-ci a cependant toute sa place devant les étudiants, car comme le souligne Bénédicte Durand, Doyenne du Collège Universitaire : c’est « une femme du monde, de notre monde. » À son tour et d’un ton presque solennel, Olivier Duhamel introduit l’invitée à son auditoire : « Iranienne et juive hongroise d’origine, anglo-saxonne de renommée » grâce aux Tony Awards obtenus. Yasmina Reza est « traduite dans plus de quarante langues » et représente une véritable « citoyenne du monde ». M. Duhamel poursuit : « vous cultivez admirablement la meilleure des qualités, la curiosité de tout, et la plus belle des activités, la création ». « Il ne vous manque qu’une chose, » ajoute-t-il. « Vous n’avez pas fait Sciences Po. Ou du moins, Sciences Po ne vous a pas fait. » Après un temps de pause, il conclut, soulignant la singularité de l’invitée : « Savez-vous à quel point nous vous en savons gré ? »

Une forme renouvelée

Cette année, la leçon inaugurale s’est déroulée sous la forme d’un entretien avec Florent Georgesco, journaliste au Monde. Yasmina Reza explique en effet ne pas vouloir « donner une leçon, mais passer un message » aux étudiants. Pourquoi sa présence en Boutmy ? Selon elle, « A force de dire non, il y a toujours un catastrophique oui ». C’est ainsi que, pendant près d’une heure, des questions variées se sont enchaînées. Yasmina Reza s’est donc prêtée au jeu de l’entretien. C’est un paradoxe qui a dirigé celui-ci : pour l’autrice, « la société assigne à l’écrivain un rôle d’intellectuel, celui de délivrer de la pensée, ce qui est pervers : cela rend impossible de créer sans passer à travers la machine médiatique, commerciale ». Elle exprime une véritable volonté de s’y soustraire, affirmant que « quelqu’un qui produit de la fiction n’est pas nécessairement un maître à penser, même pas du tout ».

Refusant de voir ses personnages comme des figures satiriques,  elle insiste : « la littérature doit être le contraire de la simplification, se nourrir de notions non bien-pensantes, ne pas faire de ses personnages des saints, [car] c’est la pluralité des instances contradictoires au sein d’un livre qui en fait sa beauté ». Yasmina Reza évoque également « L’aube, le soir ou la nuit », lorsqu’elle a suivi la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007 : « Un peu par hasard, il a tout de suite accepté. Son entourage ne le voyait pas d’un bon œil, lui était très décontracté ». Une remarque marquante : « Nicolas Sarkozy était un peu plouc, je le dis avec beaucoup d’affection ! ». Lors des réponses aux questions des étudiants, elle conclut : « Pour moi, la culture, c’est individuel. Il s’agit de chercher ce qui peut nous enrichir personnellement. La culture aujourd’hui c’est du culturel, c’est une offre. Le mot est pour moi très galvaudé. » Par sa présence, Yasmina Reza a ainsi pris part à une leçon inaugurale d’un nouveau genre.

Dans la peau des étudiants

Cette leçon inaugurale a fait réagir les étudiants, notamment à travers des questions posées en grand nombre à la fin de l’entretien. Leurs points de vue sur cette conférence en sont d’autant plus riches. Victor, étudiant espagnol en 1ère année, explique : « En Espagne, elle est connue pour avoir dirigé le film « Chicas » avec une célèbre actrice espagnole. Mais je connaissais peu son travail. » Il décrit comme « fantastique » de la découvrir à la leçon inaugurale, elle et « ses œuvres et ses pensées ». Il félicite également son approche de « la politique, la société, la littérature et l’art en restant politiquement neutre et artistiquement ouverte ». Il souligne enfin le « vaste nombre de sujets » abordés  : « la définition de l’homme politique, les enjeux de l’écrivain politique actif, la diversité d’idéologies et d’identités au sein des personnages littéraires » Il qualifie enfin cette conférence de « motivante et intellectuellement enrichissante ».

Jean-Guillaume, quant à lui, souligne la personnalité « clivante » de Yasmina Reza : « soit on l’adore, soit on la déteste ». Selon lui, si « sa position, quoique radicale, est tout de même compréhensible, […] elle a paru assez fermée sur le sujet, alors que chacun voit pourtant la littérature différemment ».

Enfin, Tivana était enthousiaste d’écouter quelqu’un dont elle connaissait le travail : « Je connaissais déjà deux de ses œuvres, « Art » et « Le Dieu du Carnage » donc j’étais vraiment contente que ce soit elle. Les positions qu’elle défendait devant nous concordaient totalement avec son œuvre, ses personnages », explique-t-elle, ayant apprécié « une deuxième lecture de ses livres ». Elle affirme enfin avoir « beaucoup aimé », principalement grâce à la connaissance préalable de l’autrice, ce qui n’était pas le cas pour tous. Mais peu importe leur familiarité avec l’invitée du jour, nul doute que les étudiants ont pu pleinement profiter du passage de Yasmina Reza, pour recevoir un message, son message.

Océane Lang

Photos de Jean-Guillaume Langrognet