120 B.P.M, comme un coeur qui bat trop vite
Si vous n’avez pas encore entendu parler de 120 battements par minute, il est temps que ce rythme palpitant vous rentre dans la tête.
120 battements par minute, comme un cœur qui bat trop vite. Est-ce parce qu’il est impatient, excité ? Fatigué ? Malade ? En tout cas, c’est un cœur qui ne tiendra pas longtemps à cette allure.
120 battements, comme les pulsations de cette house music dans laquelle s’étourdit une jeunesse qui cherche à retrouver l’insouciance dont l’épidémie l’a privée.
Un virus invisible qui s’en prend particulièrement aux plus fragiles, les gays, les prostituées, les toxicomanes, les étrangers : le VIH.
Une maladie que l’on ne comprend pas et qui tue à petit feu, le SIDA.
Contre ce fléau se dresse Act Up Paris, association militante contre le sida issue de la communauté homosexuelle. Peut-être avez-vous déjà vu des photographies de ce préservatif géant enfilé sur l’Obélisque de la Concorde ? C’était un coup d’éclat d’Act Up, parmi bien d’autres. L’association n’hésite pas en effet à opérer des actions chocs, sans faire dans la dentelle, parce qu’il y a urgence.
L’urgence d’une vie, d’un combat, d’une génération
Et c’est bien dans l’urgence que l’on regarde ce film : l’urgence d’une vie dont le fil nous échappe, urgence de la prévention pour en arracher le plus possible à l’issue inéluctable de la maladie, urgence d’un combat dont la fougue est souvent moquée ou ignorée par les puissants, urgence d’une génération que l’on n’écoute pas. Robin Campillo, réalisateur de ce long-métrage, a lui-même été membre d’Act Up au début des années 90, et s’inspire évidemment de sa propre expérience et de personnages réels pour élaborer son film. Il accomplit l’exploit de livrer 2 heures 20 d’un récit aussi dense que bien rythmé, alternant scènes d’action, de débat et d’intimité avec un équilibre surprenant.
Le film ne prend pas de gants avec son spectateur, l’immergeant dans de longues scènes qui s’avèrent en réalité aussi fluides que captivantes. La scène d’ouverture dure ainsi un bon quart d’heure, et constitue une parfaite immersion dans le reste du métrage, introduisant le fonctionnement de l’association grâce à l’arrivée de nouveaux membres et présentant les conflits internes et enjeux majeurs du groupe grâce à des discussions animées. Dans le reste du film, on ne peut qu’être frappé par la justesse de chaque acteur dans son rôle, sans excès ni dans la colère ni dans le pathos, pour un casting harmonieux à l’incroyable alchimie. Les répliques se chevauchent, se répondent, s’amplifient mutuellement, les émotions n’ont pas besoin d’être soulignées pour prendre à la gorge le spectateur.
Rire, sourire et vivre face à la mort
On est frappé par la dureté des propos des personnages, le caractère cru de certaines scènes, situations, des sentiments en général. On n’a tout simplement pas le luxe de parler à demi-mot ou de procrastiner. Il faut agir, tout de suite, vivre, être amoureux, comme le couple de personnages principaux formé par Nathan et Sean, se révolter, se disputer, d’autant plus violemment qu’on n’a pas le temps, que chaque minute de perdue emporte avec elle des malades, que l’on n’a pas de mode d’emploi face à une épidémie qui ne ressemble à aucune autre.
Mais 120 battements par minute n’est pas un déferlement d’hystérie collective, bien au contraire. Ce film, c’est aussi le sourire de cette militante, mère d’un adolescent hémophile contaminé par du sang infecté, qui aimerait bien que la prochaine action arrive bientôt. Pourquoi ? Parce qu’elle ne peut plus prendre de douche à cause du faux sang que son fils prépare dans la baignoire pour les manifestations. C’est aussi cet humour, d’autant plus efficace qu’il est inattendu, qui surgit régulièrement sans la moindre dissonance avec le reste du film, des piques d’ironie qui ne peuvent qu’être bienvenues dans une œuvre qui échappe ainsi à un caractère pesant. C’est enfin cette immense tendresse qui se devine entre des membres d’Act Up devenus intimes, mais aussi les défaillances tant physiques que morales que ces derniers peuvent se reprocher.
Un vibrant hommage à la « génération sacrifiée«
Le récit défile donc ainsi, entrecoupé de scènes plus oniriques qui ne détonnent pourtant pas par rapport à la fureur de certaines actions, avec un travail remarquable sur le montage, réalisé par Robin Campillo lui-même, qui mène à un final à couper le souffle. On aurait vite fait de qualifier ces toutes dernières scènes de bouleversantes, mais ce serait passer à côté de la subtilité de ce dénouement. Bien plus qu’un « instant tires-larmes », c’est un dernier acte sobre mais juste, intense mais pas larmoyant, que nous propose 120 battements par minute, avec notamment quelques tous derniers plans d’une audace folle qui laissent planer un silence incroyable lorsque le générique défile.
On ne peut donc que comprendre l’enthousiasme cannois au sujet de ce film, même si une interrogation posée par le réalisateur demeure : où étaient certains des spectateurs au début des années 90 ? Auraient-ils supporté la lutte contre le sida, ou s’estimaient-ils extérieurs à la cause ? Après un tel choc, à quels questionnements peut-on se livrer au sujet du militantisme, à l’heure où toute la classe politique parle d’une jeunesse désabusée et sans convictions ? 120 battements par minute, au-delà de son hommage vibrant à ce que l’on n’hésitera pas à appeler « génération sacrifiée », pourrait ainsi constituer par ailleurs un appel à cette passion évoquée plus haut, à cette énergie au bord du désespoir, actrice des plus grands changements.
En passant plus de deux heures auprès de ce mouvement jadis méprisé, on songe inévitablement à d’autres combats qui prennent place en ce moment-même, à d’autres parias dont l’on tente d’étouffer le rôle. Parmi la pléthore d’exemples que l’on pourrait citer, il y a les milliers de migrants, dont le sort en laisse beaucoup indifférents. On ne peut donc que saluer le succès critique comme populaire de 120 battements par minute… Et vous encourager à vous précipiter en salles !
En attendant, vous pouvez toujours regarder le trailer :