Sarah au pays des Soviets: Compte-rendu de la Fête Rouge
“Je ne savais pas qu’il existait encore des associations ou des réunions comme ça”, remarque mon petit ami, qui feuillette les brochures de Trotsky, Beethoven, et Marx posées sur la “table politique”. Après avoir longuement discuté avec l’étudiant du Cercle marxiste de Nanterre qui tient la table, à demi-convaincu, il finit par acheter une brochure, pour “financer la cause”.
Le samedi 16 avril s’est tenue la fête rouge, organisée par le TMI (Tendance Marxiste Internationale), et les Cercles marxistes de Nanterre, Sciences Po, et Paris 8. Dans un bâtiment sobre, couvert d’affiches syndicales et marxistes, au siège historique du CICP, une réunion a rassemblé une cinquantaine d’étudiants, travailleurs, syndicalistes, bref, des camarades, pour discuter des actions à prendre suite aux résultats retentissants du premier tour.
Quelques-uns étaient désillusionnés, d’autres en colère, et tous, franchement déçus.
En entrant dans la petite salle pleine à craquer, je regarde autour de moi, pour essayer d’observer ce que je m’imagine, naïvement, être le “type” du révolutionnaire communiste.
Premier choc: personne n’est habillé tout en rouge. Pire, en vérité, tout le monde est habillé normalement. Deuxième choc: ni l’Internationale, ni le Chant des partisans ne sont chantés. Bien que j’en sois quelque peu déçue, le meneur du débat porte un pull rouge (c’est déjà ça), et le contenu de la réunion et la pluralité des propos des intervenants dépassent largement mes attentes.
La réunion est tout d’abord menée par Jérome, qui expose la situation actuelle: le dilemme du choix entre Macron et Le Pen, qui disent incarner des visions et des projets différents, mais qui ne représentent pas les intérêts d’une classe ouvrière démunie. Les positions du NPA, de Roussel, du Front Populaire et de la CGT sont tour à tour évoquées et commentées: si Roussel défend le vote pour Macron pour faire barrage à une montée du racisme, comment accepter un renouvellement du mandat de Macron, faisant passer sous silence une “propagande anti-musulmane” et une “croisade raciste” opérée sous Darmanin, qui n’a fait qu’intensifier et exacerber les tensions durant ces 5 dernières années ? Où se trouve la cohérence d’une critique fustigeante du mandat Macron, suivie immédiatement d’un appel à voter pour lui ? Ainsi, la naïveté de Roussel est violemment critiquée: au lieu d’un appel à la mobilisation et organisation de la jeunesse et un renforcement des syndicats, sa position (ou “imploration”) de voter pour Macron est perçue comme futile, car il est quasiment sûr que ce dernier, une fois élu, ne représentera pas les intérêts de la gauche. La CGT, elle aussi, est visée, pour sa position “indépendante, mais pas neutre”, qui n’a pas appelé à voter Mélenchon au premier tour, mais appelle à présent à voter Macron face à l’extrême droite.
Après avoir (gentiment) charrié ces déclarations et consignes de vote, la conversation se tourne vers l’orientation et le projet de reconstruction de la gauche. Alors, la question qui hante les partis d’extrême gauche depuis les résultats est posée: sans véritable représentation de la gauche, pour qui doit-on voter au second tour ?
Étonnamment, l’appel qui est lancé est celui de ne voter ni Macron, ni Le Pen. D’ailleurs, c’est la une du journal mensuel publié par le TMI pour avril, intitulé: “Ni l’un, ni l’autre!” illustré par un photomontage à la Two-Face, avec d’un côté, Macron, et de l’autre, Le Pen, à droite, évidemment. Voter Macron pour faire barrage à l’extrême droite, c’est créer une démobilisation, et donc un renforcement de l’adversaire et du système en place. Pour le porte-parole du TMI, il faut mettre en mouvement une grève générale et interprofessionnelle, un élan déjà insufflé par les couches les plus opprimées et exploitées pendant la crise des gilets jaunes, mais un mouvement qui avait été accaparé par l’extrême droite. L’intérêt de la bourgeoisie pour un second mandat Macron est également évoqué: Le Pen, tout comme Trump, n’effraie pas la bourgeoisie à cause de ses idéologies fascistes, mais à cause du risque d’instabilité sociale et d’intensification des mouvements étudiants et ouvriers que son élection risque de susciter. L’ennemi, c’est bien le patronat, et le système capitaliste et bourgeois – défendus et qui seront maintenus par les deux candidats à l’élection présidentielle.
Désillusion donc, avec une position assez radicale sur le vote et l’action à prendre: ne pas donner de pouvoir ou de légitimité, ni à Macron, ni à Le Pen. Pourtant, quelques voix s’élèvent lors de la discussion qui suit la présentation: en effet, c’est là, la beauté de la gauche – comme nous l’avait dit un professeur d’histoire-géo en première, la droite, c’est une hiérarchie: seul le maître domine et impose sa vision. La gauche, c’est l’Oréal: tout le monde le vaut bien, donc tout le monde participe, et toutes les visions ont le mérite d’être entendues.
Instituteurs, étudiants, ouvriers, travailleurs donnent leur avis: quelques-uns confirment cet engagement de refuser de voter Macron, et donner un vote à contre-coeur. Ainsi, ils défendent une action révolutionnaire, une transformation profonde du système économique et politique bourgeois actuel, non pas par les urnes, mais extra-parlementaire, qui passe par les manifestations et les blocus, d’autant plus qu’aucun intérêt de gauche n’est représenté au second tour. D’autres, plus pragmatiques, émettent un doute sur le fait de “gâcher” leur vote au lieu de faire barrage à l’extrême droite, et remettent en question la stratégie proposée par le TMI. En effet, on peut très bien voter blanc ou s’abstenir pour montrer son mécontentement. Mais au bout du compte, l’un des deux sera forcément élu. Donc, pourquoi ne pas choisir le “moins pire” des deux ?
D’autres sujets sont également abordés: la crainte de la généralisation et de l’intensification du racisme dans le cas d’une présidence Le Pen, exprimée par plusieurs jeunes étudiants, déjà présente, et qui ne sera que renforcée sous un régime ouvertement raciste, se référant au traitement des Algériens en 1961. La question de la police, et de sa potentielle transformation sous Le Pen est également évoquée par un avocat pénaliste, qui souligne le soutien puissant de la police pour Le Pen, et exprime son inquiétude sur une montée de l’autorité et de la violence policière. La problématique du traitement et de l’intensification de la violence, symbolique et réelle est également mentionnée, ainsi que le souci de l’avenir, de l’héritage et de l’environnement politique que nous allons laisser aux générations futures. “Je veux pouvoir justifier mes actions et mon vote aux élections de 2022, dans 20 ans, à mes élèves”, déclare une jeune étudiante, souhaitant devenir professeure d’histoire-géographie.
Ainsi, un débat sérieux, nourri d’interventions intéressantes et réfléchies, agrémenté de petites punchlines et de piques, se clôt par l’ouverture du bar, un concert, et des discussions enflammées entre sympathisants et camarades. Tout cela dans une ambiance chaleureuse, festive, avec de la bonne nourriture, de la bonne compagnie, de la bonne bière et de la bonne musique.
Cette expérience laisse une impression puissante sur moi: cet engagement, cette discussion si ouverte, qui mêle des voix de tout âge, avec des perspectives différentes, pour modéliser et reconstruire un monde plus juste, me donne espoir et prouve que non, les gens (et surtout les jeunes) ne sont pas désintéressés ou désillusionnés par la politique. L’esprit révolutionnaire n’est pas mort, il reprend juste son souffle, après s’être fait tabasser par le patronat depuis…bien trop longtemps.
Il y a donc des opinions et des positions divergentes sur les actions à prendre ce dimanche, et chacun avance une raison légitime et compréhensible. Cependant, une ligne directrice, et des valeurs et idées essentielles les unissent: il faut en finir avec le système capitaliste, lutter contre le racisme, et construire un monde plus juste et égalitaire, pour nous et pour les générations à venir, pour subvenir aux besoins du plus grand nombre, et non pas être au service d’une poignée d’élite. Ah oui, et les lasagnes de Pablo sont vraiment bonnes.
Quelques phrases assez marquantes et évocatrices:
- “Sous Macron, on peut combattre. Sous Le Pen, on se fait abattre.”
Petite variation:
- “Sous Macron, on peut perdre un oeil. Avec Le Pen, on perd les deux, et même sa vie. C’est pas la même sauce.”
- “Je suis jeune depuis 1984, enfin, depuis Le Pen père.”
- “Grosso merdo, on nous dit qu’on ne doit voter ni Macron, ni Le Pen. Mais au final, on va se retrouver avec l’un des deux…Donc autant voter pour celui qui n’est pas fasciste et raciste.”
- sur Roussel: “Si il y a quelqu’un sur lequel on peut compter pour faire une gaffe, c’est lui (…) Franchement, il bat des records…”
Présentation de du TMI:
Qui sommes-nous ? – Révolution : Tendance marxiste internationale
Lien pour soutenir la cause:
Le marché rouge – Révolution : Tendance marxiste internationale
Et pour la bonne ambiance: