Rentrée 2018 : L’UNEF tire la sonnette d’alarme

Cet article est le premier d’une série d’entretiens avec les quatre syndicats de Sciences Po, qui seront publiés dans les jours à venir.

En cette rentrée 2018, les changements rue Saint-Guillaume sont aussi nombreux que cruciaux. Parcours civique, refonte des programmes, réforme des majeures, Artillerie, Reims, autant de mots susurrés et de dossiers à gérer, notamment pour les syndicats étudiants. C’est ainsi que La Péniche est allée recueillir les projets et grandes orientations du syndicat majoritaire de Sciences Po, l’UNEF, pour mieux comprendre ce qui se joue au sein de notre école en cette nouvelle année.

Ainsi, l’UNEF, pour lequel se sont exprimés Fabien Louchard, président, et Gabrielle Elis, vice-présidente, a exprimé une vive inquiétude à propos de certains sujets. Trois dossiers majeurs à aborder : les dysfonctionnements de l’acte II, la protection des données des étudiant.es, et enfin leur santé mentale et leur bien-être.

Acte II du Collège Universitaire

Pour l’UNEF, le constat est sans appel : « quelque chose ne marche pas avec cette réforme ». Si le syndicat « salue la philosophie globale de la réforme », il déplore « de trop nombreux dysfonctionnements », et une promotion 2022 qui fait office de « promotion crash-test ». Ainsi, selon une enquête menée par le syndicat auprès de 350 élèves de tous les campus – qui sera l’enquête reprise tout au long de cet article –, environ 20% des lettres d’engagement des étudiant.es de 2A n’ont toujours pas été validées, « pour des raisons parfois obscures comme une bibliographie trop fournie ou trop de détails ». « On comprend que c’est un travail titanesque de les relire une par une », précise la vice-présidente, « mais nous sommes en droit d’exiger une plus grande flexibilité ».

Plus préoccupant encore, la situation des bicursus : « ils payent les mêmes droits de scolarité que tout le monde, et pourtant ils n’ont pas la possibilité d’accéder à certains de leurs cours magistraux, comme en histoire en 1A, ni même à leur captation vidéo en Humanités Politiques ».

Enfin, le point de crispation principal demeure le projet libre des 2A, un engagement civique au long cours censé se dérouler sur 75 heures tout au long de l’année… et que 43% des étudiant.es n’auraient toujours pas trouvé. Des offres existent au Service Carrières de Sciences Po, « mais elles viennent tout juste de sortir à un mois de la date butoir, sont peu connues des élèves, et sont clairement insuffisantes. » L’UNEF déplore aussi des exigences irréalistes de la part de Sciences Po : « 75 heures pour une personne qui étudie, qui peut avoir un travail salarié à côté, qui a des engagements associatifs et des études à réussir, c’est énorme », souligne le président. « De plus, la charge de travail a réellement augmenté avec les nouveaux programmes de deuxième année. » L’UNEF évoque aussi le cours de Culture et Enjeux du Numérique de deuxième année, un ensemble de cours obligatoires à suivre en ligne, encore un impératif à gérer pour les 2A. Ainsi, il serait difficile pour 84% des étudiant.es de concilier leurs obligations « classiques » avec les exigences du Parcours Civique.

Les associations des différents campus s’inquiètent elles aussi, pointant que de nombreux.ses élèves risquent de déserter la vie associative de Sciences Po par manque de temps – d’autant plus que Sciences Po ne permet pas de faire son projet libre au sein d’une association de l’établissement. « Pourquoi ne pas valoriser ce qui fait l’identité de ScPo en valorisant la vie associative ? » s’interroge la vice-présidente.

Le président de l’UNEF évoque également les bourses du Parcours Civique, destinées aux élèves dont la situation financière ne leur permet pas de consacrer un mois de stage ou 75 heures de projet libre à des stages la plupart du temps bénévoles. Problème : « ni le montant alloué, 475€ par élève bénéficiaire, ni le nombre de boursier.ères, 60, ne sont suffisants ». Plus inquiétant : « la bourse n’était pas attribuée sur critères sociaux, mais sur le mérite du stage ou l’originalité de la lettre. Résultat, on a des élèves non-boursier.ères qui ont reçu la bourse du Parcours Civique, et des boursier.ères de rang 5 qui n’ont rien touché ». Avant la réforme, le stage de terrain permettait au moins de financer la vie des étudiant.es, mais aujourd’hui le stage de terrain n’est souvent pas payé : « dans 63% des cas, le stage a été un frein pour se salarier, et pour deux tiers des élèves, il a eu un impact sur le budget. C’est une situation intenable. »

Que réclame donc l’UNEF ? Un mot : plus de « flexibilité ». Il est nécessaire pour le syndicat de s’adapter aux situations particulières des élèves : salariat, engagements associatifs, handicap, fragilité psychologique, besoins particuliers. Sciences Po a assuré que chaque situation serait traitée « au cas par cas », mais ce n’est pas une solution suffisante pour l’UNEF, pour qui ce genre de méthode mène à des complications et des lenteurs.

Le syndicat proteste aussi contre une décision récente de Sciences Po, qui empêche désormais les élèves d’être accompagnés par les syndicats lors de leurs rencontres avec l’administration (cela vaut aussi pour des associations comme Garçes ou l’Intersection). « Se faire aider par son syndicat est un droit essentiel pour tout étudiant ou étudiante », martèle la vice-présidente, pour qui cette possibilité d’accompagnement permettait de rassurer les élèves et de temporiser les discussions. « Nous sommes là pour créer une médiation et aider les élèves, pas pour créer du conflit. En réalité, c’est avec une décision comme celle-ci que les conflits vont se multiplier. »

Protection des données

L’UNEF a pu découvrir des erreurs de paramétrage dans les messageries des membres de l’administration, qui laissaient transparaître un manque de sécurité. Les paramètres de sécurité de ces messageries sont aujourd’hui corrigés, et « ces erreurs ne se reproduiront plus » selon l’administration. Malgré tout, l’UNEF souhaite appeler Sciences Po à faire preuve d’une vigilance accrue en ce qui concerne la protection des données de ses employé.es et des ses étudiant.es. Pour le syndicat, il s’agit là d’un enjeu essentiel et d’un droit de tous les membres de Sciences Po, et ce d’autant plus depuis l’entrée en vigueur du nouveau Règlement Général de Protection des Données de mai 2018.

 Santé mentale et bien-être des élèves

Enfin, l’UNEF signale une véritable détresse psychologique chez un nombre croissant d’étudiant.es, et d’une certaine banalisation de la souffrance que certain.es peuvent ressentir. « On parle beaucoup du November Nervous Breakdown [un « syndrome » de burn-out dont souffriraient tous les élèves de Sciences Po au cours du traditionnellement très chargé mois de novembre] », explique la vice-présidente, « en faisant comme si c’était normal qu’un élève craque ou soit en panique à cause de ses études. Ce n’est pas normal. Nous devons tous réfléchir à notre comportement et à nos paroles, et comprendre le caractère malsain d’une telle banalisation. Nous n’accusons personne, nous plaidons juste pour une meilleure atmosphère de travail. »

L’UNEF s’apprête ainsi à lancer une campagne de sensibilisation auprès des étudiant.es, afin de mieux les informer sur les solutions à leur disposition (pôle santé, ateliers de sophrologie…).

Dernier sujet : celui des boîtes à protections hygiéniques en libre accès, un projet mené par l’UNEF depuis plus d’un an. « Sciences Po avait accepté la mise en place théorique de ces boîtes dans les toilettes assignées femmes et les toilettes assignées hommes, sans donner suite. Nous les avons installées la semaine dernière, et non seulement nous avons constaté beaucoup de transphobie au sujet des protections hygiéniques dans les toilettes assignées hommes, mais surtout, les boîtes ont disparu ce lundi 1er octobre sans que personne ne sache pourquoi. » La campagne n’est pas abandonnée, mais l’UNEF appelle à un soutien renforcé de l’administration, et surtout à ce que lumière soit faite sur la disparition des boîtes, qui sont « aux frais de l’UNEF », tient à préciser le président.

Une rentrée chargée donc, avec de nombreux sujets « préoccupants, voire urgents ». Le syndicat reconnaît les efforts de l’administration et s’ancre dans une démarche de coopération, mais tient à pointer les points noirs du fonctionnement de Sciences Po. Ses exigences les plus pressantes demeurent des solutions « concrètes et adaptées » pour les élèves mis en difficulté par le Parcours Civique.

Capucine Delattre