Le prix Philippe Seguin 2011, ou l’art d’insuffler la vie aux mots!

Le 21 avril, dès 16h30, pour la finale du Prix Philippe Séguin pour les Arts Oratoires, l’amphi Boutmy était archi-bondé. Pour le cas où vous n’y étiez pas là, LaPéniche retrace pour vous le déroulement d’un des évènements les plus prestigieux de notre école.

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                         Tout a commencé le lundi 4 avril : le jury, composé de Cyril Delhay (directeur de la communication de ScPo), Bertrand Landrieu (préfet), Bernadette Malgorn (conseiller-maître à la Cour des Comptes), Catherine Pégard (conseillère du Président de la République), Alain-Gérard Slama (écrivain et chroniqueur), et Maîtres Bertrand Périer et Antoine Vey (avocats et meneurs du cours de joutes oratoires organisés par Sciences Polémiques), auditionnent 130 candidats, dans les campus délocalisés, puis à Paris. Les sujets vont de la franche plaisanterie (« Y a-t-il salut pour les salauds ? » ou encore « La Marine, est-ce le pompon ? ») à la réflexion philosophique du type « Le populisme est-il un humanisme », et doivent être traités par les candidats dans les cinq minutes  qui leur sont imparties. Une seule solution: faire le choix de l’humour. Il s’agit bien ici d’être drôle, spirituel, presque impertinent, plutôt que d’être exhaustif; ce qui, en plus d’être difficile pour de tels sujets, risquerait fort d’ ennuyer aussi bien le public que le jury. Comme le dit Antoine Vey, le jury et le public sont là pour assister à une véritable prestation, celle d’un orateur charismatique, spirituel, qui sache captiver les foules ; bref, d’un dictateur en puissance.

                Après des sélections drastiques, qui ont mené les fondateurs de Sciences Polémiques, Simon Garcia et Sinclair Besombes, ainsi que le jury au complet, jusque dans les campus de province, où plusieurs candidats se sont distingués, 16 demi-finalistes se sont retrouvés devant un public enthousiaste en amphi Leroy-Beaulieu.  Les sujets, bien que facétieux comme on s’y attendait, se font déjà plus sérieux, annonçant ainsi la finale : « Voltaire nous pardonnerait-il ? » ou « Les paradis sont-ils toujours artificiels ? ». Les prestations sont inégales, et l’on note la sur-représentation des orateurs suivant les cours de Joutes Oratoires  du lundi soir, organisés par Sciences Polémiques – les élèves reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes l’aide que cet atelier leur a apporté en leur permettant de se mesurer à d’autres exercices que le traditionnel débat hebdomadaire de Sciences Polémiques. Certains orateurs inattendus surprennent – et charment : Charles-Henri Ménival, notamment, conquiert sans difficulté l’auditoire grâce à une diction quasi théâtrale qui donne au public l’impression d’être en face du fils caché de Georges Brassens. Après de longues et houleuses délibérations, six talentueux finalistes sont sélectionnés : Ariane Ahmadi (2A), Alex Charaudeau (master), Aymeric Floury (2A), Jérémy Kalfon (2A), Charles-Henri Ménival (2A) et Guillaume Prigent (master). On remarque la présence d’une seule fille parmi les finalistes, qui n’accédera pas au podium lors de la finale. Dès le début des sélections, les filles étaient en extrême minorité puisqu’elles représentaient moins de 10% des candidats. L’art oratoire est-il voué à être masculin à Sciences Po? Il faut espérer que non. Malheureusement, l’idée trop répandue que ce n’est pas leur domaine amène souvent les jurys à ne pas oser critiquer les filles aussi ouvertement et de manière aussi franche et constructive que les garçons. Sciences Polémiques, parfois accusé de machisme, souffre également du manque d’oratrices dans ses rangs en dépit de son envie d’en recruter de nouvelles.

              La finale fut à l’image des sélections, de très haut niveau et parfois surprenante, aussi bien par les sujets proposés (de « L’air engagé est-il engageant? » à « La vie n’est-elle qu’un court décompte? »), que par les prestations des candidats, qui ont tous su traiter ces sujets et répondre aux piques du jury avec humour. Ainsi, dès la première question, « De quoi avons-nous l’air? », le premier candidat, Charles-Henri Ménival, donna le ton en répondant, avec un flegme et un charisme naturels qui a su tout du long de son intervention toucher le public : « Et bien vous êtes plus âgés que moi, ce qui à mon âge a son importance; trois d’entre-vous ont des lunettes… et la plupart d’entre-vous ont des cheveux… ce qui me fait dire qu’un seul membre du jury s’est beaucoup gratté la tête dans sa jeunesse. ». Les questions vicieuses ont été légion: de « Parlez-nous de l’hostilité naturelle que vos cheveux ont manifestement pour le peigne » à « Étiez-vous déjà poujadiste à la crèche? » en passant par « Aristophane était-il un slameur inculte? »… questions qui ont amené le vainqueur Guillaume Prigent à confesser son amour des plaisirs solitaires et un point de vue assez original sur la garde à vue qui, selon lui, serait « un long préliminaire »!

              Les candidats, malgré des discours très travaillés, sont parvenus à nous faire rire avec une spontanéité déconcertante. Quelques perles : « Il en va des statistiques comme de la mini-jupe : elles permettent de donner une idée mais cachent l’essentiel. »; « Il est temps de renvoyer BHL en Sibérie où il ira expliquer aux populations locales les bienfaits de porter une chemise à moitié ouverte par tout temps, y compris tempête et blizzard »… Humour à part, certains ont également réussi le tour de force de nous faire rêver, et même frissonner : « L’emprise du temps est réelle, alors enveloppons ce temps de sublime » ou  « Sans combat perdu d’avance, il n’y a pas d’amour », certains passages étant carrément poétiques : « L’haleine dégagée par ma voisine de classe n’était en tout cas pas repoussante; et l’air dégagé par ses cheveux emplissait mes narines (…) »

            Des prestations variées, hilarantes ou remplies d’une intensité dramatique à rendre jaloux le grand Charles; des candidats maitrisant la langue avec une dextérité à faire pâlir un Dom Juan; voilà ce que fut cette finale. Du futur avocat mélomane Alex Charaudeau qui construit et déconstruit les textes qu’il prépare comme il le fait  avec une partition de musique, au chroniqueur-auteur-producteur-acteur Charles-Henri Ménival, arrivé 3ème, qui illumine certains de vos jeudis sur RSP, que vous pourrez peut-être retrouver dans une pièce qu’il a lui-même écrite, Le Fart, qui a été jouée à Cholet (Maine-et-Loire) en ce début d’année scolaire, en passant par l’oratrice engagée Ariane Ahmadi, qui nous a livré un discours touchant de sincérité et d’humanisme sur l’engagement nécessaire même dans les causes perdues, les candidats ont été brillants et étonnamment dissemblables. On retiendra aussi Jérémy Kalfon, dauphin de cette compétition, qui a littéralement marabouté Boutmy avec son air de griot et son discours tirant délibérément vers l’absurde; ainsi qu’Aymeric Floury, orateur au ton volontairement réactionnaire, qui a su séduire la foule et remporter une adhésion massive et dont plusieurs ont regretté l’éviction. Mentionnons enfin le splendide discours du vainqueur et pilier de Sciences Polémiques Guillaume Prigent, à la fois fort, intense et émouvant; un discours touchant qui venait du fond du coeur.

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            Répétons-le, les candidats étaient réellement tous excellents, ce que n’a pas manqué de souligner à plusieurs reprises un jury prestigieux, dans la mesure où il se composait, pêle-mêle, de Marc Ladreit de Lacharrière, son excellence Abdou Diouf, Christine Albanel, Richard Descoings, Henri Guaino, Patrice Spinosi, Didier Migaud, Serge Moati, et Serge Villepelet. Plusieurs membres du jury ont fait une reprise sur la prestation des candidats, chacun y allant de son conseil, de son expérience personnelle et de son compliment, évoquant ce qui l’avait particulièrement touché dans tel ou tel discours.  Serge Moati a quant à lui rendu un hommage vibrant d’émotion, sans être toutefois dénué d’humour, à Philippe Seguin; car plus qu’un concours d’éloquence, le prix Philippe Seguin, c’est aussi une façon d’honorer la mémoire de ce président de la Cour des Comptes exceptionnel à bien des égards. Cette commémoration était particulièrement émouvante ce jour-là, puisque Sciences Po portait non seulement le deuil de M. mais aussi de Mme Séguin, décédée quelques jours avant la finale.

              Enfin, il faut reconnaître le travail formidable et titanesque effectué par le BDE et Sciences Polémiques, qui ont tout organisé d’une main de maître, du recrutement du jury au choix des sujets en passant par la recherche de sponsors comme l’Oréal. Innovation intéressante: la mise en place d’une web TV censée permettre la diffusion en temps réel des différentes étapes du prix afin que les étudiants de 3A ou autres absents puissent profiter de cet événement. Toutefois, cette bonne idée, sans doute du fait de sa nouveauté, a connu quelques accrocs: bugs en série qui ont entraîné des décrochages (certains candidats n’ont même pas été filmés), mauvaise qualité d’image et de son, difficulté pour  trouver l’adresse qui avait été peu ou mal communiquée… Quant à la vidéo supposée retransmettre l’intégrale de la finale et qui devait être mise en ligne sous peu, elle est aussi présente que les étudiants à un cours d’amphi à 8h du matin. Il faut néanmoins rester juste et reconnaître que les organisateurs n’ont pas manqué de créativité et témoignent, par ces projets, d’une véritable volonté de rénover l’image parfois désuète du concours d’éloquence, afin d’en faire une véritable institution, pour notre plus grand bonheur à tous.

                         Vivement l’année prochaine!

         Article écrit par Diane Karcher-Mourgues et Grégoire Molle.

One Comment

  • Antoine

    Attention, notez que l’avocat à la C. de Cass. et au CE Patrice Spinosi a remplacé avec beaucoup de gentillesse et à la dernière minute Thierry Levy dans le jury de la finale (avant dernier § de l’article)