La semaine cinéphile du Mag’

Au programme de la semaine, une fiction et deux documentaires. Le dernier Soderbergh sous perfusion, le combat d’Angela Davis en images, les coulisses Radio France dans un essai brouillon, et enfin, Perfect Mothers ou la revisite des Liaisons dangereuses
Bonne lecture et bon(s) film(s)!

 

Pilule sur canapé

Effets secondaires, de Steven Soderbergh

Emily Taylor, toute juste réunie avec son mari qui sort de prison, est dépressive, profondément. A la suite d’une tentative de suicide son psychiatre, Jonathan Banks, lui prescrit à sa demande un médicament nouveau sur le marché, sur conseil de son ancienne psy. Lorsque l’on découvre le mari d’Emily mort sur le carrelage de la cuisine, c’est la réputation du médecin qui est en danger. Le rythme est haletant, le film bien construit, les personnages, beaux et candides en apparence, se révèlent plus complexes. Cela fonctionne.

Effets secondaires ressasse les obsessions du cinéma américain : la fascination pour le système judiciaire, l’hypermédiatisation et la sacralisation de la réputation professionnelle. Le film dépeint la dépression dans une ambiance mauvaise rendue par une photographie trop soignée, misant sur les plongées, les reflets et les couleurs saturées jaunâtres et rougeâtres. En creux apparaît le portrait d’une Amérique paumée, où le job est le seul moyen de savoir qui on est, qui tourne en douce aux antidépresseurs.

Rooney Mara, très juste en jeune femme perdue entre vingt et trente ans, qui vit dans un appart aseptisé et ultra-clean, traverse sa vie de boulot d’un air hébété, ne prend pas son pied au lit, en est l’exemple. Mais malgré le scénario intelligent, la cadence qui nous happe, le joli portrait de femme, le film ne laisse pas d’impression impérissable. Pas d’effets secondaires.

Julie Henches

https://www.youtube.com/watch?v=F_WgbnruGqk

 

A sauver

Free Angela !, de Schola Lynch (2011)

Free Angela, c’est avant tout l’histoire d’un combat, d’une vie. Ce documentaire retrace le parcours d’une jeune prof de philo, d’une jeune femme noire née en Alabama, politiquement engagée. Oui, Angela Davis. Vous avez forcément déjà entendu son nom. Vous avez forcément déjà vu sa coupe « boule » afro. Mais, mis à part ça, que sait-on réellement d’elle ?

« Free Angela ! », c’était le slogan que tout le monde, littéralement, reprenait avec vigueur, avec force et conviction. A force de témoignages divers et variés — à commencer par celui d’Angela elle-même, et du doyen de l’université où elle enseignait, qui l’a renvoyée parce qu’elle était communiste — et de nombreuses images d’archives, riches et puissantes, qui se mêlent à de belles images de fiction, plus lyriques, comme de brèves pauses s’attardant sur la sensibilité de l’être humain face à ces nombreux et lourds instantanés de l’icône. On apprend, on comprend enfin ce que représente ce patronyme, ce combat pour l’égalité, pour la liberté d’opinion et d’expression. On comprend mieux, aussi, le système judiciaire américain de l’époque de même que le mouvement noir, protéiforme, qui s’y menait. Un regret, cependant : que le film s’achève sur son acquittement et n’aborde pas le présent, alors qu’elle semblerait encore fortement engagée en faveur de l’abolition de la peine de mort, refermant alors sur lui-même ce piège du portrait d’icône passée. Mais ne se limitons pas à ce détail, et courons voir ce documentaire, que l’on sache enfin, pour une fois, de quoi nous parlons lors de nos perpétuels et nonchalants name droppings en conf’.

Palmyre Bétrémieux

 

Mauvaises ondes

La maison de la radio, de Nicolas Philibert

Après de longs mois de tournage au cœur du colossal vaisseau qu’est la Maison de la Radio sur les bords de Seine, Nicolas Philibert, qui fut l’auteur du remarqué Etre et avoir, nous propose un documentaire consacré entièrement au monde, à la galaxie qu’est Radio France. Projet passionnant sur un sujet qui l’est tout autant, le résultat est cependant complètement raté.

Commençons par les rares bons points. La caméra de Philibert a le mérite de se faufiler dans les studios d’Inter, de se faire oublier au cœur de l’orchestre de Radio France ou encore de s’immiscer dans les salles de montage les plus variées. On entr’aperçoit ainsi les coulisses du monde vibrant et en perpétuelle ébullition de la radio et de se rendre compte des différents métiers qui le composent.

Cependant, si les images sont effectivement tournées, le film n’en n’est pas pour autant achevé. On a ainsi le sentiment que personne n’a pensé à écrire un début de scénario ou de fil conducteur. Le montage est bâclé et des dizaines d’heures de rushs et donc quantité d’images sont gâchées : le résultat final n’a aucune ambition, les plans sont vides, longs à la limite du pénible. Il est fascinant de se dire qu’au sein de la plus grosse concentration de médias français (pas moins de 7 radios), on ne nous dévoile aucune image de journalistes au travail, aucun traitement de l’information, ou alors quelques discussions sur les chiens écrasés à évoquer.

A force d’accumuler les longs plans surréalistes d’enregistrements d’histoires lues sur France Culture on peut même se demander si Philibert ne tourne pas la maison de la radio en dérision. De deux choses l’une : soit le documentaire est passé a coté de son sujet (ce qu’il est permis de penser), soit la maison de la radio est effectivement un asile de fous dans lequel n’évolue ni reporter ni journaliste, (ce dont il est permis de douter). A tous les amoureux de la radio donc, on vous aura prévenu.

Hadrien Bouvier

 

Seuls sur le sable
Perfect mothers, d’Anne Fontaine.

Roz et Lil, deux belles femmes matures, inséparables depuis l’enfance, habitent au bord de l’océan avec leurs deux fils, de jeunes éphèbes à peine sortis de l’adolescence. Chacune est attirée par le fils de l’autre. A tâtons, deux liaisons se créent. Dans la salle, des rires nerveux s’échappent. Le malaise initial grandit, mais on finit par l’apprivoiser, y prendre goût. Le film ne fait pas de mauvaise psychologie (option « je suis un monstre, il pourrait être mon fils ! ») même s’il surexplique parfois les sentiments des personnages. Les acteurs sont bons, surtout les deux femmes, Naomi Watts et Robin Wright, graciles, solaires, toujours belles. « C’était des êtres soignés et resplendissants, comme tous ceux qui savent profiter du soleil » dit Doris Lessing dans le livre d’où est tiré le film. L’unité de lieu autour d’une crique isolée au sable fin, ensoleillée en permanence sur laquelle donnent deux maisons aux baies vitrées largement ouvertes ajoute de la cohérence au film, si c’était nécessaire. Les personnages habitent au paradis et s’aiment férocement. La légèreté de vivre, l’exultation, la jouissance transpirent du film comme ils transpiraient du livre, presque sans culpabilisation. En somme, c’est un film sur le bonheur complet malgré le dramatique du scénario, ce qui en fait (comme le livre avant lui) un objet profondément original. C’est plutôt cela, la vraie transgression de Perfect mothers.

Julie Henches