LE MAG – Foxcatcher : fade machine à Oscars ou peinture singulière de l’Amérique ?
Le Pitch :
Quatre ans après Le Stratège, Bennet Miller revient avec un film sur le domaine sportif, avec cette histoire vraie que raconte Foxcatcher.
Mark, un ancien champion de lutte des J-O, interprété par Channing Tatum, est devenu un lutteur de seconde zone en permanence dans l’ombre de son frère, plus brillant, plus social, plus intelligent. Condamné à faire des conférences minables sur les Etats-Unis, il voit la chance de sa vie se présenter, lorsqu’un membre d’une richissime famille américaine, John du Pont, lui propose de devenir son entraîneur. Peu à peu le comportement du philanthrope, devient de plus en plus inquiétant, jusqu’au drame. Ce dernier, incarné par Steve Carrel est une sorte d’autiste mégalomane qui voit en la lutte une manière de s’affirmer.
« Un film qui n’apporte rien de plus au cinéma américain, sinon la reconnaissance pincée de la nouvelle coqueluche d’Hollywood », Alexandra Saviana
Dans le grand ballet des prétendants à la prestigieuse cérémonie, Foxcatcher s’inscrit dans la longue et fastidieuse liste des oeuvres apparemment construites pour rentrer dans l’étroit costume de bal du tout Hollywood.
Dès les premières rumeurs autour de sa conception, le film s’annonçait taillé pour l’enjeu : tiré d’une histoire vraie, rebattant les cartes d’une face trouble de vedettes américaines, et triplé d’une performance à Oscar.
On ne pouvait donc s’attendre qu’à l’inévitable : le doux ronronnement d’une machine de guerre, conçue et polie pour gagner, avec, en prime, une statuette en or pour un représentant repenti de la grande pantalonnade américaine, le bien nommé Steve Carell.
Par ces points, Foxcatcher ne déçoit pas. Il se présente fidèlement à tous les tournants auquel le spectateur l’attend : une mise-en-scène léchée, de longs (très longs. Très très très longs) plans séquences à n’en plus finir sur une petite musique triste, et un drame psychologique plus ou moins de bas-étage. Une nouvelle fois, Channing Tatum, promène comme un fantôme sa grande carcasse inexpressive. Une nouvelle fois, le tout Hollywood finira par adouber dans le cercle de ses « acteurs sérieux » un comédien qui n’a absolument rien changé à ses habitudes de jeu ou à ses mimiques scéniques, sinon à les transposer dans un long-métrage dépourvu des plaisanteries scatologiques auxquelles il nous avait habitués.
Une nouvelle fois, récompense ou non, Hollywood consacrera un film qui n’apporte rien de plus au cinéma américain, sinon la reconnaissance pincée de la nouvelle coqueluche d’Hollywood.
Channing Tatum a pourtant toujours été là.
Note : 5/10
« Un film sombre sur les Etats-Unis, aux décors magnifiques et aux comédiens ahurissants de vérité », Diego de Magalas
Ovationné au Festival de Cannes et reparti avec le Prix de la mise en scène, le troisième film de Bennet Miller est aujourd’hui en course pour les Oscars dans les catégories de la réalisation, de l’écriture et du jeu. Décidément fasciné par les histoires vraies et pour la deuxième fois par le sport, Miller a réalisé ici un film qui utilise ce milieu pour parler des souffrances familiales et des Etats-Unis.
Dans la lignée du Stratège, Bennet Miller semble avoir trouvé sa voie et par rapport à Truman Capote qui était un film très démonstratif, celui-ci est sobre, sans faute de goût et silencieux : la photographie est simple, la musique quasi inexistante et surtout les discours sont rares. Foxcatcher est un film contemplatif, lent et visuel, comme la propriété du même nom faite pour être observée mais jamais pénétrée. Les décors sont magnifiques et les comédiens ahurissants de vérité. Le film repose sur le jeu physique des acteurs, du grimage terrifiant de Steve Carrel, à la moue de débile de Channing Tatum en passant bien-sûr par l’importance de la gestuel de la lutte soulignant à la fois l’ambiguïté homosexuelle des deux protagonistes et surtout leur rapport de force ou de soumission.
En effet, Mark, souffre de la supériorité de son frère qui semble être un homme accompli alors que lui n’est qu’un raté évident. La magnifique scène d’ouverture où ils s’entrainent à la lutte suffit à expliquer par les gestes leur relation. John du Pont, de son côté, est un adulte-enfant écrasé par le poids de sa famille qui a fait fortune dans l’armement pendant la Guerre de Sécession. Il fera tout pour être reconnu par sa mère qui le méprise. Ainsi, Mark voit en Du Pont une sorte de père adoptif et Du Pont semble jouir de sa supériorité sur Mark. Après en avoir fait son fils, il essaiera d’en faire son monstre, jusqu’à la scène où il écrit un discours que Mark doit lire et qui est une pure apologie de lui-même.
Foxcatcher, enfin, est un film sombre sur les Etats-Unis. En plus de nous en donner une vision triste et humide à travers la lower class de province, Miller nous montre la monstruosité de sa réussite. L’immense demeure de la famille américaine exemplaire est tout aussi glaciale que la baraque minable du lutteur. Les deux rôles principaux tiennent tous deux en haute estime les Etats-Unis et prétendent se battre pour leur victoire, l’un tient des conférences sur l’Amérique, l’autre la finance et les deux veulent obtenir la médaille. Mais les Etats-Unis nous sont montrés comme un pays écrasé par lui-même. Par sa réussite et les monstres qu’il a créés. Finalement John du Pont est un mélange entre un personnage pathétique des frères Coen, Philip Seymour Hoffman dans The Master de par son aspect manipulateur illustré par sa phrase : « le coach a un grand pouvoir sur la vie de ses athlètes » et Orson Welles dans Citizen Kane par les origines de son ambition frustrée, tandis que Mark est un loser absolu qui ne sera jamais autant applaudi que quand il touchera le fond avec une foule de beaufs hurlant à tue-tête : USA ! USA ! USA !
Note : 8/10
« Un film intelligent, qui brille par sa mise en scène mais ne sort pas des sentiers battus », Amal Ibraymi
Foxcatcher est à tout point de vue un film singulier dans le paysage de la production hollywoodienne : par le parcours de son réalisateur, par son casting original réunissant star du rire (Steve Carell) et star du muscle (Channing Tatum), et enfin par le portrait sévère qu’il dresse d’une Amérique en mauvaise passe (singularité qui fait du quatrième film de Bennet Miller un des grands favoris de cette nouvelle édition des Oscars).
Dès le début du film on entend de la bouche du héros, Mark Schultz un : « Je veux vous parler de l’Amérique » qui sonne comme une note d’intention du réalisateur. Pour autant Foxcatcher n’est pas l’histoire classique d’un American dream prenant forme, mais au contraire, celle de sa rupture par les excès d’un pervers narcissique, en pleine ère Reagan où valeurs et morale semblent avoir disparu.
La force et l’impact de ce film reposent avant tout sur le comédien Steve Carell, qui par sa transformation physique impressionnante suscite en nous un malaise envahissant. La mise en scène d’une sobriété particulière vient compléter la grandeur du film. La technicité est au service de l’opposition entre dits et non dits. Par des jeux de champ-contrechamp, la mise en scène devient un vecteur de la compréhension des personnages, de leurs secrets et de leurs névroses.
Cependant, malgré ses qualités techniques, Foxcatcher procure peu d’émotions, à aucun moment le spectateur ne se sent impliqué, il reste dans le malaise et la distance.
Ainsi, Bennet Miller nous livre un film intelligent, qui brille par sa mise en scène mais ne sort pas des sentiers battus à cause de son caractère froid, glacial.