Faut-il une sixième république ? Entretien avec Marcel Morabito
Tantôt à droite, tantôt à gauche, le passage à une Sixième République est une vieille antienne du paysage politique français. Spécialiste de l’histoire politique et constitutionnelle de la France, le professeur Marcel Morabito nous livre son éclairage.
Que pensez-vous de l’idée d’une Sixième République ? Cette idée vous semble-t-elle adaptée pour répondre à la crise de légitimité dont souffre notre système?
On peut aborder cette question sous deux angles d’attaque : d’une part, en s’interrogeant sur ce que serait une Sixième République ; d’autre part, en se demandant ce dont souffre la France. Souffre-t-elle d’un mal institutionnel ou bien d’un mal politique ? L’idée d’une Sixième République est une idée désormais ancienne.
Le mouvement en faveur d’un changement institutionnel s’est massivement exprimé au début des années 2000, époque dont date la Convention pour la Sixième République. Son ambition était globalement de vouloir aligner les institutions françaises sur le schéma qui est celui des autres démocraties parlementaires européennes, en faisant notamment du Premier ministre le rouage essentiel de nos institutions.
Aujourd’hui, certains proposent de supprimer le président de la République, d’autres le Premier Ministre… Le président de l’Assemblée nationale a lui-même pris récemment l’initiative de lancer une réflexion sur la réforme des institutions. Cela est-il donc si indispensable ? La révision constitutionnelle de 2008, la 24ème de la Cinquième République, qui a modifié près d’un tiers de ses articles, confirme, si besoin était, que notre système institutionnel est flexible, susceptible d’adaptabilité.
Il est évidemment toujours possible de l’améliorer, mais je crois que, au regard de la crise de confiance dont pâtissent nos institutions, le problème à traiter est davantage politique que constitutionnel. Ce n’est pas en changeant quelques règles institutionnelles que l’on modifiera la perception que les citoyens ont de la politique.
Comment définiriez-vous la crise actuelle de défiance vis à vis du politique ?
Comme d’autres démocraties représentatives, la France est aujourd’hui le cadre d’une crise de confiance des citoyens envers les gouvernants. Restaurer cette confiance passe-t-il par une réforme constitutionnelle ? S’il est un registre important, c’est à mon sens celui de la responsabilité, qui demeure l’élément-clé d’un régime qui se veut « républicain ». C’est là un terrain sur lequel des progrès restent manifestement à accomplir.
Cela dit, il apparaît aussi indispensable qu’urgent d’agir sur le terrain strictement politique. Quelle relation de confiance établir lorsqu’on ne parvient pas à régler de façon radicale le problème du cumul des mandats ? Quel espoir susciter chez ceux qui souhaitent entrer en politique lorsque le renouvellement de ces mandats se réalise fréquemment entre les mêmes mains ? Restaurer un climat de confiance entre citoyens et élus requiert avant tout des réponses à ces questions. Il est devenu crucial de s’attacher au statut et au rôle de l’élu, de définir un équilibre durable entre carrière politique et service du public.
Ce n’est toutefois là que le premier aspect de la question. Redonner confiance, c’est aussi mieux associer le citoyen à la prise de décision. On peut douter que le référendum d’ « initiative populaire » organisé par l’article 11 de la constitution et la loi organique du 6 décembre 2013 y contribue de façon significative au vu des conditions présidant à sa mise en œuvre.
En revanche, il faut noter avec intérêt les progrès de l’idée d’ « administration délibérative », développée par le Conseil d’État dans son rapport annuel de 2011, qui pose des jalons intéressants sur la voie de la démocratie participative. Le chemin qui mène aux performances des démocraties scandinaves en ce domaine reste cependant long.
Le Parlement, tant d’un point de vue socio-économique que politique n’est pas représentatif. Comment y remédier ?
Les idées de représentation socio-économique et de proportionnalité taraudent la politique depuis des décennies. L’expérience montre que le scrutin proportionnel, bien qu’il assure une meilleure représentation de l’électorat, présente le risque de favoriser des partis extrémistes.
Est-ce souhaitable ? Il y a là un thème de débat. En revanche, il est incontestable que la représentation du monde économique est trop faible. La question ne touche d’ailleurs pas seulement la vie politique. Prenons par exemple le cas des conseils d’universités. Dans les pays anglo-saxons, la représentation du monde économique y est au moins équivalente à la représentation universitaire. En France, malgré la loi de juillet 2013, sur un conseil de 26 à 34 membres, on ne compte que deux représentants du monde économique. Ce manque d’ouverture est particulièrement nuisible.
Quel que soit le milieu appréhendé, la diversité est indispensable. Il n’y a pas de politique commune sans confrontation des opinions. S’il est une vérité en politique, c’est le respect et l’écoute de l’autre pour construire ensemble. Il ne s’agit pas de diluer la décision. L’autorité est indispensable, mais qu’est-ce que l’autorité sinon la capacité de convaincre ? Là est la limite, mais aussi l’ambition de la politique.
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Hadrien
Curieuse argumentation concernant la proportionnelle tout de même. Il faut l’éviter, car elle « favorise des partis extrémistes » ; cependant il faudrait imposer une meilleure représentation du « monde économique » – autrement dit les patrons – au sein du Parlement.
Il me semble pourtant que la voix des dirigeants d’entreprises est plus qu’entendue, puisqu’elle guide la quasi-totalité des politiques publiques et des messages médiatiques actuels. Il apparaît très peu démocratique de vouloir fermer l’accès du parlement à un parti qui représente entre 20 et 25% de l’électorat pour privilégier la représentation des chefs d’entreprise, pourtant très bien assurée par des canaux non officiels.
Pas besoin d’être d’extrême-droite pour faire cette remarque, juste de ne pas être constamment envoûté par la petite musique néo-libérale… Comme le dit si bien Marcel Morabito, dont l’interview est au demeurant intéressante, « Il n’y a pas de politique commune sans confrontation des opinions. »