
« Ça va, toi ? » : Stimuli et la santé mentale à Sciences Po
La santé mentale à Sciences Po : tabou, objet de préoccupation, connue de toutes et tous ? Les co-présidentes de l’association Stimuli se sont entretenues avec nous pour en discuter.
Du 3 au 7 février 2025 a eu lieu à Sciences Po la semaine de prévention autour de la santé mentale, un événement co-organisé avec plusieurs universités parisiennes. Après avoir vu se succéder stands, ciné-débats et espaces de discussion, nous nous sommes entretenus vendredi 7 février avec Romane et Chloé. Toutes deux sont en Master, à l’Ecole de la recherche et à l’Ecole d’Affaires Internationales (PSIA), et co-présidentes de l’association Stimuli sur le campus de Paris. Stimuli est une association étudiante spécialisée dans la prévention autour de la santé mentale des étudiants, sur le campus de Paris. Fin décembre 2024, les membres de l’association ont diffusé un questionnaire à l’intention des étudiants, afin de rendre compte de l’état psychologique actuel au sein de l’école.
Cet entretien fut l’occasion pour les deux co-présidentes de revenir sur la création de l’association, ses objectifs, mais aussi de mettre en lumière les points forts de leur enquête, et les éventuelles pistes d’amélioration afin de répondre aux besoins des étudiantes et étudiants.
Auteurs: Gabriel Caputo et Maëlle Pottecher
Stimuli, association étudiante créée en 2020, est une conséquence logique de la pandémie de Covid-19 et du confinement qui en a résulté, contraignant les étudiants à s’isoler comme le reste de la population. L’association n’est présente que sur le campus parisien, mais cela ne fait pas de lui un campus précurseur. Les questions de santé mentale font aussi l’objet de préoccupations à Poitiers ou à Reims par exemple ; du côté des associations étudiantes, mais aussi du côté de l’administration. Chloé et Romane étaient par exemple membres de Apapachos à Poitiers, une initiative étudiante orientée sur la santé mentale et le bien-être. Toutes deux avaient une “sensibilité antérieure” à ces questions, tandis que ces sujets n’étaient pas toujours abordés durant leur première année. A leur entrée en Master sur le campus de Paris, elles se sont donc naturellement proposées pour la présidence de Stimuli.
Rapidement après sa création, l’association s’oriente vers le bien-être, la prévention et l’information, et le lien avec le pôle santé. Des objectifs variés, qui ont été accompagnés d’un élargissement des dispositifs d’action : de l’organisation de ciné-débats, à la publication récente d’un guide sur la santé mentale, accessible via Instagram. Justement, les réseaux sociaux permettent à l’association de toucher un public plus large, les posts étant traduits en anglais. L’association peut s’avérer d’autant plus utile pour les étudiants étrangers puisque, comme le rappellent les co-présidentes, ceux-ci sont généralement dépourvus de structures et de ressources vers lesquelles se tourner. Les internationaux ont d’ailleurs été nombreux à répondre au questionnaire (soixante réponses en anglais, face à cent-soixante réponses en français).
Ce questionnaire, sans doute leur projet le plus ambitieux, a constitué le travail central de l’association ces derniers mois, et vous n’avez pas pu passer à côté des QR codes disposés ici et là dans l’ensemble du campus. L’association en tire divers enseignements. Tout d’abord, les étudiantes et étudiants présentant des symptômes liés à leur santé mentale, connaissaient déjà des problèmes avant d’entrer à Sciences Po – notamment concernant la pression académique. En revanche, ces symptômes sont amenés à s’intensifier, et pas uniquement à cause de Sciences Po. Les nombreux transports que doivent parfois prendre les étudiants contribuent ainsi à renforcer les difficultés éprouvées.
Les résultats démontrent également les difficultés liées à la première année de bachelor. Alors que 43% des enquêtés déclarent avoir connu une fatigue accrue avant leur rentrée au Collège universitaire, ce pourcentage passe à 71% après le début des études. Cela s’expliquerait en grande partie par les nombreuses difficultés liées au premier semestre. Entre syndrome de l’imposteur, pression, charge de travail plus importante, et bien souvent première séparation avec ses parents, cette période s’avère particulièrement éprouvante.
Afin de détailler les résultats de cette enquête, Stimuli travaille sur la rédaction d’un rapport à l’attention des étudiants, ainsi que de l’administration de la vie étudiante. Aussi précise l’enquête soit-elle, les co-responsables tiennent à souligner l’existence de biais. En effet, les personnes qui répondent sont le plus souvent déjà au fait de ces questions, notamment en ce qui concerne les femmes. Si celles-ci sont majoritaires à Sciences Po, cette caractéristique ne suffit pas à expliquer que 80% des réponses aient été celles d’étudiantes.
Un caractère genré de cette préoccupation qui se retrouve jusque dans la composition de l’association, intégralement féminine cette année. En outre, le questionnaire ne prend pas en compte l’actualité, vectrice par exemple d’éco-anxiété.
Si cette enquête est prometteuse, c’est aussi parce qu’elle semble trouver un écho au sein de l’administration. Les co-présidentes ont en effet été satisfaites de voir l’implication des membres de l’administration sur cette question, et en particulier celle de Romain Welter, coordinateur de la vie associative « sport, santé et bien-être ». Celui-ci est en effet entré en contact avec les co-présidentes de l’association pour leur demander des points d’éclaircissement et des compte-rendus. C’est aussi le cas du pôle santé, dont la directrice a contacté l’association dans le cadre de la semaine sur la santé mentale.
Ainsi, tout porte à croire que la santé mentale est prise au sérieux au sein de Sciences Po. Pourtant, certains obstacles systémiques persistent.
Repenser l’organisation de Sciences Po pour favoriser la santé mentale
En premier lieu, les co-présidentes avancent le système de défaillance qui ne serait pas adapté. Il témoigne en effet d’un certain manque de confiance à l’égard des élèves alors que, comme elles le rappellent, les sciences pistes sont déjà recrutés pour leur sérieux et leur envie d’apprendre. Elles mettent aussi en avant l’importance de la charge de travail ; à l’approche des partiels évidemment, mais aussi en lien avec les emplois du temps. L’exigence et l’image du “prestige” se répercuteraient sur la quantité de travail demandée aux élèves. Or, celle-ci n’est pas toujours supportable, et a déjà amené l’administration à revoir certains programmes. Notamment en ce qui concerne les Masters, qu’il s’agisse de ceux de la PSIA ou de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. La réponse apportée est inadaptée pour l’association, qui regrette une diminution du niveau demandé aux étudiants, alors même que la charge reste la même.
L’organisation de cette semaine de prévention autour de la santé mentale serait d’ailleurs « symptomatique » de l’organisation de Sciences Po, comme Romane et Chloé en ont convenu avec un infirmier du pôle santé. Face à un emploi du temps souvent chargé et à un panel d’événements se superposant les uns aux autres, il était parfois difficile d’attirer les étudiants aux divers événements proposés. Les co-présidentes livrent leurs expériences personnelles : l’une d’elles aurait adoré assister aux conférences, mais elle n’a pas pu en voir une seule par manque de disponibilité. Notre temps libre se fait rare, et même le temps de métro est maintenant associé aux révisions ou à un bref suivi des actualités.
Les deux étudiantes appellent donc à maintenir un certain niveau d’exigence, tout en repensant la construction des emplois du temps.
Pour mieux envisager ces changements, rien de mieux que de s’inspirer des systèmes universitaires étrangers. Les expériences des étudiants de troisième année peuvent en effet constituer une grande source d’inspiration.
L’une des co-présidentes a par exemple réalisé son année à l’étranger à l’Université d’Uppsala, la première université de Suède. Elle fait état d’une organisation radicalement différente de la nôtre, avec l’étude d’une matière fondamentale par mois. Elle ne retient de ce système que des bénéfices : un meilleur étalement des examens, moins de travail à la maison et moins de cours dont l’exigence reste la même, ce qui donne aux étudiants le loisir d’approfondir les divers enseignements. De même, les deux étudiantes citent l’exemple d’une élève ayant étudié au Canada, au sein d’une prestigieuse université qui admettait un système de report de deadline “no question asked”. Ceci permet de profiter de plus de flexibilité sans justification, une fois par semestre.
Ainsi, “on peut réduire la quantité sans réduire la qualité” affirment les deux étudiantes. Elles rappellent que les élèves restent “demandeurs” de savoirs, comme l’illustre l’affluence constatée aux conférences ou cours facultatifs. Elles appellent ainsi l’administration à “ne pas avoir peur de réduire la charge”, alors même qu’une réforme des maquettes pédagogiques du Collège universitaire est à venir.
Quelles perspectives pour l’association ?
Alors que nous entrons dans la seconde moitié du semestre, les deux co-présidentes ne manquent pas de projets. En plus de la rédaction du rapport sur la santé mentale, l’association prévoit de reproposer un concept particulièrement apprécié lors de la dernière « semaine pré-partiels » : les ateliers de massage et de sophrologie. En outre, elles souhaiteraient aussi mêler la santé mentale à d’autres sujets qui “intéressent plus les sciences pistes”, à l’image de l’actualité et des questions de migrations par exemple. L’association, qui affirme que “ce n’est pas grave de ne pas être tout le temps en train de faire quelque chose”, voudrait également promouvoir les moments de détente comme en témoigne l’organisation de la Game Board Night le jeudi 20 février, avec Sciences Plato – la nouvelle initiative étudiante consacrée aux jeux de société.
Finalement, à vouloir autant se soucier du bien-être des autres, n’en vient-on pas à sacrifier sa propre santé mentale ? Pour Chloé et Romane, aucun risque ! Elles en sont conscientes : “prendre soin de soi avant de prendre soin des autres” est important afin de pouvoir ensuite apporter son aide. A titre personnel, elles parviennent à gérer les différentes activités de l’association malgré la charge de travail supplémentaire. Celles-ci constituent alors pour elles une forme d’échappatoire notamment en ce qui concerne la « semaine pré-partiels » et son importante mise en œuvre en amont. L’une des co-présidentes a indiqué n’avoir eu qu’un partiel au premier semestre, ce qui lui a permis de mieux s’organiser.
Enfin, les deux co-présidentes rappellent les forces de Stimuli : une proximité avec les étudiants facilitée et un lien indispensable avec le pôle santé qui semble se renforcer avec le temps et les actions de l’association. Elles soulignent d’ailleurs le manque de budget de celui-ci, ainsi que le manque de personnel pour accompagner durablement les étudiants sur le plan psychologique et mental. Les étudiants sondés ont notamment relevé l’impossibilité de suivre une thérapie dans la durée. En outre, elles plaident pour davantage de sensibilisation du côté des professeurs. “On est encore dans un travail de fond” affirment-elles. Elles établissent un parallèle avec la question de l’égalité femme-homme dont on a saisi l’importance, ce qui n’empêche pas la persistance de nombreux obstacles à franchir.

