Winter’s Bone, poignant thriller chez fermiers consanguins

Sorti début mars 2011, Winter’s Bone est de ces bons films qui passent trop inaperçus en France. Deuxième long-métrage de Debra Granik et adapté du roman de Daniel Woodrell, il remportait en 2010 le Grand Prix du Jury au festival du cinéma indépendant de Sundance. Mais au-delà de ce label supposé remplir les cinémas du Quartier Latin et autre 7ème arrondissement parisiens, Winter’s Bone s’impose comme l’une des meilleures surprises de ce début d’année en nous offrant un thriller aux accents de western.

winters-bone-2011.jpegA 17 ans, Ree s’occupe seule de ses deux frère et sœur et d’une mère qui a perdu la raison suite aux problèmes judiciaires de son mari Jessup. Dans ce petit village perdu du Missouri, Jessup est connu pour fabriquer de la méthamphétamine. Mais le père de Ree a une nouvelle fois pris la fuite après avoir hypothéqué la maison familiale afin de payer sa caution. Pour qu’il se présente à son dernier procès et éviter la saisie, Ree doit donc retrouver son père, ou prouver sa mort. Elle sollicite l’aide des villageois, liés tant par le sang que par le trafic et la consommation de drogue, mais ceux-ci s’opposent à la jeune fille et se montrent de plus en plus hostiles. C’est entourée de cette mère malade, de ces fermiers junkies et armés et d’un shérif suspicieux mais incompétent que Ree devra découvrir ce qu’il est advenu de son père.

Pourtant, Winter’s Bone parvient à dépasser le film sociologique de dénonciation de la pauvreté américaine et de propagande anti-drogue, et c’est là que réside sa véritable force. Si les premières scènes respectent les codes du cinéma indépendant néoréaliste (lumière froide et caméra à l’épaule), le film s’en écarte bien vite pour progresser dans la tension propre au thriller jusqu’à un final nocturne presque surréaliste. Winter’s Bone est donc un thriller, un thriller où chaque villageois représente un nouvel ennemi mais aussi un potentiel allié, un thriller autour de la liberté de l’individu face au clan et à ses lois tacites, en particulier celle du silence qui règne dans le village. Le sentiment de justice de Ree (jouée par l’excellente Jennifer Lawrence), déterminée à sauver son foyer, se heurte ici à des coutumes irrévocables. Elle devra choisir entre trahir ce code du silence qui maintient sa famille élargie du mauvais côté de la loi, ou risquer l’expulsion. L’esprit de famille est pourtant bien présent ; Ree le répète d’ailleurs à qui veut l’entendre (« Aren’t we all supposed to be kin ? »). Et si les villageois refusent d’aider la jeune fille, c’est qu’ils préfèrent protéger le secret de son père.

Debra Granik fait évoluer ses personnages dans une Amérique reculée, perdue entre deux montagnes et peuplée d’habitants inamicaux qui rappelle Twin Peaks ou plus récemment Frozen River. Elle filme de manière crue un paysage aussi hostile que ceux qui y vivent, un paysage qui devient la prison de Ree : même lorsqu’elle cherche son père, elle ne s’aventure pas au-delà des alentours du village. Ree est captive de ces montagnes, déchirée entre un sentiment de loyauté envers sa famille et son désir de fuir, de partir construire sa vie en s’enrôlant dans l’armée. Mais cette dernière échappatoire lui est également interdite lorsqu’un recruteur la raisonne et la renvoie à la vie qui lui est dessinée depuis des générations par les traditions locales.

Entre deux scènes de brutalité fermière, le film comporte tout de même ses moments de répit et de beauté. Les scènes entre Ree et ses frère et sœur, telles les dernières traces d’une jeunesse qui espère encore, redonnent de la lumière au film. Enfin la musique, avec ses bons extraits de country et bluegrass, souligne la mélancolie du monde de Ree à l’image du morceau de banjo joué par l’oncle Teardrop, incarné par un fantastique John Hawkes au personnage ambigu mais finalement le plus humain de tous, et qui aurait sûrement gagné à être davantage exploité.

Winter’s Bone est donc un second film très réussi, tant par la justesse de son interprétation et de sa mise en scène que par le traitement de ses thèmes. C’est presque un western que Debra Granik nous propose finalement, les Rednecks remplaçant les pionniers autour du traditionnel shérif, des thèmes de la vengeance et du respect des traditions, un western qui serait le pendant sombre et actuel au récent True Grit des frères Coen.