Le travail des enfants, un « droit fondamental » ?
La rubrique « Champagne en Boutmy » regroupe les articles de notre partenariat avec The Sundial, le journal étudiant du campus de Reims.
By Sarah Lévy
Si l’on demandait aux élèves du campus euro-américain de Sciences Po qu’ils donnent leur avis sur le travail des enfants, une grande majorité se prononcerait en faveur de son abolition au nom des droits de l’enfant. Les enfants travailleurs sont souvent vus comme des victimes exploitées et privées de leur liberté de jouer, de rêver, d’aller à l’école… L’abolition du travail infantile, très courant dans les pays en développement, se ferait donc pour le bien des enfants.
Mais en Bolivie, pays comptant le plus d’enfants travailleurs par rapport à sa population, les enfants eux-mêmes revendiquent leur droit au travail. En décembre 2013, l’Union des enfants et adolescents travailleurs de Bolivie (UNATSBO) a entamé un grand mouvement de contestation pour réformer le code de l’enfance bolivien. Leur objectif ? S’assurer de pouvoir continuer à travailler dans la dignité tout en se protégeant de l’exploitation abusive de certains employeurs et en ayant un meilleur accès aux soins dans les hôpitaux. En collaboration avec Evo Morales, l’actuel président bolivien, un nouveau texte de loi est adopté le 2 juillet 2014, abaissant de 14 à 10 ans l’âge minimal pour travailler ; les enfants peuvent travailler à leur compte ou pour une tierce personne s’ils ont entre 12 et 14 ans, à condition que cette activité ne soit pas dangereuse et ne nuise pas à leur droit à l’éducation.
Cette dernière condition s’avère paradoxale : pour diverses ONG comme Anti Slavery International et Human Rights Watch, le travail des enfants empêche ces derniers d’aller à l’école en ayant le corps et l’esprit reposés – pour peu qu’ils y aillent. En revanche, les enfants eux-mêmes considèrent que leur travail est le seul moyen qu’ils aient pour couvrir les dépenses scolaires (fournitures, uniformes), les allocations gouvernementales et les revenus parentaux étant trop faibles. De plus, la plupart des enfants réussissent à concilier activité « professionnelle » et études, dans une même journée ; ils se disent fiers d’aider leur famille et fiers d’être indépendants financièrement. Le travail revêt pour eux une valeur positive et s’inscrit dans la culture indigène aymara (commune aux pays andins) comme un générateur de lien social et de responsabilités.
Outre l’argument culturel, la nouvelle loi correspondrait mieux à la réalité bolivienne : pour Jorge Domic, psychologue à la Fondation La Paz, elle serait plus pragmatique et protectrice. Sur le long terme, l’objectif national serait d’éradiquer la pauvreté, rendant inutile le travail des enfants. En attendant, la pauvreté actuelle du pays ne permettrait pas une abolition du travail infantile, ce qui conduit Jorge Domic à soutenir que cette loi répond à l’intérêt supérieur des enfants. Yoselin Apaza, 13 ans, vendeuse de sucreries dans les rues de sa ville, renchérit : « S’ils ne nous laissent pas travailler, comment va-t-on faire pour survivre ? »
Y aurait-il alors un décalage entre la réalité d’un pays, où 17,5% des 7 à 17 ans travaillent, et la vision universaliste et humaniste des organismes internationaux comme l’United Nations International Children’s Emergency Fund (UNICEF) et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ? Ces instances rappellent que la Bolivie est signataire de la convention 138 de l’OIT qui fixait à 14 ans l’âge minimal pour travailler dans les pays en développement (15 ans dans les pays développés). Elles déplorent également que le pays fasse peser le fardeau de la pauvreté sur les enfants plutôt que d’encourager la scolarité et le lancement de programmes de redistribution.