La semaine cinéphile du Mag’

La Semaine cinéphile repart, et à 200 à l’heure ! En pôle position de cette saison 2013-2014, Rush retrace un duel au sommet au cours du championnat de F1 de 1976. Ensuite, Blue Jasmine dressera le tableau d’une sortie de route à travers les États-Unis et les classes sociales… Avant de terminer sur des chapeaux de roues avec 2 Guns, un film à la fois drôle et musclé – à l’opposé de l’auteur de cette critique, donc.

 

Les chariots de feu.

Rush, de Ron Howard

Source : Allociné

Qu’est-ce qui fait un grand champion ? Qu’est-ce qui, au-delà de la performance pure, de l’aptitude à s’adapter, à être régulier, peut faire d’un grand sportif, un très grand sportif ? Dans Rush, Ron Howard nous apporte un début de réponse. Il y dépeint l’historique duel qui eut lieu entre Niki Lauda (Daniel Brühl, touchant et froid comme jamais) et James Hunt (Chris Hemsworth, à l’aise) dans le championnat du monde de Formule 1 pendant les années 1970. Cette rivalité fut celle de deux hommes qu’on n’aurait pu faire plus différents : Hunt l’Anglais tombeur et fêtard face à Lauda l’Autrichien pointilleux et austère. Au-delà de ces différences purement extérieures, ils ont en commun d’être les plus doués de leur génération et au moins aussi arrogants. Survolant leurs concurrents et le championnat pendant leur passage dans les baquets (de F3 puis de F1), ils se sont tirés la bourre en permanence dans une émulation inconsciente pour finalement gravir rapidement les échelons raides de la F1.

Le film est une réussite pour son rendu visuel : les images fugaces comme happées par la vitesse des bolides, les flous, les crissements de pneus, le rendu est bluffant grâce à des caméras embarquées sur les ailerons ou à l’avant de la voiture qui donnent par moment cette impression grisante d’être au volant. La vitesse est au cœur de ce film. Les bolides qui roulent à 300km/h ne laissent aucune chance à l’approximation, chaque erreur se paye lourdement. Et s’il importe de savoir négocier les virages sur la piste surchauffée du circuit comme dans la vie, les deux pilotes le découvrent avec difficulté. C’est ce qui fait de ce film bien plus qu’un film de sport : on en apprend plus sur l’âme du sportif, son incapacité à savoir s’arrêter, ses dérapages permanents, ses bassesses et sa noblesse.

Le cadrage est très rapproché des visages, des moteurs, du circuit et apporte une tension extrême, le moindre cillement de paupière ou mouvement d’essieu prend une sorte d’ampleur tragique rendant au film entier une nervosité palpable. Une telle atmosphère permanente dépeint avec justesse l’incroyable histoire de ces deux hommes qui tout en se jaugeant et s’épiant sans se l’avouer, se sont construits l’un par rapport à l’autre, pour ce qui demeure l’une des plus belles oppositions de l’histoire du sport. Entre gentlemen évidemment.

Hadrien Bouvier

 

 

From riches to rags.

Blue Jasmine, de Woody Allen

Source : The Atlantic
Source : The Atlantic

Woody Allen semblait être en panne d’inspiration après To Rome with Love. Blue Jasmine est l’occasion pour le cinéaste de nous prouver le contraire : quoi de plus contemporain comme sujet que le déclassement social ? Jasmine (interprétée par Cate Blanchett) est une new-yorkaise fortunée, qui découvre que son mari, Hal, n’est autre qu’un escroc de Wall Street. Brusquement sans le sou, elle est contrainte de s’exiler chez sa très prolétarienne sœur sur la côte Ouest à San Francisco, débarquant avec sacs Vuitton, anxiolytiques et un goût prononcé pour la Vodka Martini à déguster à toute heure de la journée. Cette situation n’est pas sans nous rappeler le sort de nombreux américains, au lendemain de l’affaire Madoff. Le choc des classes est alors sans égal, entre la snobinarde Jasmine, le manque d’intérêt de la famille de sa sœur et de ses obèses enfants pleurnichards pour toute activité culturelle (des éléments comiques qui illustrent la difficulté pour Woody Allen de cerner les classes populaires).

Constamment au bord du précipice, Jasmine apparaît comme un personnage perdu, désillusionné, pathétique, mais aussi bouleversant et touchant, qui garde son arrogance et son orgueil dans le déclin. Funambule de notre époque, névrosée, elle reflète le mal de notre siècle : ne pas être à la hauteur de ses rêves, un besoin de se réinventer sans cesse (elle se présente comme décoratrice d’intérieur avant même d’avoir débuté la formation). Elle rencontre un riche diplomate, veuf, et en fait rapidement son amant, on lui souhaite de nouveau une certaine stabilité, des repères retrouvés : c’est le grand moment du film où tout peut de nouveau basculer. Volontairement cynique, on retrouve le Woody Allen du temps de la noirceur morale de Match Point. Déprimée, Jasmine représente la solitude même. Cate Blanchett est absolument stupéfiante, interprétant une femme qui a depuis longtemps perdu le sens de la réalité et qui vit de faux-semblants. Un bon Woody Allen, sans en être néanmoins un grand !

Alexandre Larroque-Suchorzewski

 

http://youtu.be/u0kfEKgtOr4

 

Cours de défonce contre les forces du Bien.

2 Guns, de Baltasar Kormákur

Source : Lyricis
Source : Lyricis

Bobby Trench (Denzel Washington), un flic hyper badass de la DEA infiltré dans un cartel mexicain, fait équipe avec l’explosif Michael ‘Stig’ Stigman (Mark Wahlberg)… lui aussi infiltré, mais sur ordre de la US Navy. Évidemment, tous deux ignorent la véritable identité de leur partenaire – sinon ce serait trop facile, chacun se faisant passer pour un authentique contrebandier. Jusqu’au jour où ils décident de braquer une banque, croyant mettre la main sur les fonds du boss du cartel, Papi Greco (Edward James Olmos)… et se retrouvent avec 43 millions de dollars tirés d’une caisse noire de la CIA. Hors-la-loi, trahis et traqués par leurs anciens supérieurs, par la meute de Papi Greco et surtout par les services secrets qui comptent bien récupérer ce qui leur a été dérobé… Stig et Bobby n’ont plus d’autre choix que de se faire confiance et d’apprendre à se connaître, et pour de vrai cette fois-ci.

Si l’on croyait avoir épuisé le ressort du flic undercover dans un gang de bandits, 2 Guns s’attache à prouver le contraire avec une bonne dose d’autodérision – sans pour autant tomber dans la caricature. Cela dit, malgré certains aspects un peu réchauffés, le scénario (tiré d’une série de comics de Steven Grant parue en 2008) reste savoureux, notamment lorsqu’il met en scène, avec une ironie cinglante, les magouilles des organisations gouvernementales – malgré l’absence notable de la NSA, qui se tirent dans les pattes jusqu’à l’affrontement final. D’autant plus qu’il est servi par un jeu d’acteurs convaincant : Denzel Washington en vieux lion solitaire et désabusé, Mark Wahlberg en jeune loup impétueux, mais pétri d’honneur et d’intégrité… Résultat, un duo féroce mais attachant, aux dimensions multiples et aux contrastes propices à des scènes tordantes. On retrouve dans ce film une ambiance rétro très sympathique : un univers qui flirte avec le western, mais pas seulement. À noter les géniales références à Reservoir Dogs (même scène initiale dans un coffee shop, même débat autour du pourboire, même importance du braquage comme élément perturbateur… mais que fait Urkund ?), sans pour autant perdre en singularité. En somme, un excellent moment à passer avec un groupe d’amis qui aiment l’humour et la baston bien comme il faut !

Jean-Christophe Spiliotis