La semaine cinéphile du Mag’ #3

Comme tous les lundis, les petites mains de la section cinéma se sont remonté les manches et ont bravé le froid, les galops et les navets pour vous servir un compte-rendu des dernières sorties. En revanche, cette semaine, c’est à un travail de médecin légiste que nous nous sommes livrés : entre la recherche de preuves pour une enquête policière oppressante dans Prisoners et la dissection de C’est la fin, victime d’une overdose d’humour douteux… Que ce soit l’un ou l’autre, âmes sensibles s’abstenir !

   

Dans la brume électrique

Prisoners, de Denis Villeneuve

Dans la banlieue de Boston, deux familles se retrouvent pour Thanksgiving. Au cours de la journée, les deux fillettes de 6 ans disparaissent. Les familles s’inquiètent : fugue ? Enlèvement ? C’est le point de départ du nouveau film du québécois Denis Villeneuve (Incendies), prétexte à un thriller glaçant et pesant.

Source : Allociné
Source : Allociné

Très vite, les recherches se tournent vers un simplet aux cheveux gras et aux lunettes à doubles foyers qui zonait dans le coin avec son camping-car. Confondant suspect et coupable, l’un des pères de famille (Hugh Jackman, la bave au bouc) se lance front bas et poings hauts sur la piste du dégénéré. De l’occasion de vérifier que la victime est le pire bourreau qui soit et qu’un Américain en colère en vaut un et demi. Le flic chargé de l’enquête est joué par Jake Gyllenhall qui incarne finement le désarroi du policier face au malheur des autres, ou encore l’acharnement dont est capable un fonctionnaire hors période de shutdown. En fait, sur un canevas pourtant usé, ce film dépeint fidèlement les ressorts qui régissent nos rapports sociaux, mélange de repli individuel et de paranoïa permanente. On peut cependant reprocher au cinéaste de lancer des pistes concrètes et  ne manquant pas d’idées un peu tard, ramassées dans les vingt dernières minutes.

Un bon thriller l’est souvent autant par son ambiance que par son scénario. En voici une nouvelle preuve : la sinistre banlieue américaine rongée par le glacis de novembre, les silences et l’ennui sont propices à une tension naturelle. Tout est sombre, des caves aux cabanes en passant par les placards cachés. Tout se passe de nuit et sous la pluie de préférence. Le seul lieu éclairé s’avère être le poste de police et notamment la salle d’interrogatoire, baignée de lumière. On a connu plus joyeux comme ambiance, on a connu plus gai comme film.

Prisoners nous expose finalement la posture que chacun adopte face à un drame pareil. Le déni, la colère, les larmes ou l’indifférence. L’alcool ou les médocs. L’esprit de vengeance ou celui de pardon. Quand le film se termine, vous n’êtes pas libéré de cette chape de plomb lancinante, prisonnier.

Hadrien Bouvier

 

 

Ouf, C’est la fin.

C’est la fin, de Seth Rogen

À Los Angeles, les acteurs Seth Rogen et Jay Baruchel se rendent à une soirée qui s’annonce dantesque chez James Franco. La fête bat son plein quand soudain la terre tremble, des lumières bleues aspirent les braves gens, le sol se dérobe et avale les moins braves et un lampadaire crucifie Christopher Mintz-Plasse (le méchant SM de Kick Ass 2). L’Apocalypse, rien que ça. S’ensuit alors un huis clos de plusieurs jours dans la villa transformée en bunker, dans une ambiance aussi bon enfant qu’une demi-finale de Secret Story ou une nomination de directeur à Sciences Po.

Source : Allociné
Source : Allociné

Des acteurs jouant leur propre rôle pour mieux caricaturer la superficialité de l’entre-soi hollywoodien, c’est une bonne idée, une super idée même. Malheureusement, c’est la seule du film. Le scénario est complètement décousu : braquage à la hache par Emma Watson (même ma passion dévorante pour Emma, qui partage mes nuits depuis 2004, ne m’a pas assez aveuglé pour rendre cette scène drôle) ; possession inexpliquée puis exorcisme de Jonah Hill ; cannibalisme oculaire (à ce moment là du film, plus rien ne vous choque) et montée au paradis devant une bête démoniaque de trois cent mètres de haut, tous ces évènements s’enchaînent sans aucune cohérence ni visée narrative, et ne sont pas expliqués ou développés par le reste du film. Pas de doute, le scénario est adapté d’une copie de galop d’histoire.

Sous couvert d’une parodie de genre à prendre au 56ème degré, Evan Goldberg et Seth Rogen livrent une farce ratée, accumulant les mauvais gags. Oui, des vannes moisies peuvent être hilarantes, quand leur nullité même les rend caricaturales. Mais comment s’enthousiasmer face à des private jokes d’acteurs à moitié connus ?

C’est peut-être là le cœur du problème : l’auto-parodie fonctionne uniquement pour les inconditionnels de comédies délirantes, qui distinguent James Franco d’Orlando Bloom et Danny McBride de Jean-François Chanet. Pour tous les autres, l’intérêt marginal de C’est la fin tend vers le zéro absolu: mieux vaut donc éviter de perdre 1h47 de révisions (à moins que vous soyez à la recherche d’un authentique divertissement pascalien pour vous reposer l’encéphale).

Et puis de toute façon, un abruti de La Péniche vient de tout spoiler.

Barnabé Tardieux