Sciences Po : quel budget pour quelle(s) vision(s) ?
Un article de Gautier Crépin-Leblond et Aude Dejaifve
Avec un montant de dépenses de 192 millions d’euros, le budget prévisionnel de Sciences Po de 2018 adopté en Conseil d’Administration le 20 décembre dernier dessine le modèle financier vers lequel se dirige l’institution pour s’assurer le meilleur des développements. Grossièrement, cela représente environ une enveloppe de 17 000€ par étudiant.e, soit 4 000€ euros de plus que la moyenne nationale.
En mettant en perspective ce chiffre avec d’autres établissements parisiens, Sciences Po a plus d’argent par étudiant.e que Paris-Sorbonne (Paris 4) avec 8 500€ par étudiant.e, mais moins que l’université Panthéon-Sorbonne avec 21 500€ par étudiant.e.
Sciences Po, késako ( juridiquement ) ?
Difficile de comprendre le modèle économique de l’école sans connaître dans les grandes lignes sa structure. Le statut juridique de Sciences Po est basé sur une organisation duale : la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) est une fondation privée reconnue d’utilité publique chargée de la gestion administrative et financière de Sciences Po. Le Conseil d’Administration (CA) se charge entre autres de voter le budget et de déterminer les grandes orientations. D’autre part, l’Institut d’Études Politiques (IEP) est un établissement public d’enseignement supérieur et de recherche et se charge entre autres des formations et de la recherche menées à Sciences Po.
Frédéric Mion est à la fois administrateur de la FNSP et directeur de l’IEP. La gouvernance est ainsi parfaitement originale : Sciences Po bénéficie d’une large autonomie pédagogique et financière. Comment cette dernière s’élabore et quelles en sont les principaux piliers ? Une petite équipe de la Péniche est partie explorer les documents financiers et interroger les principaux acteurs, participant de près ou de loin à un modèle dont l’organisation est intimement liée au grand projet de l’Hôtel de l’Artillerie à l’horizon 2022.
Sciences Po, un budget aux multiples controverses malgré une solidité reconnue
Depuis une dizaine d’années, le budget a très fortement augmenté, mais la répartition des recettes comme des dépenses n’a pas évolué en profondeur. De 105 millions d’euros en 2008, il s’élève en 2017 à environ 181 millions, soit une augmentation de plus de 70%, avec des prévisions encore positives pour les années à venir.
François Mitterrand a dit en 1986 : « L’économie, c’est simple. C’est deux colonnes : une colonne pour les dépenses et une colonne pour les recettes. N’importe quelle ménagère vous le dirait ». En d’autres termes, pour faire un budget, il faut d’abord disposer de financements, ces financements, ce sont les fameuses ressources dont dispose Sciences Po. Mais d’où proviennent-elles ?
Des ressources diversifiées
Les ressources de Sciences Po ont trois principales sources : les produits financiers et exceptionnels, les subventions publiques structurelles et les ressources propres. L’originalité de Sciences Po par rapport aux autres établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche est qu’il tire la majorité de ses fonds de ses ressources propres, et non des subventions publiques. Les subventions « structurelles » – c’est-à-dire les subventions publiques de l’Etat –, représentent 37% des ressources. Cette dotation globale de fonctionnement est calculée entre-autre selon le nombre d’étudiants et des besoins de développement de l’établissement. Sciences Po rend alors compte à l’Etat de ses axes de recherche et de gouvernance à travers la communauté d’universités et établissements « Sorbonne Paris Cité » et de son fonctionnement via la Cour des Comptes, afin d’éviter les dérives, comme celles constatées de « l’ère Richard Descoings ». Comme l’explique Charline Avenel, secrétaire générale de Sciences Po et en charge du projet de l’Artillerie :
« Dans un système de finances publiques contraint, nous arrivons à obtenir une stabilité voire une légère augmentation de la participation de l’Etat, à disposer d’enseignants supplémentaires et à bénéficier de moyens pour la recherche, la formation innovante, ou encore l’accompagnement de nos efforts en matière de handicap. La part des dotations de l’Etat diminue tandis que les autres ressources progressent : sous l’effet de la hausse des effectifs et de la hausse du niveau du droit moyen, liée elle-même à la progression du nombre d’internationaux »
Si en absolu, la dotation de l’Etat n’a cessé d’augmenter chaque année depuis 10 ans, l’évolution de la part de dotation est en effet en baisse, en raison de l’augmentation de la part des ressources propres dans le budget. Elles constituent le support le plus important de financement. Ce sont des sources contrôlées par Sciences Po en toute indépendance, une force pour l’institution. On y retrouve à la fois les droits de scolarité – les frais d’inscription –, des partenariats avec des entreprises, des subventions publiques de collectivités ou encore des revenus liés au mécénat.
Les financements locaux et sur projet représentent les partenariats et subventions des collectivités territoriales finançant par exemple des rénovations de bâtiments et des projets de recherche commandés par des acteurs économiques, qu’il s’agisse de la mairie de Paris à l’Union Européenne jusqu’à une entreprise précise. Les revenus liés à la formation continue, l’« executive education », proviennent des enseignements proposés par Sciences Po aux actifs souhaitant obtenir une formation professionnelle dispensée par les écoles de master.
Au centre des débats, les frais de scolarité
Autre financement fondamental, les ressources propres sont constituées également par les droits de scolarité, ou frais d’inscription, qui comptent pour près du tiers des ressources de Sciences Po, à hauteur de 30%. Les étudiants financent donc directement Sciences Po à la hauteur de presque un tiers. Fin 2017, 55 millions d’euros proviennent des droits de scolarités des étudiant.e.s. Sciences Po compte surtout sur une augmentation du nombre total d’inscrits. Pour autant, l’augmentation régulière des droits de scolarité n’est pas sans conséquence. Ainsi, l’UNEF estime, pour sa part, que les frais d’inscription ont connu une augmentation de 650% ces quinze dernières années.
Le syndicat étudiant a entrepris un dialogue avec l’administration au sein d’un groupe de travail dédié. Là encore, l’UNEF a non seulement demandé la baisse de ces frais mais aussi leur linéarisation pour éviter les effets de seuil, c’est-à-dire le paiement de frais plus élevés pour une petite part de revenus supplémentaires. Le syndicat souhaite aussi la diminution des effets de tranche, car les foyers dans le bas d’une tranche payent des droits proportionnellement plus importants par rapport à leur revenu. L’administration semble avoir écouté ces dernières revendications du syndicat majoritaire à Sciences Po en créant une nouvelle tranche intermédiaire pour les foyers les plus défavorisés. Toutefois, le travail continue pour l’UNEF qui souhaite une linéarisation complète par le bas des droits de scolarité.
La part du mécénat en hausse
La part du mécénat – le fonds institutionnel d’entreprises ou de particuliers – augmente quant à elle depuis quelques années. Le mécénat a permis par exemple la récolte de 20 millions d’euros en 2011 par des campagnes de fonds internationales. A ce sujet, l’association Sciences Po Zéro Fossile milite contre les partenariats avec certaines entreprises comme Total en s’opposant au sponsoring et au soutien financier de la firme, en raison de l’empreinte carbone très importante de la première entreprise française. « L’Institut d’Études Politiques de Paris a une responsabilité morale importante dans la lutte contre le dérèglement climatique. » explique l’association. « Nous appelons Sciences Po à rompre tous les liens l’unissant à une industrie qui contribue à compromettre notre futur ».
Une pétition lancée sur internet a déjà recueilli près de 1300 signatures, preuve que la communauté étudiante se préoccupe des questions budgétaires de l’institution. Le mécénat est pourtant considéré par certains comme une alternative aux frais d’inscription : c’est ce qu’a proposé la liste Nova par l’encouragement du mécénat privé, notamment des alumni, sous couvert de l’indépendance pédagogique de l’institution. Ayant obtenue presque un quart des suffrages lors des élections syndicales étudiantes, Nova a désormais les cartes en main pour proposer son projet à l’administration.
Et du côté des dépenses ?
Les dépenses de Sciences Po sont aussi en augmentation mais connaissent la même répartition depuis une dizaine d’années. La plus grosse source de dépenses provient du personnel, titulaires et vacataires compris : il s’agit de plus de la moitié des versements. Les locaux représentent le quatrième poste de dépenses. Sciences Po n’étant pas propriétaire de l’ensemble de ses bâtiments, des loyers conséquents sont à régler, d’où le désir d’acquisition de l’Hôtel de l’Artillerie qui retirera à Sciences Po des dépenses qui pourront être réallouées. A constater également que la politique sociale de Sciences Po s’incarne dans le cinquième poste de dépenses, puisqu’une douzaine de millions d’euros y sont chaque année consacrés.
Ainsi Sciences Po réalise depuis une dizaine d’années des résultats positifs de l’ordre de quelques millions d’euros par an. Si cette constance peut paraître positive, en comparaison avec d’autres établissements publics, Marc Josselin, ancien élu UNEF, constate que le « bénéfice » prévu – dans le budget prévisionnel adopté en CA – est pratiquement toujours inférieur au résultat réel. Sciences Po réalise en conséquence un résultat encore plus positif que le résultat positif prévu : un phénomène dénoncé par l’UNEF qui réclame de pouvoir réinvestir directement l’excédent, alors versé aujourd’hui dans un fonds d’« épargne » d’environ 30 millions d’euros. L’UNEF a ainsi réclamé à plusieurs reprises aux Conseils d’Administration un abaissement des frais de scolarité compte tenu des marges réalisées.
Mais cette « épargne » est fondamentale pour le bon fonctionnement de l’institution : non seulement pour prévoir des projets à long terme, dont bien évidemment le projet de l’Artillerie englobe une partie, mais aussi pour se constituer une crédibilité vis-à-vis des donateurs publics et privés et des partenaires internationaux. Ainsi, « il est important pour Sciences Po d’assurer une réelle solidité économique. Les résultats positifs dégagés ces dernières années grâce à une amélioration de la gestion permettent de conforter l’autofinancement dont nous avons besoin pour nos investissements. » explique la secrétaire générale, ce qui permettrait entre autres de projeter la réfection du jardin, la rénovation de salles de cours ou encore la redéfinition du réseau Intranet de Sciences Po.
Un budget adapté pour Sciences Po 2022
Le projet de l’Hôtel de l’Artillerie, dont Sciences Po a présenté les contours à la presse à l’occasion d’une levée de fond, est un enjeu majeur de la construction du budget. Chaque budget annuel est pensé pour les cinq prochaines années. Comment les ressources financières de Sciences Po peuvent assumer un projet estimé à 190 millions d’euros en 4 ans ? Le modèle économique décrit par Charline Avenel s’axe sur deux objectifs. Le premier passe par l’apport en ressources propres de Sciences Po et d’une campagne de mécénat spécialement dédiée.
Le reste du projet est financé par un emprunt de 160 millions d’euros. Comment le supporter ? La secrétaire générale assure que l’opération est neutre : en libérant des bâtiments en location, comme l’école de journalisme et l’école doctorale au boulevard Saint-Germain, les acquittements du prêt remplaceront les loyers. L’avantage tiré sera toutefois conséquent en 2022 : Sciences Po, alors propriétaire de l’ensemble de ses locaux, pourra mener toutes les transformations et investissements qu’il désire. Pour réaliser ce type d’opération financière, il est important pour Sciences Po de prouver sa solidité économique face à ses partenaires. D’où l’intérêt pour Sciences Po de mettre en réserve les bénéfices des années antérieures.
« Le coût total de l’artillerie représente 190 millions d’euros. Sur les 190 millions, nous contra un emprunt de 160 millions d’euros, dont les remboursements sont couverts par les moindres loyers que nous libérons, et qui auraient augmenté dans le temps. C’est donc une opération vertueuse sur le plan économique. » Charline Avenel, secrétaire générale de Sciences Po
Ce modèle peut-il se transposer dans un enseignement supérieur français très disparate et généralement sous- financé ? Si dans les universités anglo-saxonnes, les fortes augmentations des frais d’inscription se fondent sur un système d’emprunt, en France la plupart des universités ont des droits de scolarité faibles et les boursiers sont exonérés. Certaines facultés ont en revanche augmenté leurs frais, comme Paris-Dauphine. La plupart des écoles et grandes écoles sont payantes et s’appuient de plus en plus sur les collectes de fonds. Le système de frais modulés est-il viable pour les autres établissements ?
« En soi, je pense que c’est un très bon modèle qui est juste, exempte les moins favorisés qui reçoivent par ailleurs des bourses et fait payer plus les familles favorisées. L’application à d’autres établissements devrait être soumise à un examen minutieux car la structure sociale et le rapport entre français et étrangers n’est pas la même que la nôtre » répond Charline Avenel. Une nouvelle réflexion semble donc se former autour des frais d’inscriptions, souhaitée à la fois par l’administration et par les syndicats étudiants. Reste à savoir comment les différentes parties sauront s’accorder sur une réforme solide permettant d’allier la sécurité financière et la justice sociale entre les étudiantes et étudiants.
J’ai scrollé tout en bas parce que j’ai la flemme de tout lire. Que dois-je retenir ?
Le budget de Sciences Po a fortement augmenté depuis 10 ans. Aujourd’hui, il s’élève à 192 millions d’euros. Il est financé en majorité par les dotations de l’Etat et les ressources propres qui incluent les droits de scolarité, ce qui permet d’être constamment à l’équilibre et de dégager des excédents de trésorerie. Aujourd’hui, le modèle de financement permet d’assurer une politique sociale via un système de bourse et de maintenir de multiples investissements pour les enseignements ou encore la rénovation des bâtiments. L’achat de l’Hôtel de l’Artillerie vise à mieux organiser les locaux en devenant propriétaire, et à stabiliser, voire diminuer un niveau de dépense important, pour créer un meilleur cadre d’étude pour l’établissement.
Pour en savoir plus, vous retrouverez l’ensemble de nos informations dans les relevés de décisions et les procès-verbaux des Conseil d’Administration de la FNSP.